J’étais allée voir ce film en salle lors de sa sortie en 2016 — dans un cinéma indépendant car très mal distribué malheureusement — et je le revois en fin d’année 2019 avec un regard presque neuf. Je n’avais rien oublié des couleurs, des plans, de l’ambiance, mais l’histoire, le fil de l’intrigue m’avait échappé. Un plaisir donc de le redécouvrir. En 2016 il m’avait chamboulé, en 2019 il réveille ces sentiments. Bien que beaucoup plus prenant et vif sur grand écran, l’émotion reste présente au cœur du film vu en petit format.
L’histoire d’abord, classique pour un film indien de genre : il dénonce la maltraitance subie par les femmes dans une société aux lois archaïques. Les femmes sont vendues au plus offrant pour servir de poule pondeuse et de vide couilles à des hommes qui ne sont pas plus ravis qu’elles de les épouser. Et chaque génération répète le schéma cycliquement. La saison des Femmes nous poste à la fin d’un cycle et au début d’un nouveau, là est toute sa force. Rani, qui visiblement souffre des règles qu’elles doit respecter, achète une femme, Janaki, à son fils unique, faisant subir à la jeune mariée le même sort désolant qu’a pu être le sien. On pourrait penser que Rani est rendue aveugle par le patriarcat de son village, ce qui pardonnerait sa façon d’agir auprès de la jeune femme de son fils, mais il n’en est rien puisque sa meilleure amie, Lajjo, nous est présentée sous les traits de la « femme fertile » du village. Dans ce monde, ne pas pouvoir procréer est une tare immense, grande inutilité de la femme si elle n’est pas bonne à enfanter. Rani, en connaissance de causes, perpétue les traditions, enfermant Janaki avec elle pour le bien de son fils, allant même jusqu’à vouloir renier son amitié de longue date avec la quatrième protagoniste de cette histoire, une danseuse prostituée, Bijli, qui semble avoir réussi à se libérer de ce carcan grâce à son pouvoir de séduction et d’asservissement de l’homme. Bref, quatre destins funestes qui dépeignent et démontrent le quotidien abjecte de la Femme indienne, mais aussi de la Femme dans un beaucoup trop grand nombre de pays.
Le scénario est lourd et les scènes de violences pesantes mais sans jamais tomber dans le malaise infernal. Le tout étant contrebalancé par de nombreux moments de joie, d’humanité et d’entraide. La mise en scène vogue sur deux rivages. D’un côté les scènes d’intérieur au cadre serré qui nous enferme dans ce quotidien étouffant et difficile, de l’autre ces plans larges d’extérieur qui nous balancent des bouffés d’air frais. La couleur chaude de l’image accentue les deux parts, on étouffe avec ce grain orangé, mais on s’y sent comme dans un cocon, refuge sensuel, lorsque les femmes se retrouvent pour se serrer les coudes. Cette alternance entre les scènes difficiles et celles plus joyeuses, nous permet de respirer avant de manquer d’oxygène mais aussi de cesser de sourire une fois que l’on pense que la liberté est acquise. Rien n’est perdu mais rien n’est gagné. Rien d’idyllique et pourtant la couleur pétante des tenues traditionnelles nous permet d’apercevoir une possible échappatoire.
Le film laisse entrevoir une issue dans laquelle les hommes sont complètement effacés du schéma, idée renforcée par les quelques moments de profonde intimité que ces amies partagent ou rêvent de partager. Pourtant il y a quelques rôles masculins qui, heureusement, nous prouvent que l’homme peut aussi être acteur du sauvetage de ces femmes. Ce ne sont pas les hommes qui font de ces sociétés un enfer, ce sont les lois du patriarcat sans cesse durcies et jamais revues. Certains hommes cependant se rendent compte du sort qu’ils infligent aux femmes, mais aussi à eux même, et tentent tant bien que mal de changer les choses. Si la fin du film tente à prouver que les femmes sont seules maîtresses de leur survie, il n’est pas dit que les hommes sont à jeter. Pas de manichéisme, rendant donc ce récit plus que réel. Il n’y aura pas de libération de la Femme si les hommes n’y prennent pas part.