J'ai bien conscience que, dans la critique cinématographique, le terme « chef-d'œuvre » est à manier avec des pincettes. Pourtant, il n'est pas impossible que celui-ci s'applique à Réparer les vivants, troisième réalisation de la jeune cinéaste Katell Quillévéré (Suzanne) et adaptation du best-seller éponyme de Maylis de Kerangal, récit éblouissant d'une transplantation cardiaque et d'une aventure humaniste poignante. Ce chef-d'œuvre donc, redonne ses lettres de noblesse à un genre souvent (et à tord) méprisé en France, le mélodrame, en réussissant l'exploit d'être à la fois émotionnel et pudique, sensible et subtile, lyrique et réaliste. Sans jamais sombrer dans le pathos, ni dans la mièvrerie, Katell Quillévéré insuffle à son long-métrage une atmosphère superbement éthérée, une poésie belle à en crever. Dans cette course contre la montre pour conserver le cœur amoureux et toujours palpitant d'un garçon en mort cérébrale, une multitude d'hommes et de femmes s'activent pour « réparer les vivants », Anne Dorval en l’occurrence, extraordinaire comme toujours, à qui est destiné le précieux organe. Tous ces personnages, même ceux qui apparaissent peu de temps à l'écran, sont écrit avec un soin qui force le respect. Au-delà de leur fonction principale (chirurgien, chef des urgences, petite amie, parent du défunt etc.), chacun d'eux possède des caractéristiques qui leur sont propres, qui les rendent attachants et surtout incroyablement « humains ». Du pain béni pour un casting d'une grande qualité, réunissant également Tahar Rahim, Alice Taglioni, Bouli Lanners, Finnegan Oldfield, Emmanuelle Seigner ou encore Kool Shen. Les nombreuses intrigues, sous-intrigues et sous-sous-intrigues se croisent avec une fluidité parfaite qui fait la force de ce scénario-chorale ample, sublimé au passage par des plans inoubliables (une scène de surf à tomber de beauté, une greffe cardiaque filmée de très près...) et des moments de tendresse qui tutoient la grâce (une amourette adolescente magnifique, une séquence ou deux frères regardent E.T. l'extra-terrestre dans les bras de leur mère, en souvenir du bon vieux temps...). Aucune fausse note n'est à déplorer, si ce n'est peut-être la musique d'Alexandre Desplat qui est un peu agaçante par moment. Mais ce serait tatillonner sur ce qui pourrait être, sans aucun doute possible, un des plus bouleversants mélos de l'année, voire de la décennie.