Qu'un nombre de salles assez considérable soit réservé à la sortie d'un film plutôt austère consacré à une poétesse américaine qui est, il faut bien le dire, assez totalement ignorée en France, voilà qui fait plaisir! Voilà qui honore les distributeurs français.
Cela dit, j'aurais aimé pouvoir être plus élogieuse en ce qui concerne Emily Dickinson, a quiet passion; certes, le film de Terrence Davies est un beau film, un film d'esthète, qui magnifie ces intérieurs bourgeois, sombres, encombrés de babioles, où l'on brode à la lumière d'une lampe; la caméra fait parfois un travelling sur 360 degrés.... mais il apparaît un peu long, parfois ennuyeux et, s'il nous donne à voir quelque trente cinq ans de vie de la poétesse, il ne nous apprend pas beaucoup, en fait, sur ce qu'elle était réellement. Normalement, après un tel film, on devrait se précipiter dans la première librairie venue pour acheter un recueil de l'auteur, non? C'est le but, non?
Emily naît dans une de ces familles très respectables, très respectées qui ont construit sur le plan politique et législatif, les Etats Unis. Le père est avocat (il finira sénateur). La famille est pieuse et unie. Il y a une magnifique peinture du père, Edwards, homme moral, homme religieux, homme à principes, mais en même temps, d'une grande humanité et capable d'une généreuse compréhension. Lorsque Emily veut quitter sa pension religieuse; lorsqu'elle décide de ne plus fréquenter régulièrement l'église, Edwards respectera toujours sa volonté. Bien qu'il réprouve qu'une femme s'exhibe, c'est lui qui servira d'intermédiaire avec le directeur d'une gazette pour que les poèmes de sa fille soient publiés. Et puis, en vrai chrétien, il est contre l'esclavage. Il estime que l'on se doit de parler toujours poliment aux domestiques......Notons que Keith Caraddine a toujours autant d'allure que lorsqu'il était Duellist.... Quel plaisir que de le retrouver!
La mère, dépressive, maladive se tient plus à l'écart, mais on est quand même frappés par le côté fusionnel (excessivement fusionnel?) de cette famille. Les deux filles ne se marieront pas; le garçon, Austin, exercera son métier d'avocat en habitant avec son épouse dans la maison d'à côté... Quand les parents disparaîtront, la fratrie va encore se resserrer, même si la découverte de l'adultère d'Austin apparaît insupportable à la chaste Emily.
Emily s'occupe de la maison et écrit, écrit sans cesse, rien que de la poésie, de la poésie souvent sans rimes et sans pieds bien définis, de la poésie très moderne en fait! des sortes de longs haïkus, souvent ésotériques, et typiquement théosophiques, que nous entendrons récités tout au long du film. A t-elle été éprise de quelqu'un? on lui voit un attachement vif pour une jeune amie; puis, elle entretient une relation étroite avec le pasteur, un homme lui même marié.... Il semble qu'elle n'ait eu de relations qu'avec des hommes plus âgés, lui servant en même temps de mentor, comme si à travers chaque homme elle ne cherchait qu'à retrouver son admirable père... Rien n'est clair, pas plus, d'ailleurs, que ses relations avec la religion. Elle est très croyante, mais semble refuser la pratique. Ses poèmes sont plus mystiques que religieux. Bref, on la voit de très près... mais quand même de loin, cette femme, qui garde tout son mystère
Et puis, elle va se renfermer de plus en plus, refusant de rencontrer ses admirateurs, se cloîtrant dans sa chambre, ne se vêtant plus que de blanc.... avant de mourir à 55 ans, certainement dans des circonstances très douloureuses, d'insuffisance rénale.
On peut estimer qu'il y a eu aussi une vraie erreur de casting. On passe via un morphing d'Emma Bell, (très bien), Emily jeune fille, à Cynthia Nixon. Il parait que cette dame était un des piliers de "Sex and the City" (je n'ai jamais vu) -c'est le grand écart. Mais faire interpréter un personnage de, en gros: trente à cinquante cinq ans par une actrice qui en a soixante, avec le cou de poulet, c'est un non sens! Cela donne à la jeune Emily un côté vieillot, prématurément vieille fille qui fausse, forcément, le personnage. Là où il aurait fallu une Adjani, lorsqu'elle interprétait une soeur Brontë.... Il est toujours possible de vieillir une jeune actrice, mais Sarah Bernhard en Aiglon, ça ne passerait pas au cinéma. D'ailleurs, à part notre cher Caraddine, l'ensemble du casting est assez médiocre. Les grimaces de Duncan Duff, qui joue Austin, sont insupportables.
Bref, c'est intéressant, c'est une belle oeuvre, mais on en attendait un peu plus...