La mort de Louis XIV est sans doute le film le plus traumatisant que j'ai pu voir depuis bien longtemps. Plusieurs fois j'ai eu des moments de recul devant mon écran tant le film est violent dans ce qu'il montre, et dans ce qu'il suggère.
Le film est visuellement magnifique, sans doute inspiré des peintures de de La Tour, où chaque plan est parfaitement composé, utilisant judicieusement le clair obscur, ce qui permet de jouer sur les ombres, de donner du relief au tissu, aux perruques portées, mais aussi de cacher un détail horrifiant quelque part dans le cadre et que l’œil a le temps de voir grâce au rythme funèbre du film.
Je pense à ce plan où après quelques longues secondes je me suis rendu compte que l'on voyait le pied du roi dépasser du draps et qu'il était totalement gangrené... L'horreur dans la banalité du quotidien. Ici il n'y a pas d'effets pour rendre ça spectaculaire, c'est l'exact inverse. On ne traite pas de la Cour du roi, on traite juste de l'agonie.
Une agonie de deux heures qui s'amplifie, forcément... où les mêmes plans se répètent, où l'on voit le roi diminuer de plus en plus... Le film est aussi lent qu'insoutenable, répétant sans cesse les mêmes scènes où l'on voit même pas le quotidien du roi, mais l'agonie en direct...
Le film ne cherche pas à divertir, il ne cherche pas à occuper l'esprit, c'est assez rare de parvenir à cela, où il n'y a plus de frontières entre ce que montre le film de terrible et ta propre réflexion liée au fait que tu n'es pas diverti et que tu penses à ta propre mortalité.
Parce que la grande force du film c'est de montrer Léaud/Louis XIV mourir, certes roi le plus puissant de France, voire du monde, certes immense acteur ayant parcouru le cinéma français depuis plus d'un demi-siècle, mais de le voir crever comme ça, dans l'impuissance, n'étant même plus capable de boire... Cette mort là, c'est celle qui nous attend tous... Peut importe qui l'on a été... peut importe ce que l'on a fait... On sera comme Louis/Léaud, dans notre lit, les infirmières auront remplacé les valets, mais on est privé de tout pouvoir, jeté à la merci des médecins, des chirurgiens qui se disputent pour savoir quoi faire... sans même respecter un temps à notre mort avant de se jeter sur nos entrailles pour en apprendre plus sur notre maladie... et faire mieux la prochaine fois.
C'est un film qui glace le sang, un film qui alterne les moments d'émotions pures, où l'on voit Louis XIV retrouver ses chiens, heureux, puis à la limite des larmes lorsqu'ils doivent le quitter... où l'on voit pendant un long plan Louis XIV essayer de manger un biscuit trempé dans un verre de vin, puis après s'être renversé le verre dessus en essayant d'en boire, le repose, incapable de s'alimenter, le tout pendant que la seule musique du film donne un souffle encore plus funèbre à la scène et que Léaud semble regarder la caméra en la suppliant de l'achever, d'en finir...
Malgré donc la beauté du film, la photographie est absolument hallucinante, les plans fixes, leur durée, font que l'on n'est pas quelque chose de tape à l’œil, on est l'horreur de ce que c'est que la mort et ceci peu importe qui l'on est.
Au travers de cette situation très particulière, Albert Serra nous parle de l'universel, de notre mort à tous, gisant incapables sur notre lit... Il n'empêche que c'est on ne peut plus politique de présenter cette mort comme ça, l'homme le plus puissant à l'époque qui meurt comme n'importe quel manant... en exigeant un verre de cristal certes, mais en souffrant comme n'importe qui d'autre.
Aussi tragique que sublime, mais quel désespoir, regarder ce film c'est accepter d'être vidé totalement.