Quand une jeune chinoise fait un film sur les native americans, on se dit qu'on va avoir un éclairage original.... on est intrigué. Ben non! En fait, ce film aurait pu être réalisé par Terrence Malick.... prenez un cinéphile, cachez le générique, montrez lui le film, il sera persuadé d'être en face d'un inédit de Terrence Malick.... (vu la personnalité du monsieur, il a peut être des inédits dans ses cartons, pas vrai?) Mêmes plans larges qui magnifient l'image, même omniprésence du paysage et des animaux (si insolites dans la scène d'ouverture du film!), même lumière souvent -même si ici, ce paysage du Dakota du Sud est plutôt désolé, à part les spectaculaires badlands -et au moment même où j'écris cette phrase il me revient que Badlands, c'est le titre d'un des films du grand Malick! Enfin, même goût pour les scènes si peu bavardes qu'elles en deviennent presque elliptiques.
Pour une petite chinoise débutante, c'est un sacré parrainage, non? Chloé Zhao, vous avez un bel avenir devant vous!
C'est donc la vie, pas rose mais à laquelle ils semblent tous s'être accoutumés, de la réserve Sioux Oglala de Pine Ridge, vue à travers les yeux à la fois enfantins et déjà blasés de la petite Jashaun (la ravissante Jashaun St John). Son père vient de mourir; mais à vrai dire, elle avait peu de relations avec ce père, même si elle porte son nom, grand cavalier de rodéo mais aussi grand cavaleur qui avait neuf femmes et une tripotée d'enfants, lesquels se retrouvent autour du feu et se découvrent, pour les obsèques paternelles....
Jashaun adore son frère ainé (le plus grand est en prison...), Johnny (John Reddy), avec qui elle a une belle complicité, mais Johnny qui vient de terminer le lycée va partir à Los Angeles avec sa fiancée Aurélia (Taysha Fuller). Alors que ses camarades ne se projettent que dans une vie toute tracée -avoir un ranch et monter des taureaux sauvages-, Johnny veut devenir boxeur, et vivre à la ville.... Il est à l'âge où on rêve. Et à Pine Ridge, il n'y a pas de place pour le rêve. Juste la réalité d'un monde déshérité. En attendant, il gagne de l'argent en approvisionnant la communauté en bières et en vodka, puisque comme dans presque toutes les réserves, l'alcool est interdit.
Et quand on voit le triste état de cette population qui survit tant bien que mal, au bord de la misère -en plus ils font passer l'alcool avec pas mal de joints...- on en mesure très bien les ravages. Pourquoi les communautés indiennes supportent elles beaucoup plus mal l'alcool que d'autres? Mystères de la génétique sans doute.....
Jashaun passe au milieu de tout cela avec son mélange d'innocence et de curiosité; le vieux Travis (Travis Lone Hill), le tatoueur qui vient de sortir de prison, lui même dessiné des pieds à la tête, qui est aussi couturier et brodeur, lui a promis une belle robe de pow wow.... Il est sûr que dans cette société, même si elle est déliquescente, on ne fera jamais de mal à un enfant.
Le chiffre sept est magique pour les indiens: Sitting Bull avait dit qu'à la septième génération, le monde serait régénéré. Eh bien, cette septième génération, c'est justement celle de Jashaun! Car s'ils sont chrétiens, en même temps ils n'ont rien perdu de leurs anciennes croyances.
Il ne se passe pas grand chose dans ce qui est presque un documentaire -et pourtant c'est absolument envoûtant. Je me garderai donc bien d'écrire: allez y à tous prix! car je sais très bien que ce cinéma peut paraître carrément barbant pour certains. Disons que pour mériter ce film, il faut aimer les grands espaces, le cinéma contemplatif, mais aussi l'ethnologie et avoir gardé une fascination d'enfant pour les Indiens d'Amérique. On connait leur triste sort, à l'heure actuelle, si on en excepte les Navajos qui ont très bien su rentabiliser leurs coutumes -au point de verser dans le mercantilisme culturel, comme à Monument Valley où notre accompagnateur équestre Navajo se croyait obligé d'entonner un chant sacré... (suscitant chez nous la gêne plus qu'autre chose) Mais voilà, ici on est chez les Sioux, et ils n'ont pas le même bon sens -ou sens du commerce.
Pourtant la fin ouvre vers l'espoir -elle la porte, sa belle robe de pow wow, la petite Jashaun! Peut être la septième génération va t-elle relever la tête?
Chloé Zhao a passé quatre ans dans cette réserve pour réaliser son film. Je me pose une question: ne serait -elle pas elle même originaire d'une minorité? Je n'ai pas l'impression que Zhao soit un patronyme Han. Ce qui expliquerait très bien son intérêt pour les minorités anciennes, comme les Hmongs par exemple vivaient en Chine avant l'extension des Han....