Danièle Thompson a lu en 2005 un article qui racontait l’amitié depuis l’enfance de Cézanne et Zola, puis leur éloignement. Intriguée par cette brouille, la fille du réalisateur de La Grande Vadrouille a alors commencé à lire des biographies de l’un et de l’autre, à relire des textes de Zola et à voir des tableaux de Cézanne qu'elle ne connaissait pas. Elle explique :
"Il y avait dans cet épisode-là, dans cette fâcherie, une certaine dramaturgie qui dépassait la simple anecdote. À chaque fois que je finissais un film, j’avais envie d’aborder cette histoire mais lorsque j’en parlais autour de moi, on me disait : « Mais non, fais une comédie, c’est ce que tu sais faire. » Je faisais donc une comédie, puis une autre, puis une autre. Jusqu’à Des gens qui s'embrassent, qui n’a pas été le succès que j’espérais et dont l’accueil m’a un peu déstabilisée. J’ai alors décidé de prendre du temps et je me suis plongée pour le plaisir dans la vie de Cézanne et de Zola, sans savoir si j’y trouverais la matière d’un film."
12 ans après s'être donné la réplique dans Narco, Guillaume Canet et Guillaume Gallienne se retrouvent dans Cézanne et Moi (anciennement titré "Les Inséparables") de Danièle Thompson. Dans Narco, le premier jouait le personnage principal tandis que le second campait le psychologue. Gallienne avait par ailleurs déjà tourné dans un film de Thompson. Il s'agit de Fauteuils d'orchestre.
Ce qui a fasciné Danièle Thompson dans cette histoire provient du fait que Paul Cézanne et Emile Zola y sont décrits dans leurs jeunes années, bien loin de l'image des vieillards impressionnants que l'on a d'eux aujourd'hui. "Ce n’étaient pas des légendes, pas des icônes, juste des jeunes gens avec leurs copains, avec leurs problèmes et leurs rêves, leurs faiblesses et leurs espérances...", confie-t-elle.
Au moment de l'écriture, Danièle Thompson a essayé de ne pas penser à la question du choix des deux acteurs principaux. Elle a ensuite choisi Guillaume Gallienne et Guillaume Canet pour leur ressemblance avec Paul Cézanne et Emile Zola, leur âge avoisinant la quarantaine et leur côté juvénile (pour jouer ces personnages plus jeunes).
A l'origine, Danièle Thompson voyait plutôt Guillaume Gallienne incarner Emile Zola comme l'acteur possède un "physique intellectuel". Mais lorsqu'elle lui a remis le scénario, il a immédiatement dit qu'il voulait jouer Cézanne, en ajoutant : "Si tu veux, on fait une lecture et tu verras si vraiment je peux être Cézanne". La lecture s'est avérée concluante.
Comme il s'agit d'un film historique bien différent des précédents longs métrages de Danièle Thompson, Cézanne et moi a été difficile à financer. C'est le producteur et conjoint de la réalisatrice, Albert Koski, qui a rendu les choses possibles, entre autres en entraînant Pathé dans l'aventure.
Danièle Thompson ne voulait pas une lumière trop "cézannienne" et avait pour référence des films qui l'avaient marquée comme Van gogh de Maurice Pialat, Le Déjeuner sur l'herbe de Jean Renoir, Un dimanche à la campagne de Bertrand Tavernier, La Leçon de piano et Portrait de femme de Jane Campion, Le Temps de l'innocence de Martin Scorsese et enfin Carrington de Christopher Hampton. Comme il s'agit d'un film différents de ses précédents, Danièle Thompson voulait aussi travailler avec d'autres personnes. C'est dans cette optique qu'elle a fait équipe avec le directeur de la photographie Jean-Marie Dreujou que Jacques Audiard lui a recommandé.
Danièle Thompson ne voulait pas d'une musique d'époque. La cinéaste a demandé à Eric Neveux de composer une musique qui soit liée au sentiment et qui ne soit pas extérieure ou contemplative. Elle développe : "Je ne voulais pas pour cette fin d’une musique désespérante et Eric m’a immédiatement évoqué ce que représentait pour lui ce retour vers la montagne et vers ces paysages de Provence auquel il appartient. Il part vers son oeuvre, vers son destin d’artiste, vers ce qu’il est vraiment. Nous avions tous les deux envie d’une tonalité d’espérance. Cette histoire d’amitié – qui est presque une histoire d’amour - aura été douloureuse et magnifique."
Pour se préparer à jouer Cézanne, Guillaume Gallienne a rencontré un ami de Danièle Thompson qui est un peintre marseillais : Gérard Traquandi. L'acteur confie : "La première fois que je suis allé le voir dans son atelier – sept ou huit mois avant le début du tournage – il a pris une toile, un chevalet, et m’a dit : « Alors Cézanne, c’était comme ça, et puis les pinceaux, c’était ça, la palette, c’était ça... Bon je te donne un peu de cobalt... Et peins ça. » J’avais regardé des photos de Cézanne au travail, j’avais vu comment il tenait ses pinceaux, je commence à peindre, et là il me dit : « Tu as un problème, tu veux remplir trop vite ». Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd, car c’est quelque chose qu’on peut me reprocher aussi en tant qu’acteur. Message reçu ! « Vide, ne remplis pas, pars de rien, pars de ce que tu vois... » Avec Gérard, nous avons travaillé régulièrement, nous sommes allés au Musée d’Orsay aussi. « Et ce tableau, tu en penses quoi ? – C’est une croûte, non ? – Oui, tu as raison, mais déjà on voit l’humilité. »"
C'est lors de sa préparation au rôle d'Emile Zola que Guillaume Canet a eu un véritable coup de foudre pour cette figure incontournable de la littérature française. L'acteur avoue qu'il ne le connaissait pas vraiment avant (même s'il avait lu au lycée certains de ses livres) et donc ne s'était pas interrogé sur la nature même de l’homme Zola. Le comédien explique :
"D’un coup j’ai vu quelqu’un qui pouvait être assez proche de moi... Quelqu’un à l’itinéraire particulier, venant d’un milieu à des années-lumière de ses aspirations. Son côté terrien, un peu bourru, paysan... (...) Je suis très sensible aussi chez Zola à sa fidélité en amitié, à sa droiture. Bref, il y avait plein de couleurs, plein d’aspects chez lui dans lesquels je me retrouvais, et c’était excitant."
Si Guillaume Canet a récemment joué plusieurs personnages ayant réellement existé (L'Homme qu'on aimait trop, La Prochaine fois je viserai le coeur, The Program), camper Emile Zola s'est avéré plus complexe. L'acteur a dû trouver une nouvelle démarche, une nouvelle manière de poser la voix, prendre du poids et vieillir.
"J’ai commencé par m’imprégner du personnage et de l’époque. J’ai lu et relu une bonne partie des Rougon-Macquart, j’ai relu Germinal, j’ai disséqué L’OEuvre dans tous les sens parce que c’est la source la plus plausible de leur brouille, et que dans la scène d’explication qui sert de fil rouge au film, c’est un élément capital. J’ai lu aussi ce qu’ont dit de lui ses contemporains, comme Péguy. J’ai même revu des films sur l’Affaire Dreyfus", se rappelle-t-il.
Comme il en a l'habitude quand il se prépare à un rôle, Guillaume Canet s'est inspiré d'animaux pour mieux se glisser dans la peau de son personnage. Ainsi, lorsque l'acteur se documentait sur Zola, il était frappé par sa barbe et a donc pensé à un fox-terrier qui a une sorte de barbe et des poils très drus ! Il a également rapproché l'écrivain à un ours pour sa force tranquille...
La plupart des scènes censées se dérouler à Paris ont été tournées à Moulins au centre de la France. L'équipe a également beaucoup filmé dans les endroits mêmes où s’était déroulée cette histoire. Parmi eux, il y avait le jardin de Zola, à Médan, ou encore la maison du père de Cézanne, au Jas de Bouffan. Danièle Thompson se souvient :
"On a reconstitué les fresques qu’il avait peintes et qui sont aujourd’hui au Petit Palais, et ils ont décidé de les garder ! Elle va bientôt être restaurée et devenir un musée. Au dernier étage, là où Cézanne peignait, on a reconstitué son atelier, c’est là où on le voit faire le portrait de Vollard - en vérité, le portrait a été peint à Paris. Ce n’est que lorsqu’il a touché l’héritage de son père qu’il a fait construire un nouvel atelier, l’Atelier des Lauves qui était alors en pleine campagne et qui est aujourd’hui en pleine ville. On a été imprégné de tous ces lieux. Sans même parler des carrières de Bibémus qui sont restées exactement telles que Cézanne les a connues. Son cabanon, aussi, est resté intact. Il y a encore les pots et les pinceaux. Il allait souvent y dormir pour avoir les lumières de l’aube. C’est un endroit magique. Tout cela était forcément très émouvant - et très inspirant."