Avant de commencer à vous exposer mon avis, je vais commencer par vous poser une question. Aimez-vous lire ? Bien sûr, je devine sans peine que vous vous demandez ce qui me prend de vous poser cette question, puisque nous sommes là pour parler d’un film, et non d’un livre. Bon, je suppose que vous êtes au courant que "Le grand jeu" s’appuie sur le parcours incroyable de Molly Bloom, laquelle a couché sur le papier son histoire. Pourtant quelque peu réticent à l’idée d’adapter à l’écran l’histoire de ce petit bout de femme étonnant, Aaron Sorkin a pour sa première réalisation abordé le sujet d’une façon assez peu banale. En fait, en regardant le film, je n’ai pu m’empêcher de penser que le cinéaste a sorti le grand jeu de la narration, comme s’il se dédouanait d’avoir réalisé ce film. En effet, grâce à l’appui important de la narration en voix off, il donne l’impression au spectateur que Molly Bloom a tout orchestré de A à Z. J’ai eu plus ou moins l’impression de lire un livre en audio, comme ça se fait de plus en plus de nos jours pour les malvoyants. Sauf que là, nous avons les images en plus. Cette impression est renforcée par le fait que la narration est vivante : chaque phrase est rigoureusement illustrée par des images (par exemple la pyramide), le ton est décidé et l’élocution soignée, rapide, (donc tonique) et aménagée de pauses toujours bien placées. Le fait est que son interprète, à savoir Jessica Chastain, porte le film à bout de bras. Et bien, en plus ! Elle est continuellement présente à l’écran, et sur le peu de scènes où elle n’apparait pas, on sent quand même son influence. Dans tous les cas, ce ne sont pas la présence d’Idris Alba, ni même les courtes apparitions de Kevin Costner, de Graham Greene, et de Jeremy Strong qui y changent quelque chose. Le point de vue est donc en permanence donné depuis cette femme incroyablement volontaire, fuyant à la fois l’énorme désillusion causée par sa non-qualification aux Jeux Olympiques d’hiver et le comportement plus ou moins tyrannique de son père (Kevin Costner). Ce dernier est certes détestable, mais si on y regarde de plus près à condition de connaître un peu la psychologie des gens, ça cache une sorte de maladresse. laquelle, ça... Bref ! Le seul bagage de Molly Bloom est son tempérament de gagnante, et déjà le spectateur pourra le mesurer au cours de la scène pré-générique. Mais un tel tempérament, sûr qu’elle va le mettre à profit, et c’est ce qui va l’amener sous le feu des projecteurs… Pas comme elle l’entendait, cela va de soi. Si "Le grand jeu" retrace la vie de l’héroïne dès son plus jeune âge, il donne quasiment la fin de son histoire hors du commun aussi. Tout du moins, il révèle le commencement de ses déboires avec la justice. Pour tout ce qu’il y a au milieu, le remplissage est formidablement orchestré entre le temps présent (les nombreuses discussions avec son avocat) et le passé, à partir du moment où elle a quitté le domicile familial. Un remplissage au cours duquel on pourra se rendre compte de son opportunisme et de son intelligence, des qualités qui lui ont permis d’évoluer, pardon de gravir les marches qui lui permettaient de côtoyer le haut monde des personnalités les plus en vue. On pourra mesurer également ses qualités d’adaptation, par le changement de son look, pour le moins radical. Attention messieurs, les yeux risquent de vous piquer à plusieurs reprises par des toilettes qui lui vont à ravir, sans parler des magnifiques décolletés dont elle nous gratifie à plusieurs reprises. Ce n’est pas pour autant que son corps se matérialise en objet, non. C’est juste qu’elle met à profit son pouvoir d’influence, et après tout, quand dame nature a choisi de vous gâter sur le plan physique, autant en profiter, surtout dans ce milieu-là. Cependant pour une fois, aucune scène de sexe, pas même l’ombre d’une romance (bien qu’évoquée) n’ont été déployées. Le film nous raconte donc brièvement sa première ascension, puis la chute, brutale (c’est le moins qu’on puisse dire), puis sa nouvelle ascension, et enfin sa descente aux enfers. Aaron Sorkin a su rester fidèle à ce style de narration tout au long de son premier bébé. Le spectateur trouvera même dans un premier temps la mise en scène et le rythme flamboyants, mais peut se révéler à la longue quelque peu fatigant. Mais la priorité a été donnée à la psychologie de Molly Bloom, et ce n’est finalement pas plus mal de l'avoir respecté à la lettre. Une première réalisation convaincante et très prometteuse pour Aaron Sorkin. Avec en prime un chapeau bas à Jessica Chastain pour sa formidable prestation.