La Taularde est le 4ème long-métrage de la cinéaste Audrey Estrougo ; elle avait auparavant signé Regarde moi, Toi, moi, les autres et Une histoire banale. Ce dernier film traitait d'un sujet sensible, le traumatisme du viol chez une jeune femme campée par Marie Denarnaud. Elle revient donc en 2016 avec La Taularde, film engagé traitant du milieu carcéral féminin en France : "J’ai une démarche assez similaire à Ken Loach, dont le cinéma détruit les schémas, pointe du doigt les systèmes", affirme la réalisatrice.
Le personnage de Mathilde Leroy (Sophie Marceau) a été inspiré par une vraie détenue. Cette dernière s'est entretenue avec Audrey Estrougo dans le cadre de la préparation du film. Si dans la vraie vie, le mari de cette prisonnière a été arrêté au bout de 36 heures de cavale, ce n'est pas le cas dans La Taularde.
L'origine du projet La Taularde remonte à l'époque du second long-métrage d'Audrey Estrougo, Moi, toi et les autres, sorti en 2011. La réalisatrice était allée présenter son film dans des prisons d'hommes et de femmes. Cette expérience a donné envie à Audrey de mettre en scène un film dans l'univers carcéral. C'est dans cette optique qu'elle a monté un atelier d'écriture durant un an à la prison de Fleury-Mérogis.
Audrey Estrougo parle de son expérience au sein des prisons, au plus près des détenues : "Ce qui est fascinant dans la prison de manière générale, c’est qu’elle nous raconte entre quatre murs tout ce qui vrille dans la société. La prison, ça s’entend, ça se regarde, ça se vit, c’est très intense. Il se passe toujours des choses, on est toujours en interaction avec quelqu’un ou quelque chose, il n’y a pas de moment de silence ou de répit. À la fin d’une journée là-bas, quand je rentrais chez moi, j’avais l’impression d’y être restée quatre ans. J’ai retenu la phrase d’une détenue : « Que tu passes une journée, dix jours, dix mois ou dix ans en prison, c’est pareil. » À partir du moment où l’on te donne un numéro d’écrou, que l’on te retire ton identité et ce qui te caractérise, le processus de destruction lente est enclenché", confie la réalisatrice.
Comment mettre en scène l'histoire de femmes enfermées 22 heures sur 24 ? Audrey Estrougo donne un élément de réponse en affirmant qu'il faut notamment une caméra fixe, qui ne bouge pas : "Et dès que l’on sort en promenade, c’est aussi infernal, mais de manière inverse, en tournant beaucoup autour des protagonistes", explique la cinéaste. Elle confie également avoir prêté un soin tout particulier à l'environnement sonore, passant deux fois plus de temps en montage son qu'en montage image lors de la post-production : "Des conversations de surveillantes, le bip d’ouverture des portes et des grilles… Je voulais que cette vie sonore très particulière soit authentique, prise sur le moment pour entendre soudain des choses très claires jaillir de cette cacophonie", indique Audrey.
La Taularde a été tourné dans une prison désaffectée à Rennes : "Tout était encore très présent, on sentait le poids de ces lieux, chargés d’énergie", confie Audrey Estrougo.
Audrey Estrougo possède une manière bien à elle de travailler aves ses acteurs en amont du tournage : "Depuis mon premier film, avant le tournage, je les réunis dans un théâtre pendant deux semaines à un mois selon les besoins et le budget du film. Tout le monde a lu le scénario mais on met de côté celui-ci pour travailler les personnages et se raconter les liens qui les unissent en amont de l’histoire. Pour ces bandes de filles en prison, tout en ayant en tête leur rôle dans l’histoire, on inventait des coups durs, des moments plus drôles, des alliances, des trahisons… D’où cette impression qu’elles sont enfermées ensemble depuis mille ans", relate la cinéaste.
Audrey Estrougo ne pensait pas à Sophie Marceau en écrivant La Taularde. Une fois, la cinéaste est tombée sur l'actrice sur le quai de la gare de Marseille et a été frappée par son côté "madame tout le monde" : "Cette madame tout le monde était bien Sophie. Ce qui m’a tout de suite saisie, c’était son côté très fort, très ancré dans le sol et en même temps très fragile. Je trouvais étonnant que cette contradiction en elle ait si peu été utilisée au cinéma. Et donc elle a fait son trajet en train, j’ai fait le mien… Et puis j’ai entrepris les démarches pour la rencontrer. Sa première réaction à la lecture du scénario a été : «C’est super, mais je ne vais pas le faire car tu aimes tous les personnages, sauf celui que tu me proposes. C’est très perturbant.» Elle avait raison, à cette étape du scénario, le personnage de Mathilde n’était pas encore assez abouti, j’étais encore trop dans le réel, pas assez dans la fiction", raconte la cinéaste. Cette dernière a donc retravaillé le scénario en soumettant les nouveautés à Sophie Marceau de temps en temps pour bénéficier de ses précieux conseils sur son personnage.