Hitchcock/Truffaut : les secrets du tournage

Kent Jones s'attaque avec Hitchcock/Truffaut à une rencontre mythique du septième art. Ça n'est pourtant pas la première fois qu'il se penche sur la foisonnante Histoire du cinéma. En 1999, il co-scénarisait avec Martin Scorsese son Voyage en Italie, analyse du rapport du célèbre cinéaste au cinéma italien. Son passage à la réalisation (A Letter to Elia) fut encore l'occasion de décrypter le cinéma via la figure d'Elia Kazan. Avant d'être désormais directeur du festival de films de New-York, il fut aussi journaliste pour la revue (cinématographique bien sûr) Film Comment.

Kent Jones ne s'est pas attaqué à Alfred Hitchcock et à François Truffaut seul. En plus des éminents intervenants à l'image, on retrouve à la co-scénarisation du documentaire Serge Toubiana. Cette figure bien connue des cinéphiles fut longtemps directeur des Cahiers du Cinéma. Aujourd'hui, il dirige la Cinémathèque Française, qui diffusa d'octobre 2015 à février 2016 une rétrospective sur Martin Scorsese. Ce dernier travailla lui aussi en qualité de co-scénariste avec Kent Jones sur son premier documentaire, A Letter to Elia, et intervient dans Hitchcock/Truffaut pour commenter son rapport aux deux cinéastes. La boucle est bouclée !

Avant même d'exprimer l'envie de réaliser un film autour de la rencontre entre Alfred Hitchcock et François Truffaut, Kent Jones reçut la proposition de travailler un documentaire sur le livre issu de cette rencontre. A partir de cette demande, le documentariste choisit d'élargir le champ de l'analyse et décida de consacrer celle-ci à la position du réalisateur. En lieu et place d'experts cinéphiles, il fit appel à de nombreux cinéastes passionnés par l'ouvrage et par le maitre du suspens, comme David Fincher, qui en évoquant Sueurs Froides parle aussi selon Kent Jones de son dernier film, Gone Girl.

En avril 1962, François Truffaut, réalisateur de trois longs-métrages, écrivit une longue lettre dithyrambique à Alfred Hitchcock, alors en train de boucler Les Oiseaux, son 48ème long-métrage. Dans celle-ci, le cinéaste français proposa d'enregistrer un entretien étalé sur une semaine afin de redonner à l'Anglais ses lettres de noblesse (Hitchcock étant alors considéré comme un faiseur de divertissement). De ces heures d'échanges dialogués émergera un livre, Hitchcok/Truffaut, devenu un des ouvrages littéraires les plus emblématiques sur le cinéma et aujourd'hui encore utilisé par de nombreux étudiants en la matière.

Le livre Hitchcock/Truffaut n'eut pas comme seul effet d'asseoir la crédibilité de la philosophie des Cahiers du Cinéma de l'époque, qui souhaitait redonner au réalisateur le statut d'auteur. Le succès qu'il rencontra renforça un peu plus l'amitié entre le français et l'anglais. A chaque fois qu'Alfred Hitchcock vint visiter la France, François Truffaut ne manqua pas de l'inviter à dîner, réunissant au passage ses plus proches amis, comme Catherine Deneuve ou Michel Piccoli. En échange, Truffaut fut invité à rendre hommage au maitre du suspens lors d'un hommage public en 1979.

Avant d'être parue sous une forme scripturale, la rencontre entre François Truffaut et Alfred Hitchcock fit l'objet d'enregistrements capturés à l'aide de micro-cravates. Sur Internet, on peut aisément trouver 52 bobines de ces entretiens (transformées en mp3) d'une demi-heure chacune. Selon Kent Jones, l'expérience est très différente entre le livre et l'audio, Hitchcock se révélant plus spontané à l'écoute. Un état que le réalisateur lui-même regretta par rapport au livre, gêné à l'idée que le public tire de lui l'image d'un artiste froidement analytique.