Avant d’aller voir "Lion", je savais qu’il était en course pour 6 statuettes lors de la cérémonie aux Oscars à venir. Et bizarrement, après deux heures d’émotion intense, j’aurai cité exactement les mêmes catégories. J’en aurai même rajouté une, mais j’y reviendrai plus tard. En tout premier lieu, la musique signée par Dustin O’Halloran : dès le générique du début, elle est associée à de superbes images dignes des plus grands reportages sur les merveilles naturelles que sont les sites restés sauvages qui nous entourent, et déjà les premiers frissons se font ressentir. Des premiers frissons qui seront rapidement suivis par une scène post-générique anodine montrant un instant de vie superbe de simplicité, par le biais d’un plan se contentant de contempler avec beaucoup de poésie un petit garçon au beau milieu d’une nuée de papillons dorés que les rayons du soleil illuminent tels des lucioles virevoltantes. Suite à ces deux séquences, le spectateur sait qu’il va vibrer et qu’il va vivre un grand moment de cinéma. Et il ne va pas être déçu. Ni par les émotions, ni par le voyage (sur lequel je reviendrai là aussi plus tard). Parce que les premiers frissons ressentis ne sont rien comparés à ce qui va suivre. Aussi je ne saurai que trop vous conseiller de ne pas partir au cinéma sans mouchoirs ! Vous risquez fort d’être littéralement essorés, aussi prévoyez le stock ! Car la réalisation, l’interprétation des acteurs, et la photographie, en plus de la musique, rendent cette incroyable histoire vraie particulièrement émouvante. Et je commencerai par l’interprétation époustouflante de vérité de la part des acteurs. D’abord Nicole Kidman, pour qui le retour dans son pays natal a été source d’inspiration, au même titre que le sujet : elle est plus expressive que jamais, allant jusqu’à accepter une certaine ressemblance physique avec la personne de la vraie histoire (que nous pourrons constater lors du générique de fin par le biais de quelques clichés photographiques venus authentifier cette belle histoire). Je pense qu’elle mérite cette nomination. Quant à Dev Patel, il nous émeut des tourments de son personnage, torturé par de vagues souvenirs surgis brutalement de son enfance, secoué par la douleur des questions existentielles malheureusement sans réponse. Grâce à son jeu d’acteur, le spectateur va ressentir ce besoin de retrouver ses origines, un besoin qui ne s’annonce pas simple à assouvir. S’il est si convaincant, c’est parce que, de son propre aveu, il a été confronté au meilleur scénario qu’il lui a été permis de lire. Ayant eu vent du projet, il a fait des pieds et des mains pour obtenir le rôle, poussant le vice jusqu’à se rendre directement chez le scénariste alors que le scénario n’en était encore qu’au stade de l’écriture. Après, ça a été des mois de préparation, dont la touche finale a été d’intégrer l’accent australien dans son élocution. Son interprétation est à la hauteur de celle qu’il nous avait servie dans "Slumdog millionnaire", aussi lui non plus n’a pas volé sa nomination. Mais avant tout, et c’est là que j’aurai rajouté une nomination de plus pour ce film, je crois qu’on ne peut que saluer ce petit bonhomme, Sunny Pawar, lui qui ne savait pas parler un mot d’anglais avant le tournage, et qui n’avait même jamais tourné le moindre film. Il est tout bonnement incroyable, emportant l’adhésion totale affective et artistique de Dev Patel et Nicole Kidman, ce qui fut souligné par les deux stars lors de différentes interviews. Je trouve injuste que son nom ne figure pas en haut de l’affiche avec les autres, de la même façon qu’il ne se retrouve pas cité aux Oscars. Avec son esprit à la fois entêté et obéissant, méfiant et téméraire, il est si naturel, si gentil avec ses grands yeux noirs innocents qu’on ne peut lui résister. On se surprend même à vouloir lui crier de fuir quand il est en passe d’être pris en charge pour la première fois. Je dois dire que la qualité d’interprétation est portée par la formidable mise en scène. Logiquement nominé, Garth Davis signe son premier long métrage avec une maîtrise confondante, bien épaulé par les notes musicales de Dustin O’Halloran et l’œil du photographe Greig Fraser. De ce fait, sa réalisation se retrouve parfaitement imbriquée avec le jeu des acteurs, la musique et la photo pour devenir indissociables. Ainsi les phases de réflexion par lesquelles passe Saroo (Dev Patel) avec (par exemple) ses yeux perdus dans le lointain de l’horizon rougeoyant, se suffisent à elles-mêmes, se passant aisément de dialogues quelconques, y compris en voix off. Mais là où Garth Davis parvient à exprimer tout son art de réalisateur, c’est lorsque le gamin est emporté encore un peu plus loin de chez lui, vers une terre dont il n’avait jamais entendu parler auparavant : l’Australie. En effet, alors que l’avion prend de la vitesse pour son envol, ce qui est de nouveau un véritable choc pour le gamin, il a été superposé en bruit de fond l’entêtant "tac tac ! tac tac ! tac tac !", bruit caractéristique des roues d’un serpent d’acier sur les joints de rails, glissant irrésistiblement à travers l’interminable campagne. Cette superposition trahit le souvenir traumatisant encore tout frais de son voyage impromptu. Je ne sais si vous l’avez remarqué, car c’est discret, et pourtant… C’est peut-être le moment qui m’a le plus marqué. Le talent du réalisateur ne s’arrête pas là : il a un vrai regard de cinéaste, ce qui lui a permis de donner une immense ampleur esthétique aux images. La photographie n’est est que plus sublime. Ainsi, il parvient à faire ressortir beaucoup de charme de la pauvreté indienne : les illuminations de nuit données par les fébriles flammes de bougies, les lieux de recueillement improvisés, les fleurs à la couleur orange flottant dans le fleuve sacré, et des scènes de vie que nous ne voyons plus chez nous, comme ces femmes qui lavent leur linge dans le Gange. Et puis il y a ces formidables contrastes avec une exposition de lieux tour à tour grouillant de monde et déserts. Visuellement, le spectateur vit un vrai dépaysement. Si le spectateur est embarqué sans concession dans cette belle histoire, c’est aussi parce que le film a été tourné à hauteur d’enfant. Un film parfait, alors ? Dans le sens que le spectateur toujours plus exigeant veut du rêve, du voyage et des émotions, "Lion" remplit parfaitement bien son contrat. C’est déjà en soi une retentissante réussite. Cependant "Lion" comporte quelques petites faiblesses, comme le fait qu’on a prêté à la population indienne la langue occidentale ! Un non-sens lorsque les enfants entonnent une chanson dans leur langue maternelle, alors qu’ils parlent parfaitement le… français, puisque je l’ai vu en version doublée pour notre hexagone. J’ignore si la version originale a fait la même erreur en prêtant la langue de Shakespeare aux indiens... Si la langue maternelle avait été conservée du côté des indiens, cela aurait permis d’exploiter les difficultés de l’adoption apportées par les différences de culture et linguistique, mais après tout, là n’était pas le sujet principal du film, alors on pardonnera aisément cette "lacune", si toutefois ça en est une. Pour preuve, des ellipses ont été aménagées pour éviter un film fleuve, qui s’en serait retrouvé cependant plus complet. En revanche, prenez la peine de rester assis lorsque le générique de fin arrive. Car le spectateur ignore encore pourquoi ce long métrage s’appelle "Lion". Faites-donc preuve d’un peu de patience, cela va vous être expliqué par l’intermédiaire d’informations complémentaires sur l’histoire de Saroo lors de ce même générique, que je vous invite à suivre jusqu’à son ultime fin, d’abord pour réécouter les notes enchanteresses du compositeur, mais aussi pour vivre un joli petit hommage sobre mais dont la simplicité est d’une efficacité à toute épreuve. Comme quoi, la sortie du tunnel (vu en début de film) n’était pas si anecdotique que ça. "Lion" fera donc partie de ces œuvres incontestables que le spectateur n’est pas près d’oublier.