Ah, Kiyoshi Kurosawa...voilà un metteur en scène fascinant : ces différents métrages nous entraînent souvent à la mince frontière du réel et du surnaturel tout en explorant les limites de l'esprit humain (souvent sa folie). Et, comme bien souvent, sa réalisation abuse de plans fixes impeccablement cadrés, de jeux de lumières parfaitement maîtrisés et d'un rythme lent, on se retrouve toujours devant d'incroyables métrages oniriques souvent tintés de poésie et ce, même si le sujet de base est assez sombre. C'est pour cela que j'aime découvrir chaque nouvelle bobine du Monsieur ; et, lorsque j'ai appris que son nouveau bébé avait été totalement tourné en France avec des acteurs français, ma curiosité n'en fut que plus attisée. Je ne vais pas m'attarder trop longtemps car je ne peux cacher ma déception devant "Le Secret de la Chambre Noire" mais cela me peine beaucoup de devoir critiquer Kurosawa alors que je n'ai jamais eu rien à lui reproché jusqu'à aujourd'hui. Tout d'abord, on ne peut que dire que nous sommes bien devant un film de Kurosawa : 01) un environnement « décomposé » (usines délabrées, terrains vagues, immeubles en construction, vastes demeures en ruine, des bâches aux fenêtres, une végétation envahissante...) 02) des personnages réfutant la réalité, n'arrivant plus à faire la différence entre vivants et morts 03) la présence de spectres illustrant une condition psychologique (
la double culpabilité du père et de Jean
) 04) la réalisation maîtrisée qui filme le surnaturel de façon théâtrale, hypnotique et mystérieuse (les cadres fixes sur des jeux de lumières précis, les vibrations des sons, l'abus de hors champs, le miroitement des surfaces...) 05) une ambiance mélancolique et onirique proche de la poésie morbide. 06) des thématiques récurrentes et indissociables les unes des autres (l'amour pur et aveugle, la dualité modernité/tradition, l'ébrèchement de la famille, la précarité des conditions de travail) 07) une ambiguïté constante entre réel et folie...bref je n'étais absolument pas en terrain inconnu...cependant, il y a quelque chose qui m'a vraiment dérangé : j’ai l’habitude des films de Kurosawa et de leur rythme lent (j’aime beaucoup "Cure", "Doppelganger", "Retribution" ou encore "Charisma") mais là, ça passe vraiment pas. Je ne sais pas si c’est le fait que le film soit tourné en France (je sais : je ne suis pas très fan du cinéma frenchie mais je ne cherche pas pour autant à le dénigrer constamment !), mais on dirait que c’est encore plus LENT que d’habitude…sincèrement, c’est comme si j’avais vu une course d’escargots…au ralenti !!!! C’est dingue, avec le rythme habituel, le film serait passé comme une lettre à la poste…mais là je trouve qu’il y a facilement 15-20 minutes de trop qui ne servent à rien : les supprimer n’aurait absolument pas nuit à l’ensemble ! C’est réellement LE point noir qui plombe le film…et c’est dommage car l’histoire et le twist final sont vraiment bien : ce film me laisse totalement perplexe ! Revenons sur un point positif : le casting. Oui, sur ce coup là, c’est une belle réussite : Tahar Rahim qui est réellement bluffant dans son rôle de l’amoureux éperdu, Olivier Gourmet qui campe un père aussi touchant que méprisable pour une étonnante prestation, et Constance Rousseau est envoutante en charmante jeune fille s'effaçant peu à peu par amour pour devenir une sorte de mort-vivante phantasmagorique. Ils forment un triangle inbrisable qui soutient sur ses épaules le récit en participant grandement à l'étrange atmosphère surréaliste du métrage. Encore une fois, Kiyoshi Kurosawa nous livre une bobine onirique où le refus du réel flirte avec le surnaturel (Marie dit bien, en parlant de son père : « A force de mélanger l’illusion et la réalité, il finit par ne plus faire la différence entre les morts et les vivants. »). Cependant, à cause d'un rythme encore plus contemplatif qu'à l'accoutumée, "Le Secret de la Chambre Noire" peut perdre facilement son auditoire. En matière de projet de film français confié à un cinéaste étranger, je dois avouer que Paul Verhoeven s'en est mieux sorti avec "Elle". Malgré tout, je trouve cette initiative très intéressante et attend de voir les prochains....à quand un film « Made in France » chapeauté par Lars Van Trier, Takashi Miike, David Cronenberg, Takeshi Kitano, Sono Sion, Alex de la Iglesias ou encore Shinya Tsukamoto ?