Saajan Rodrigues, veuf depuis peu et sans enfant, est quinquagénaire. Il a été employé (au service "réclamations") pendant 35 ans dans la même entreprise et s'apprête à prendre sa retraite anticipée (il retournera sans doute alors dans l'ancienne enclave portugaise voisine, Goa, où il a ses racines - il a un patronyme lusophone, et est catholique). Il bénéficie, comme de très nombreux salariés de la capitale économique indienne, d'un service original : on lui apporte au bureau son déjeuner, en "lunchbox". Le sien est préparé par un restaurant près de chez lui. Les préposés, qui acheminent les repas à vélo, et grâce à divers transports en commun, d'un bout à l'autre de la tentaculaire Bombay, quasiment tous analphabètes, se repèrent dans les commandes avec la couleur des protections artisanales. Système qui a fait ses preuves ! Harvard, qui a étudié le procédé, a relevé un taux d'erreur de 1 pour 1 million ! Or, Ila, une jeune mère au foyer qui sent son mari se détacher d'elle, vient d'adhérer au service de Dabbawallahs ("Dabba" est le titre original du film). En confectionnant de délicieux petits plats, chaque jour différents, conseillée par la "tantine" (en Inde, appeler "tante" et "oncle" les personnes âgées en général est une marque de respect) de l'appartement au-dessus du sien, avec laquelle elle communique à la voix et par paniers, et sollicitant un carnet de recettes familiales, elle espère bien le reconquérir. Mais l'impensable se produit, et c'est Saajan qui reçoit sa "lunchbox" - quand Rajeev, le mari volage, recevra, lui, les choux-fleurs du restaurant de Saajan ! Comprenant d'emblée la méprise, Ila joint à l'envoi du lendemain un petit mot. Commence alors un échange épistolaire inédit entre la ménagère esseulée et l'employé modèle misanthrope. Ils vont rêver ensemble du Bouthan himalayen, à fort pouvoir d'achat pour la roupie indienne, le pays du BNB (Bonheur National Brut - enterré cependant "en vrai", notons-le, depuis la crise). Se rencontreront-ils ? En dépit de leur écart d'âge (Saajan pourrait être le père d'Ila, aisément), de leur situation de famille (la jeune femme est mariée et mère d'une petite fille) ?...
Très loin des tragédies et romances (délicieusement) outrées de Bollywood, cette réalisation (mélancolique, tout autant que tonique) de Ritesh Batra, son premier "long" (rendu possible après moult récompenses de ses courts-métrages, à l'international - et en coproduction avec la France et l'Allemagne) est une très bonne surprise. Excellente étude de moeurs (place de la femme dans la société du sous-continent, marché du travail, importance de la famille et des traditions, etc.), et délicate histoire, parlant sentiments, (fausse) "fracture" générationnelle (le récit principal se doublant de la relation entre Saajan et Sahaikh, le premier en mentor, d'abord très réticent, du second), transmission de valeurs.... Toutes questions universelles. Avec un "exotisme" de bon aloi. Mise en scène discrète, rythme "oriental" dépaysant, interprètes convaincants. 1 h 42 de "feel-good-movie" bienvenu !