« Tom à la ferme » relève d’une incroyable complexité tant au niveau du symbolisme qu’il exprime que dans le choix de la mise en scène extrêmement stylisée et sophistiquée. On y trouve matière à de nombreuses lectures, et il y plane, de fait, une aura de mystère qui perdure bien après que le film soit terminé… Xavier Dolan, petit prince du 7ème art acquiert avec ce film toutes ses lettres de noblesse, et rejoint la cour des grands. Entre malice caustique d’un Hitchcock, et l’aridité subversive d’un Kubrick, il signe un thriller glaçant, à la parfaite maitrise.
« Tom à la ferme » est un film sur l’imposture et par là sur même l’évitement : l’abnégation que choisit Tom pour ne pas affronter le vide du deuil, l’aveuglement de la mère qui refuse de voir le monstre névrosé qu’est son fils aîné, le déni ultra violent de Francis à propos de son homosexualité. Ces trois destins que tout sépare, sont reliés à un fil invisible, Guillaume, amant de l’un, fils cadet de l’autre, frère pour Francis. Tous se voilent la face, et projettent sur l’autre un salut illusoire. De ces faux semblants, aux duperies, de cette hargne à cette haine, personne n'en sort indemne. Surtout pas le spectateur, pris en otage lui aussi et qui cherche à comprendre. Les questions trouvent leurs réponses dans la mise en scène implacable de Dolan, sous forme d’un jeu de piste, qui, d’un plan, d’un dialogue ou d’une scène, délivre, jamais au moment attendu, les clés de compréhension de ce drame malsain et opprimant. La pièce de Bouchard dispose de la puissance des mots, Dolan y ajoute la violence de l’image et les miasmes d’une ambiance plombée par le mensonge. Le volet technique contribue également à alourdir l’atmosphère, à commencer par une photographie de clairs et d’obscurs habiles. La bande originale ponctue le rythme avec une partition énigmatique et symphonique, dont seul Yared à le secret, qui s’estompe peu à peu, au fur et à mesure que progresse le drame, au profit de chansons plus ordinaires. Le montage incisif et fugace accentue encore l’angoisse. Quant à l’interprétation, Dolan, Pierre Yves Cardinal, Lise Roy et Evelyne Brochu (toutes deux faisant déjà partie de l’aventure théâtrale) sont prodigieux.
Par sa totale maitrise, « Tom à la ferme » se hisse directement dans la catégorie film d’une génération, il est le sombre reflet du mal de vivre, et la perte d’espoir que beaucoup subissent. Victor Hugo écrivait dans « L’homme qui rit », « Je représente l'humanité telle que ses maîtres l'ont faite. L'homme est un mutilé ». Bouchard et Dolan nous en apportent une belle illustration.