L’internaute AlbertJeanJean a beau avoir assassiné le dernier film de Mel Gibson (et c'est courageux), il a raison sur un point : le cinéaste est un très grand réalisateur. Il l’a prouvé par le passé, mais a fait languir son public après 10 ans d’inactivité à la réalisation. Avec "Tu ne tueras point", il opère un retour en grâce remarqué par tous. Soyons honnêtes, il n’a rien perdu de sa superbe pour emmener le spectateur au pays des émotions fortes, et cette capacité a été saluée par une vibrante standing ovation de 10 minutes au festival de Venise. Alors qu’en est-il vraiment ? Eh bien on prend une sacrée paire de baffes. La première gifle reçue concerne l’esthétisme : le réalisateur a mûri, ça se voit. Car il a su donner la pleine mesure de la forte intensité émotionnelle dans les ralentis ; ensuite, il a étoffé son chef-d’œuvre (car ça en est un) d’un brin de poésie, avec des séquences telles que celle où on voit courir les enfants dans un champ de blé, ou encore celle où il filme la tyrolienne comme s’il voulait porter un ange vers les cieux. Mais avant tout, nous savions tous que Mel Gibson sait prendre son temps pour nous présenter la psychologie du personnage phare. "Tu ne tueras point" se distingue en deux parties, indissociables. La première dresse un exposé du vécu de Desmond Doss qui va expliquer les choix singuliers (forgés plus par son passé que par ses convictions religieuses) de ce drôle de ce petit homme chétif, des choix que (comme la bande annonce nous l’a annoncé) n’ont fait que lui rapporter railleries, brimades et consorts. Un portrait qui remporte indubitablement l’attachement du public envers ce personnage. La deuxième partie sert de mise en œuvre de ses idéaux, dans un monde de chaos et d’horreur. On ne peut que saluer la prestation toute en nuances d’Andrew Garfield, dont le trait de caractère principal et immuable est l’idéalisme. A la fois benêt avec son sourire un peu gaga sur les bords, naïf, et résolument entêté, il emporte d’abord la sympathie du public, pour ensuite gagner l’adhésion la plus complète. Mais résumer ce film à la seule qualité d’interprétation de l’acteur serait un grave préjudice aux personnages secondaires, tout simplement parce qu’ils contribuent à la construction du personnage d’une part, ensuite parce que le sort de ce Desmond Doss n’aurait pas été ce qu’il est. On pense évidemment au père de Desmond, un vétéran de la Grande Guerre notoirement alcoolique incarné par Hugo Weaving sans être extraordinaire. On pense à Dorothy Schutte (Teresa Palmer), dont le rôle a été réduit à sa plus simple expression alors même qu’il a sa propre importance, tout comme Smitty Ryker (Luke Bracey). Mais on pense surtout au sergent Howell, pour lequel le comédien Vince Vaughn apporte beaucoup de consistance : certes il sert à merveille le cliché du tyrannique sergent chargé de la formation des nouvelles recrues, mais il a le mérite de nous apporter les premiers vrais sourires, si on met de côté ceux qui ont été provoqués par les exquises maladresses de Desmond à l’égard de sa belle. Et puis surtout, c’est Luke Pleger qui va amener des rires bien francs, par le biais de différents entre lui (Milt Zane, dit "Hollywood") et le sergent, au prix de situations cocasses parsemées de quelques répliques savoureuses, et tellement… à propos. Donc oui, la phase de construction du personnage est on ne peut plus maîtrisée. Et quand vient la démobilisation, accrochez-vous aux accoudoirs (aïe aïe aïe les pauvres) car ça va secouer ! C’est là que nous avons droit à la deuxième claque : nous avons droit à une immersion subite et totale dans l’horreur de la guerre, et nous comprenons alors l’interdiction faite en salles aux moins de 12 ans. Et encore, c’est un peu limite, avec des bras et/ou des jambes arrachées. Et je ne parle pas des images encore plus gores ! Cela dit, ce ne sont pas que les images qui sont choquantes : le son l'est aussi. Car la répartition du son est excellente : si vous êtes bien placés (de préférence au milieu, voire encore 1 ou 2 rangées devant), ce qui impose de vous rendre à la séance parmi les premiers (attention car le film fait salles combles), vous entendrez certes les explosions, mais aussi tirer tout autour de vous. A gauche, à droite, devant, derrière, avec les projectiles qui fusent de partout, sans compter les bruits d'impact J’avais mis en avant la bande son de "Deepwater", mais là… c’est encore plus impressionnant. Impressionnant, mais d’un réalisme à vous en couper le souffle. A côté de cela, on notera la jolie partition de Rupert Gregson-Williams, lui qui a eu la lourde tâche de remplacer le regretté James Horner. Discrète, elle accompagne merveilleusement chaque moment clé du film, et va même jusqu’à renforcer encore un peu plus les moments de tension les plus éprouvants. En plus de ses grandes qualités techniques, qu'elles soient visuelles, acoustiques, artistiques et narratives, ce qui caractérise "Tu ne tueras point" est son aspect profondément humain, et c’est là qu’on reconnaît la patte de Mel Gibson. Un trait qu’il a en commun avec un autre grand réalisateur : Clint Eastwood. Cela a pour avantage de nous amener une superbe photographie, à plus forte raison dans une esthétique aussi soignée. Pour moi, "Tu ne tueras point" est un grand film, un chef-d’œuvre incontestable, et je défie quiconque n’aimant pas les films de guerre de ne pas apprécier ce film (j’en connais qui en sont sortis bluffés, pour ne pas dire enchantés). D’ailleurs, "Tu ne tueras point" n’est pas un film de guerre comme les autres. Le seul regret réside en le fait que le titre version originale n’ait pas été gardé, car c’est bien le lieu de la bataille qui a été le théâtre de ce destin hors du commun, sans compter que l’exposition de sa résolution quant au 6ème commandement est à l’encontre des valeurs du véritable Desmond Doss. A noter, l'incrustation avant le générique de fin de quelques interviews qui confirment la véracité de certains faits. 5/5, mais si je pouvais donner plus...