Avec un titre pareil, c’est donc bien évidemment la thématique du pardon qui domine dans ce film. Un pardon constamment au cœur du scénario, qui apparait régulièrement dans les dialogues, notamment dans ceux entre l’archevêque Tutu et le prisonnier Piet Blomfield, et qui atteint son paroxysme lors de la scène de l’ultime session de la Commission Vérité & Réconciliation. « Je retiens de ce film qu’il n’est pas faible de pardonner. » dira Forest Whitaker à l’issue du tournage. Une valeur éminemment fondamentale pour Roland Joffé qui, lors d’un entretien que j’ai pu avoir avec lui, me définissait le mot comme étant à ses yeux ce qu’il appellerait la vulnérabilité de l’autre qui se trouve être aussi notre propre vulnérabilité. « Ce moment où l’égo s’évanouit et où l’on se sent faire partie de quelque chose de plus grand. C’est l’égo de la souffrance qui souvent nous bloque ou l’égo de l’oppresseur qui emprisonne. » Pour lui, le pardon permet aux deux égos de s’effacer pour permettre la rencontre humaine.
Forgiven nous raconte tout cela, et allant même au-delà, en nous présente la possibilité de la rédemption. On observe ainsi dans le personnage de Piet Blomfield une forme de transfiguration progressive. Du mal incarné il entre dans une paternité bienveillante par positionnement, adoption, transmettant même un héritage… et ce à la fois au contact de Desmond Tutu mais aussi par un travail mémoriel. En repensant au titre de la pièce de Michael Ashton « l’Archevêque et l’Antéchrist », on peut voir chez Blomfield cette personnification de l’Antéchrist, le mal, avec un inversement de rôle qui advient, en devenant finalement une sorte de figure Christique, se sacrifiant pour que la vérité soit annoncée et opérant, dans le même temps, un acte de rachat. Pour Roland Joffé, le pardon prouve, en effet, la justesse du concept de rédemption, que les êtres humains sont capables de changements profonds, qu’ils se saisissent de cette possibilité� ou non.
Mais le pardon n’est pas la seule thématique forte du film. Joffé aborde logiquement dans ce contexte sud-africain, post apartheid, la question du racisme sans tomber dans un manichéisme facile. Un racisme qui a marqué les vies, les esprits, les cœurs et que l’on retrouve aussi d’une façon amplifiée dans l’environnement de la prison dans laquelle est enfermée Blomfield. Et on découvre alors notamment la violence et l’impact psychologique des mots. Si les actes peuvent évidemment provoquer les plus grandes souffrances, les paroles sont aussi génératrices de blessures extrêmement profondes.
On observera d’ailleurs dans le scénario l’attention toute particulière portée aux dialogues d’une précision redoutable. Forgiven n’est pas un film bavard. Les mots sont considérés ici comme des perles rares, choisis scrupuleusement pour développer des dialogues cinglants, extrêmement efficace. Quelques-unes de ces perles en vrac : - L’aberration c’est la brutalité. Pas l’amour - Vous ne pouvez revenir en arrière ou changer votre passé mais vous pouvez choisir là où vous allez - Vous n’êtes pas un ange déchu et je ne suis pas Dieu... nous ne sommes que des hommes - Une journée gâchée ? Non... j’ai pu vous voir ! - Les larmes n’ont pas de couleurs...
Et puis il y a la question du deuil et du besoin humain d’avoir certaines réponses dans la mort d’un proche, celle des marqueurs de l’enfance qui construisent ou déconstruisent un individu. Joffé utilise aussi admirablement la métaphore de la maladie, et du cancer plus précisément, nous introduisant là dans la prise de conscience de la difficulté de la réconciliation qui s’obtient éventuellement dans une forme de long combat contre un mal, telle une tumeur, qui cherche à nous ronger de l’intérieur. Enfin, il y a la lumière de l’amour qui éclaire, qui éblouit parfois au cœur même des ténèbres d’une histoire de haine, de violence, et de mort.
Tant de sujets portés brillamment par une interprétation remarquable. Face à face intense entre Forest Whitaker que l’on ne présente plus et Eric Bana que l’on avait vu précédemment dans le rôle de Hulk mais aussi dans Troie, Munich, Le Roi Arthur ou Star Trek. Mais c’est aussi l’ensemble du casting qui est à féliciter, plein de justesse, et tous porteurs d’une émotion diverse qui impacte le spectateur sans excès, comme il le faut. Car finalement, ce que l’on retient dans Forgiven, ce sont les personnages et leurs histoires. Une démarche volontaire de Roland Joffé qui m’expliquait avoir voulu se concentrer sur eux. « On commence naturellement avec des grandes idées : commission, élections, l’Afrique, l’histoire... mais après il fallait surtout que je dirige vers les personnes et c’est pourquoi j’ai choisi de concentrer sur les visages, que le spectateur puisse sentir les individus. Alors bien sûr il y a des respirations mais on retourne toujours à ça. C’est ça la vérité ! Il faut que l’on regarde l’autre dans les yeux. Je voulais jouer vraiment avec ça, avec les face à face sans chercher à s’en échapper. » me disait-il.
Forgiven sort ce 09 janvier sur les écrans français et mérite immensément de prendre le temps de se poser un peu moins de deux heures dans un fauteuil confortable d’une salle de cinéma. Un vrai divertissement de qualité et profondément utile à l’existence humaine !