Malgré une affiche 4 étoiles et un sujet brulant, Ridley Scott n'a pas réussi à créer l'événement. On aurait pu imaginer le film calibré pour les oscars, mais Ce "Counselor" (titre original) restera très probablement mal-aimé, avec des critiques désastreuses des 2 côtés de l'Atlantique et un joli flop au box-office américain.
Un échec potentiel qu'on peut mettre sur le compte d'une méprise : ce n'est pas un gros film de studio dans lequel Ridley Scott a entraîné la 20th Century Fox, mais bien un essai qui ressemble à un indépendant, et dont la bizarrerie et la nonchalance finit pourtant par fasciner.
Les masques tombent dès la scène d'ouverture pré-générique, sous les draps caliente de Penelope Cruz. Ils s'aiment, ils se désirent, ils en parlent, et déjà quelque chose ne tourne pas rond, l'ambigüité et le danger flottent doucement dans l'air. Longue, étirée, bavarde, limite gênante, la scène pose ce que sera le film : un puzzle d'émotions et de danger, de dialogues et de fuites, sans réel fil directeur.
Malgré l'arrivée de toutes ces stars dans le champ, malgré ses décors bling-bling et ces guépards domestiquées, Cartel ne fait pas illusion. Dans ce cadre tellement fréquenté par le cinéma (les Coen en particulier, mais on se rappelle aussi de Traffic) et les séries télé (Breaking Bad, évidemment), le script du grand écrivain Cormac McCarthy ne prend aucune ligne droite, et préfère se perdre dans les méandres d'une narration tellement sinueuse et déstructurée qu'on ne comprend jamais complètement tout ce qui se passe à l'écran sur le moment.
C'est un des charmes de l'écriture de McCarthy, et une des nombreuses bizarreries du film : on ne connait pas tout, on ne comprend pas forcément pourquoi Pitt et Fassbender discutent devant une Heineken dans ce bar un peu glauque. Alors c'est le reste qui prend le dessus : le danger, le goût du risque, la trajectoire forcément tragique de ces petits trafiquants, dont certains se croient hors de portée. L'ambiance et les mots prennent le dessus sur un fond volontairement brouillé et effacé.
Déstabilisant, le film l'est aussi par sa manière de passer brutalement d'un cadre à un autre, de Chicago à Juarez en passant par Londres et Amsterdam. Cette narration déstructurée permet aussi de faire basculer les personnages, de transformer des seconds rôles en pièces maitresses, et inversement. On pourra trouver l'univers de McCarthy encore trop étalé, trop fourmillant et pas assez rigoureux pour le cinéma, mais ses dialogues font mouche et il a surtout le chic pour tout retourner et pour surprendre, ce qui constitue une vraie bouffée d'oxygène dans le monde corseté des scénarios de films de studios.
Javier Bardem ressemble à un hystérique camé ? Il est presque calme pendant tout le film.
Michael Fassbender a l'air propre sur lui ? Pas vraiment.
Brad Pitt n'est qu'un fantôme ? Pas si sur.
Cameron Diaz débarque en blonde écervelée et nymphomane ?
On comprend vite que ce n'est pas si simple. Un jeu sur les apparences fascinant, qui donne une grande profondeur à un ensemble visuellement très clinquant.
Car au delà des tunnels de dialogues et des voyages express, c'est bien de drogue et de règlement de compte dont on parle. La violence est dans l'air, il faut juste attendre qu'elle explose à l'écran. Du gore, des exécutions cliniquement préparées et exécutées, du sexe en et avec une voiture...autant de scènes hallucinées que Ridley Scott se fait un plaisir d'attendre patiemment avant de nous les faire exploser à la figure, jouant avec ses personnages avec un sadisme à peine dissimulé.
Quel bonheur de voir la grosse artillerie hollywoodienne s'égarer dans le désert. Qu'un vieux renard comme Riley Scott mette son métier au service de l'entreprise est en tous cas une très bonne surprise