J'ai eu l'occasion de voir Michael Kohlhaas en avant-première. C'était le film qui m'avait le plus tapé dans l'oeil lors du dernier Festival de Cannes, et que je plaçais comme mon favori pour la Palme d'Or. Il n'a rien obtenu. Etand donné la présence de Denis Lavant et Bruno Ganz, deux de mes acteurs préférés, et de la réputation d'exigence du cinéma d'Arnaud des Paillères, c'était un film pour moi. J'avais peur d'être déçu, mais je ne l'ai pas été.
Librement inspiré du court roman d'Heinrich von Kleist, classique absolu de la littérature allemande, il met en scène une histoire splendide, retranscrite dans la France du XVIème siècle, à cheval entre le monde médiéval et la Renaissance. Michael Kohlhaas subit une injustice, et il refuse de se laisser faire, veut absolument que justice soit faite, quitte à l'exiger par la force. Il entraîne une révolte populaire jusqu'à obtenir réparation.
La première chose qui frappe, c'est la puissance de jeu de Mads Mikkelsen. Il n'a pas eu de prix à Cannes cette année pour ce jeu, pour la simple raison qu'il l'avait déjà eu pour La Chasse de Vinterberg. Mais, ici, il le méritait amplement. Pour la petite histoire, Michael Kohlhaas a été tourné avant La Chasse, même s'il le premier est sorti un an après le second, pour des raisons de production ; c'est donc bien avec le personnage de Kohlhaas que Mikkelsen a atteint le point culminant de ses capacités d'acteur. Mention spéciale pour le fait qu'il a dû apprendre le français pour faire ce film, alors qu'il n'était pas du tout francophone avant. D'ailleurs, la nullissime critique du Figaro ne s'arrête qu'à l'accent du danois, sans comprendre que cet accent est un élément fondamental pour montrer la marginalité de Kohlhaas dans son siècle ; cela appuie sa révolte et son protestantisme, au-milieu d'une société d'ordre catholique. Autre remarque sur l'acteur : son incroyable force dans la scène de l'accouchement de la jument : c'est lui qui met au monde le poulain, et il doit le faire comme s'il faisait cela tous les jours, alors que c'est bien évidemment la première fois, et qu'une seule prise pouvait être faite. Chapeau bas, donc.
L'esthétique d'Arnaud des Pallières se retrouve dans sa façon de filmer la nature et les corps. La première scène, montrant un grand paysage de lande, tournée dans le Vercors, est très caractéristique : le vent, les cigales, les mouches. Puis, les visages filmés de très près, et les dialogues qui ne sont pas compressés, mais mis au même niveau que les éléments naturels. C'est filmé comme dans la vie, de manière dépouillée pour ce côté-ci, ce qui rapproche plutôt d'un cinéaste comme Tarkovski. Même si c'est un film historique, ce n'est pas le côté historique du film qui marque le plus, mais plutôt ce qu'il a d'universel dans son humanité, comme le Andréï Roublev du maître russe.
Par rapport au livre, le réalisateur agrandit grandement le personnage de Lisbeth, la fille de Kohlhaas, interprétée par Mélusine Mayance. Le film se centre donc autour de la relation père-fille qui s'instaure après la mort de la mère. Les scènes ensemble sont d'une très grande intensité, gonflé d'un silence pas du tout pesant, mais qui montre l'incapacité qu'ont les deux personnages d'exprimer ce qu'ils ressentent ; ils ne peuvent dont que le faire sentir, faire sentir leurs intuitions, jusqu'à la rupture finale, qui constitue un échec étant donné que Lisbeth ne peut prononcer qu'un "Tu me fais mal aux mains" déchirant.
La violence est présente dans le film, violence de la société médiévale se "civilisant" mais bientôt en proie aux guerres de religion. Il y a d'abord la scène de la vengeance de Kohlhaas, qui détruit le château du baron ayant causé la mort de sa femme, dans laquelle le marchand tue un homme à mains nues d'un coup sec, et qui m'a fait craindre un simple film de vengeance, à l'américaine ; mais heureusement le film est ensuite très rapidement reparti de l'avant. Et puis il y a la scène de la pendaison, filmé avec une grande lenteur et une grande précision, si bien qu'elle reste humaine ; elle est coupée par l'apparition de Luther, joué par Denis Lavant ; c'était sympathique de le revoir, même s'il est loin du niveau qu'il atteint d'habitude avec Leos Carax, notamment dans Holy Motors, qu'il tournait au même moment.
Le film sort demain. J'irai sans doute le revoir. Pour moi, il est pour l'instant le film de l'année, celui qui sort de l'ordinaire, qui touche à des problématiques esthétiques fascinantes, tout comme Holy Motors l'année dernière. Je vous le conseille chaudement.