Le thème de l'homme qui, étant victime d'exactions et ayant épuisé tous les recours possibles, estime qu'il n'a plus d'autre choix que de s'ériger lui-même en justicier de sa propre cause, ce thème a déjà été abordé bien des fois au cinéma et tout particulièrement dans nombre de westerns. "Michael Kohlhaas" précisément, au fil de plusieurs de ses scènes, a tout à fait l'allure d'un western, avec ses hommes chevauchant leurs montures dans des paysages cévenols qui, par moments, ressemblent à s'y méprendre à certains paysages de l'ouest américain. Avons-nous donc affaire à un thème rebattu et à un film manquant d'originalité? Pas du tout, car même les thèmes ou les sujets les plus ressassés peuvent apparaître comme nouveaux pour peu qu'on sache leur donner une couleur ou un ton inédit. Or ce qui fait, à mon avis, l'originalité de "Michael Kohlhass", c'est que le thème de la justice y est abordé d'une manière très précise en résonnance avec la foi chrétienne et avec des références bibliques. C'est un théologien en effet qui, au coeur même du film, dans ce qui m'a semblé en être la scène la plus significative, rappelle à l'insurgé Michael Kohlhaas les exigences de la foi chrétienne et lui fait en quelque sorte sentir ainsi dans quelle folie il s'est engagé.
Mais reprenons les faits depuis le début sans bien sûr dévoiler la totalité de l'intrigue et en se gardant de raconter l'issue vertigineuse du récit. Arnaud des Pallières a adapté un roman d'Heinrich von Kleist en le transposant dans les Cévennes du XVIe siècle. Un marchand, Michael Kohlhaas, en route vers une ville pour y vendre des chevaux, se trouve arrêté dans sa course par une barrière. C'est un seigneur local, un baron, qui, au mépris de toutes les règles, a pris la décision d'exiger un péage de quiconque veut passer sur ses terres. Michael Kohlhaas s'insurge mais se voit contraint de laisser en gage deux de ses chevaux jusqu'à ce qu'il revienne et s'acquitte de la somme due. Mais, à son retour, il découvre que ses chevaux ont été terriblement maltraités et que le valet qu'il avait chargé de leurs soins a disparu. On le retrouvera plus tard, blessé, mordu par des chiens qu'on a lâché sur lui. Michael Kohlhaas demande justice, mais il n'obtient rien. Il finit même par envoyer sa femme intercéder pour lui auprès d'une princesse. Mais la violence n'épargne rien ni personne et, en désespoir de cause, Michael Kohlhaas ne voit plus d'autre issue que de prendre les armes, que d'entraîner à sa suite les paysans de la région et que de se venger par la guerre.
Michael Kohlhaas qui lit la Bible, qui connaît l'Evangile, sait bien qu'il y est exigé le pardon des ennemis, mais son appétit de justice l'emporte sur toute autre considération. A quel prix? Au prix du sang! Est-il permis de se faire justice soi-même et, pour ce faire, d'entraîner avec soi des hommes qui le paieront de leur vie? Le théologien qui interpelle Michael Kohlhaas lors de la scène la plus importante du film lui pose ces questions. Au nom de la justice, Michael Kohlhaas n'a-t-il pas ouvert la porte à mille injustices plus graves encore que celle qu'il a lui-même subie?
Ce film puissant apparaîtra peut-être à certains un peu trop sage, un peu trop classique, dans sa réalisation. Il y a aussi, ici ou là, l'une ou l'autre scène quelque peu confuse, il faut l'admettre. Mais ces défauts mineurs sont largement compensés par la force de ce récit, par les plans superbes qui émaillent le film d'un bout à l'autre, et aussi et surtout par le jeu des acteurs, à commencer bien sûr par le danois Mads Mikkelsen, impressionnant dans le rôle titre. Mais les autres acteurs et actrices ne sont pas en reste: ainsi la fillette qui joue de le rôle de l'enfant de Michael Kohlhaas; elle apparaît à la fois comme une fille aimante et comme un reproche vivant pour un père qui a emprunté des chemins de désastre!