"The Immigrant" ou l’envers du rêve américain. Avec ce 5ème film, inspiré semble-t--il de son histoire familiale, James Gray a choisi de plonger dans le passé. Nous sommes dans les années 20, l’époque où l’Europe ruinée par la grande guerre envoie ses pauvres par bateaux entiers. "Les Mariées" de Pantelis Voulgaris, et "Golden Door" d’Emmanuel Crialese, deux films européens, avaient déjà traité le sujet de l’immigration des femmes. La traversée en était le temps fort, c’était sur le bateau que se cristallisait l’espoir d’une vie meilleure. Mais Gray est américain. L’histoire d’Ewa, il l’a fait démarrer en Amérique, à Ellis Island, la grande gare de triage des immigrants, à la fois porte d’or et centre de rétention. Séparée de sa sœur, atteinte de tuberculose, condamnée à être renvoyée en Pologne, Ewa est sauvée in extremis par Bruno Weiss, un souteneur qui l’avait repérée - officiellement, patron d’une troupe de théâtre burlesque (la scène comme antichambre du bordel). Ewa va bien sûr devoir vendre son corps…. Après avoir inventé un genre, le film noir familial, et signé coup sur coup 3 chefs-d’œuvre ("Little Odessa", "The Yards"," La nuit nous appartient"), puis nous avoir surpris avec un pur film d’amour ("Two Lovers"), Gray livre ici son premier mélo. On retrouve évidemment quelques uns de ces thèmes fétiches : l’opposition du bien et du mal, comment leur discernement est compliqué par l’irruption du sentiment, la trahison, le sacrifice comme tentative de rédemption… On retrouve aussi, pour la 4ème fois, Joachin Phoenix, impérial ici en mac cupide et manipulateur, rongé par l’amour. Qui à part lui, pouvait rendre les tourments de cette âme malade, lui donner cette densité, cette versatilité magnifiques ? A ses côtés, Marion Cotillard est carrément époustouflante. Belle et expressive comme une actrice du muet, et à mille lieues de ses précédentes compositions, elle incarne une Ewa inoubliable. La mise en scène de Gray est classieuse, la photo de Darius Khondji d’une beauté saisissante. D’où vient alors que ça ne marche pas tout à fait ? Qu’on regarde cette histoire comme derrière une vitre, sans être touché vraiment, sans jamais retrouver les accents bouleversants de "Two Lovers" ?… L’intrigue peut-être, cette histoire d’un autre temps, qui tient d’ailleurs moins de Dostoievski, que de la Comtesse de Ségur ou d’Hector Malot, version adultes.