Badia (Soufia Issami) est une Louise Wimmer (dont elle a la hargne, le côté revêche) de Tanger, et plus encore une Rosetta dont elle a les déambulations frénétiques. Survivre, survivre. Elle s'élabore des règles de conduite, des dictons délirants. Elle se nettoie en frottant jusqu'au sang: elle travaille dans une usine de conditionnement de crevettes, où tout le monde se méfie d'elle. Elle n'a pas d'amies, sauf une, Imane (Mouna Bahmad), douce et plutôt suiviste, qui vit dans la même "pension" qu'elle, un gourbi sans eau courante où ces filles, venues d'ailleurs pour trouver du travail, ont atterri. Ah, on est loin du Tanger intello-chic cher à nos pipeules!
Le rêve, pour toutes les ouvrières-crevette, c'est de travailler dans la "zône". Là où on ne rentre qu'avec un laisser passer, dans de jolis minibus bien propres, là où on ne sent pas le poisson, là où on ne travaille que dans le textile, là où la confection occidentale à la mode fait fabriquer ses modèles.
Pour survivre, il faut faucher (je ne vole pas, je récupère). Pour mieux faucher et surtout mieux écouler la marchandise, les deux filles s'accoquinent avec deux jolies "textile", qui draguent des mecs riches, mais à qui Badia ne fait pas confiance. On va suivre les tribulations, très répétitives, du quatuor, du monde "blanc" du jour (peintures d'un blanc éclatant dans l'atelier ou les vestiaires, blouses et coiffes d'un blanc éblouissant des ouvrières) au monde sombre de la nuit. Et c'est là que le bât blesse: la réalisatrice, Leïla Kitani, dont c'est sans doute la première fiction, veut en faire trop. Elle veut faire genre, comme dirait ma grand mère.... comme si elle voulait épater le jury de son travail de sortie de la Fémis. Images sales, images floues, images brouillées, plans si rapprochés qu'ils en deviennent illisibles, et tout cela de façon terriblement répétitive, on perd le fil du film, et ça devient presque ennuyeux.
Le Maroc est absent. Le film aurait pû être tourné en Bulgarie, en Colombie. Le sacré est absent. Vous n'entendrez pas un seul "Inch Allah"..... C'est un film singulier, et un témoignage qui ne vous laisse pas indifférent.