Pourquoi les spectateurs comme nous se contentent-ils d’un beau scénario bien ficelé, d’une suite logique d’événements qui s’enchaînent sans trop d’invraisemblance ? Pourquoi n'aiment-il rien tant qu'une belle histoire émaillée de rebondissements jusqu'à une chute si possible peu attendue ? Comment donc ces spectateurs-là, que les spécialistes ne peuvent considérer comme des cinéphiles, partagent-il leur enthousiasme à la fin d’un film ? Généralement ils le racontent en commençant par : « C’est l’histoire de… », l’équivalent moderne et anglais de « Once upon a time… ». « Eve », c’est l’histoire banale d’Eve. C’est tout ? En fait, pas tout à fait, voire pas du tout. Car c’est l’histoire d’une star prototype, née moins à Hollywood [cette apparition presque drôle en contexte de la frimousse de Marilyn qui signera un beau contrat avec la 20th Century Fox quelques mois plus tard !] qu'à Broadway, une star qui se renouvelle comme le phœnix et se remplace comme les autres au gré des caprices du temps et des amours feintes, des roueries de critiques, des combines, des tricheries, des manipulations perverses. Au pays des illusions, « Eve » est une des meilleures illustrations de la différence entre la réalité, la vérité, l’illusion et le mensonge, peut-être aussi entre le mérite et la récompense... Toutes ces entités contribuent, à leur façon, à fabriquer de la gloire, indépendamment du travail et du génie. Et à la perdre... Et le décor, et la lumière, et la musique, et la mise en scène et… ET ? Nous, les amateurs de cinéma, nous ne vous concéderons qu'un nom, le nom d’une actrice née dans le Massachusetts, un État qui fut l’un des seuls à interdire les représentations théâtrales au siècle précédent : BETTE DAVIS !!! Et c’est ainsi qu’Eve [prononcez Yves], qui n’est pas Bette Davis mais qui l'a été [sic !] éclipse un peu Margo, qui ne l'est plus que pour un temps… Vous ne comprenez pas tout ? Regardez le film, lisez la légende de la « reine d'Hollywood » et écoutez bien les paroles de « Bette Davis eyes » de Kim Carnes. « Vous ne parlez pas d'Anne Baxter », protestez-vous. Oui, bien sûr, il y a aussi Anne Baxter qui tient le rôle titre, ce qui n'est pas rien. Non, ce n'est pas rien mais il y a Bette Davis...