Le bruit des vagues qui vont et viennent agit telle une berceuse dont notre héros est privé : sa surdité mêlée à son mutisme l’enferment dans son for intérieur où perce une large fenêtre donnant accès à un large horizon. Et cet horizon c’est la mer. Son véhicule pour entreprendre l’évasion ? Une planche de surf. Personnage énigmatique et solitaire, Shigeru nous est présenté comme un éboueur qui découvre sa passion sur le bord d’une route, non loin de la plage : une planche de surf, cassée, attend qu’on la détruise. L’objet fracturé fascine aussitôt le jeune homme dont la fracture langagière trouve ici un équivalent matériel. S’ensuit une romance entre une individualité et son moyen de rêverie, s’exerçant avec acharnement jusqu’à remporter une coupe, puis disparaître. À ses côtés se tient sa petite-amie qui projette dans l’horizon une même fuite : quitter Shigeru, tout recommencer. Elle commence néanmoins par contempler la mer, soucieuse de comprendre ce qui absorbe ainsi son compagnon. Takeshi Kitano met en scène un ensemble de rituels quasi religieux : d’abord le couple qui arpente la digue muni de sa planche, ensuite Takako qui plie les vêtements de son ami pendant qu’il part surfer, l’attente, le sourire sur les lèvres de celle qui s’amuse des chutes. Une voisine vient draguer le beau garçon en l’absence de sa chérie. Indice du délitement amoureux. Et en dépit des différentes trajectoires suivies par les personnages, tout les ramène à se croiser, à retrouver le chemin de la cérémonie au terme de laquelle se produira la disparition. A Scene at the Sea n’élabore bien qu’une seule et même scène, préparée et répétée ad nauseam, dans le silence le plus pieux qui soit. Cette scène, nous pourrions la lire comme la rupture d’un couple qui ne se comprend plus et ne supporte plus de devoir reproduire un cérémonial qu’aucune motivation passionnelle ne semble régir. Le mystère plane sur cette fin ouverte à plusieurs lectures (suicide, noyade, évasion ?) ; sans tenter de le réduire, disons simplement qu’il met un terme à la scène et aux petits tableaux statiques qui la composaient, qu’il achève cette romance sans paroles qui bouleverse et envoûte tout à la fois.