Il s'agirait donc d'un clap de fin pour le grand Steven Soderbergh. Et pour ses adieux supposés, celui qui reste un des plus jeunes lauréats de la palme d’or livre peut-être son plus beau film. Ou s’il n’est pas son meilleur, c’est sans doute le plus intelligent, le plus fin. Derrière un récit en grande partie biographique, le portrait de Liberace et de son amant Scott Thorson, se cache un formidable film de monstres. De Liberace, nous autres français ne savons pas grand chose, si ce n’est son héritage véhiculé par des popstars adeptes des tenues de scène les plus extravagantes possible (Elton John, Madonna…). Comment donc réussir à captiver l'attention sur un personnage méconnu ? La réponse de Steven Soderbergh est formidable, flamboyante, car il délaisse à la fois le biopic et la romance homosexuelle pour aller beaucoup plus loin, à travers quelque chose d’universel et non centré sur ce freak aux tenues étincelantes. Ma Vie avec Liberace, qui est d’ailleurs plus le portrait de Scott Thorson que celui de Liberace, est une sorte de tragédie antique transposée dans le kitsch du début des années 80, sorte de croisement monstrueux entre la grandeur de Boulevard du crépuscule et le romantisme baroque de Dracula. De Liberace, l'Amérique en aura retenu une figure extravagante, cultivant le kitsch outrancier, des performances télévisuelles incroyables, le célèbre candélabre, et une fin tragique avec une image souillée pendant les années sida. Un destin abominable pour un être hors du commun dont l’héritage vit encore. De cette figure essentielle de la culture américaine, Steven Soderbergh tire un drame étonnant qui évite de tomber dans le pur cliché et, de plus, propose une variation à peine camouflée autour d’un thème à la fois romantique et horrifique : le film de vampires. Liberace y est une créature hors du temps, de par son apparence physique et son univers de dandy brillant de mille feux, fasciné par Dorian Gray. Il est un monstre (la chirurgie esthétique accentuant encore cette sensation, jusqu’à l’empêcher dormir) possédant une force d’attraction fantastique, entraînant dans sa chute le jeune Scott Thorson. Ainsi, si la construction du récit en elle-même n’a rien de bien original, de par sa linéarité ou son recours à des ellipses très classiques, c’est bien dans son appartenance au cinéma de genre que Ma Vie avec Liberace étonne. Tous les thèmes du cinéma et de la littérature vampirique y sont représentés. En tête, l’attraction fatale donc, cette étrange force qui rend beaux les monstres et leur permet d’exercer une pression magnétique sur leur proie. Ajoutons à cela que les personnages principaux ayant une relation homosexuelle qu’ils doivent garder cachée (le récit se situe à la fin des années 70 et pendant les années 80), ils sont considérés comme des parias, le tout accompagné d’un romantisme très victorien jusque dans la direction artistique. Et de ces références marquantes, s'affiche une sorte de dénonciation de la part de Soderbergh. Sur les dangers notamment de le chirurgie esthétique, en filmant quelques passages durant l'opération assez crades. Et sur cette obligation de cacher son orientation sexuelle au public, toujours d'actualité, surtout en France. Ainsi, Ma vie avec Liberace est un biopic remarquable franchement complet. Michael Douglas livre une de ses plus belles prestations au cinéma depuis des lustres dans la peau du magnétique et effrayant Liberace, son désir d’entrer dans la légende résonnant étonnamment avec la carrière de l’acteur. De son côté, Matt Damon montre ici une nouvelle facette de son immense talent, toujours plus surprenant et inattendu. L’ensemble manque peut-être d’émotion, suffisamment pour ne pas être bouleversé par le destin de ces êtres étranges, mais il faut bien avouer que cette passion vampirique déguisée en téléfilm de luxe est d’une finesse remarquable.