Après un long périple européen (trois films anglais et un espagnol), Woody Allen revient à New York pour la première fois depuis 2004 et "Melinda et Melinda". Ce retour représente aussi une forme de voyage dans le temps, puisqu'il reprend une idée abandonnée en 1977 avec le décès de Zero Mostel, le Max Bialystock des "Producteurs", à qui il pensait confier le rôle de Boris Yellnikoff. Cette odeur de Woody Allen "à l'ancienne" se sent dans un certain nombre de caractéristiques, même s'il est certain que la réplique où Boris constate que bien qu'il y ait un afro-américain à la Maison Blanche, il y a encore des chauffeurs de taxi pour refuser des clients noirs n'a pas dû être écrite il y a 32 ans.
Parmi ces caractéristiques , on retrouve des dialogues logorrhéiques mis dans la bouche non pas de Woody Allen lui-même, mais de son ersatz : gringalet, dégarni et binoclard, Larry David, vedette de la série "Larry et son nombril", semble avoir été choisi pour sa ressemblance avec le réalisateur, et la similitude ne s'arrête pas à l'acteur, puisque le personnage épouse une très jeune femme.
Autre réminiscence de la période classique, l'idée de faire s'adresser Boris aux spectateurs, aimablement qualifiés de "Neandertaliens", et qui rappelle la descente de l'écran du héros de "La Rose pourpre du Caire", ou le floutage poursuivant Robin Williams dans "Harry dans tous ses états". Bien sûr, seul Boris l'omniscient a conscience de la présence de mangeurs de popcorn, même si un de ses copains agite la main dans notre direction tel un candidat des Jeux de 20 heures.
Contrairement à l'annonce que nous fait Boris selon laquelle "ce film n'est pas l'Oscar de la joie", on rit beaucoup, à la fois aux aphorismes catastrophistes du physicien atrabilaire du type "Dans l'ensemble, on est une espèce ratée", à la pédagogie de Boris dans son enseignement des échecs aux enfants qui rappelle les cours de théâtre de Thierry Frémont dans "Un Ticket pour l'Espace", et aux situations nées du choc des cultures intellectuelles juives new-yorkaises et chrétiennes-conservatrices sudistes.
Boris déteste la télévision, sauf quand elle passe des vieux films de Fred Astaire ou de Franck Capra, et la citation de ce dernier n'est pas un hasard. En effet, il y a un côté "La Vie est belle" dans ce film où tout peut arriver à partir du moment où le réalisateur l'autorise, comme la conversion au ménage à trois (en français dans le texte) d'une bigote confédérée, le chemin de Damas gay de son mari et la présence opportune d'obstacles providentiels à chaque défenestration de Boris.
Revenu dans son pré carré, Woody Allen, a troqué la construction savante de ses dernières intrigues romantiques ou policières contre la fantaisie et la dérision de ses films new-yorkais. C'est différent, mais c'est bien aussi, et on a parfois l'agréable impression de découvrir un inédit qui nous aurait échappé dans sa filmographie quelque part entre "Zelig" et "Brodway Danny Rose".
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