Marion Laine, qui a réalisé un film d'1h45 à partir d'un récit de quelques dizaines de pages de Flaubert, évoque le passage de l'écrit à l'écran : "Mon adaptation s'efforce de s'affranchir du conte. Si j'avais voulu lui être fidèle, j'aurais choisi une ligne directrice austère, une comédienne au visage ingrat ; Liébard et Frédéric n'existeraient pas et Madame Aubain resterait en arrière-plan. Or, je voulais du lyrisme, de la passion, et en ce sens je me sens portée par l'oeuvre générale de Flaubert qui m'inspire et à laquelle je fais référence. Sa correspondance aussi m'a été d'une aide précieuse. J'adore sa violence, sa sensualité, sa trivialité. L'adaptation est également imprégnée de mes souvenirs, mes obsessions personnelles..." La cinéaste ajoute : "L'un des défis consistait (...) à réduire à vingt années les cinquante du conte. Il fallait donc toujours aller à l'essentiel."
L'équipe d'Un coeur simple a connu une terrible épreuve puisque la productrice du film Béatrice Caufman, qui avait notamment travaillé avec Cédric Kahn ou Jacques Doillon, est décès le 23 janvier 2007, soit quatre mois à peine avant le début du tournage. "Elle a porté ce projet pendant deux ans et s'est battue avec acharnement pour trouver le financement", souligne la réalisatrice, qui, suite à cette disparition, a fait appel à Jean-Michel Rey et Philippe Liégeois (Rezo productions), qui lui ont été présentés par l'époux de la défunte, Jean-Pierre Guérin.
Sandrine Bonnaire se souvient de son enthousiasme... et de ses réserves de départ : "Je connaissais Marion, elle m'avait présenté un projet que j'avais refusé. Quelque temps après, elle m'a proposé Un Coeur simple. Je n'avais jamais lu ce conte de Flaubert, et la première version du scénario a retenu mon attention. J'étais touchée par cette histoire, et intéressée par l'évolution de la relation entre ces deux femmes, Félicité et Madame Aubain. Mais cette mouture avait ses petites faiblesses. Je trouvais le traitement de la première partie beaucoup trop long, on prenait Félicité à l'âge de 18 ans, et je me voyais mal incarner une jeune fille de cet âge. Nous avons eu quelques séances de réécriture, puis Marion a peaufiné une version définitive qui m'a beaucoup plu. Pourtant j'avais encore quelques réticences, Félicité me paraissait loin de moi. Je déteste la campagne, je ne me voyais pas tuer le cochon ou plumer une poule, et j'ai peur des vaches ! En même temps, j'étais attirée par la force qui habite cette femme, sa volonté à aimer la vie, malgré tout. Je me reconnaissais dans son optimisme sans failles. Continuer à se battre et à avancer, quoi qu'il arrive, ce pourrait être ma devise."
Le tournage d'Un coeur simple a éveillé quelques souvenirs chez Sandrine Bonnaire.... "[J'avais] dit à Marion, ce film me rappelle Sans toit ni loi . Je me suis revue 20 ans en arrière, lancée dans un personnage où il faut totalement faire abstraction de son image, et ne pas hésiter à s'abîmer." Outre Mona (personnage du film d'Agnès Varda), Félicité lui a également rappelé une héroïne de la vraie vie, sa soeur autiste Sabine, à laquelle la comédienne a consacré un documentaire très remarqué : "Je retrouvais chez Félicité des points communs avec Sabine, cette forme d'innocence justement, de vraie naïveté, sa façon de s'exprimer avec son corps parce qu'elle n'a pas les mots. Et ce geste de se mordre la main, sa seule manière de dire sa colère, sa rage de ne pas pouvoir répliquer, de devoir se taire et d'accepter ce que les autres ont décidé pour elle..."
Marion Laine parle de ce qui l'a séduite dans le personnage de Félicité : "(...) je voulais montrer le côté animal d'une femme de peu qui se construit uniquement à travers le dévouement. Félicité irradie la tendresse, la foi inébranlable, l'amour qui manque au monde. Cette soi-disant " idiote " s'avèrera une " voyante " en nous donnant une leçon d'humanité. Félicité est une femme d'instinct. Quand elle aime, elle se donne entièrement. Quand elle souffre, elle crache sa douleur et passe à autre chose. C'est sa façon à elle de survivre, de laisser le chagrin derrière elle, d'aller au devant du bonheur, même si ce dernier est fragile. C'est l'anti Madame Bovary par excellence. Ne jamais s'apitoyer, ne jamais céder à l'esprit de vengeance, au ressentiment, éviter l'aigreur. C'est, au sens fort, une héroïne, mais son héroïsme gît dans sa simplicité."
Marion Laine revient sur sa passion ancienne pour l'auteur d'Un coeur simple : "J'ai passé mon enfance dans une maison sans livres et à la bibliothèque communale, il n'y avait que la Collection Rose pour assouvir ma soif de lecture (la section adulte était interdite aux moins de 16 ans !). En classe de 3ème, Madame Bovary était au programme et ce fut mon premier coup de foudre ! Je suis passée sans transition deFantômette à Flaubert. Un Coeur simple faisait écho à mes origines familiales. Ma mère et mes tantes gardaient les vaches, enfants. J'appartiens à une famille de paysans et cette histoire me permettait de parler d'eux, de leur rapport au corps, à la mort, à l'animal, à la nature qui n'a pas vraiment changé depuis. Malgré le côté film d'époque, cette histoire est intemporelle et je pense que chacun de nous peut en partie s'y retrouver."
Si on connaît surtout les nombreuses adaptations cinématographiques de Madame Bovary de Gustave Flaubert (de celle de Minnelli à celle de Chabrol), Un coeur simple, court récit écrit en 1876 et publié au sein du recueil Les Trois contes, a déjà été porté une fois à l'écran, en Italie. Adriana Asti, Alida Valli et Joe Dallesandro étaient les héros de Un Cuore simplice, réalisé par Giorgio Ferrara en 1977.
Le perroquet, qui joue un rôle non négligeable dans le récit, est crédité au générique : le Loulou de l'histoire est interprété par Scarlet'... "J'avais choisi un Eclectus, car son plumage est magnifique, il varie du rouge au grenat, du violet au bleu marine ; c'était une trahison car celui de Flaubert est jaune et vert", précise Marion Laine, qui ajoute : "Ce que j'ignorais, c'est que c'est un perroquet qui s'apprivoise difficilement et il en existe très peu en France ; mais nous avons eu beaucoup de chance et sur le plateau, les scènes avec Loulou et Sandrine ont été des moments de grâce."
La réalisatrice, dont c'est le premier long métrage après une série de courts, a déjà eu l'occasion de travailler certaines scènes avec ses comédiens dans le cadre de l'Université d'été d'Emergence. Elle fut en effet une des lauréates de la session 2006 de ces ateliers qui visent à aider de jeunes cinéastes sélectionnés sur dossier à mener à bien leur projet. Dans le passé, des premières oeuvres telles que Depuis qu'Otar est parti de Julie Bertucelli ou Podium de Yann Moix avaient ainsi bénéficié du soutien d'Emergence.
Un Coeur simple a reçu le Prix cinéma 2008 de la Fondation Diane et Lucien Barrière.
Au départ, la cinéaste avait pensé intituler son film Simple coeur.