J’ai mis du temps à voir "Christine", que je considérais, tout au plus, comme une petite série B sympa qui fleure bon la VHS d’un mercredi après-midi pluvieux. C’était négligé, un peu trop facilement, que ce film est l’œuvre des deux des artistes les plus emblématiques des années 80, à savoir Stephen King (auteur d’un nombre incalculable de best-sellers et grand habitué des adaptations de ses romans) et John Carpenter (un des plus grands metteurs en scène de cette époque et sans doute celui qui, avec Steven Spielberg, a su le mieux en retranscrire l’essence). Il n’y a, dès lors, rien de surprenant à ce que "Christine" soit un pur produit des années 80, dans le bon sens du terme. On retrouve, ainsi, la narration (avec le point de vue des ados qui prévaut sur celui des adultes), l’écriture des personnages (parfois un peu trop d’un seul bloc mais attachants) ou encore les décors des productions cultes de l’époque (ah ses petites villes américaines si typiques). "Christine" ne se contente pas, pour autant, d’être un simple produit de son époque et cumule les plus-values qui lui permettent, aujourd’hui encore, de tirer son épingle du jeu. Son ton, tout d’abord, s’avère assez surprenant, tant par son premier tiers
(où les jeunes parlent crûment de sexe, se tripotent de manière assez explicite dans les voitures ou affronte physiquement leurs parents)
que dans les deux tiers suivants où la violence n’est pas trop édulcorée,
que ce soit sur le plan des meurtres ou des réactions épidermiques des personnages
. Le plus épatant reste, à mon sens, l’évolution du jeune propriétaire de la voiture, Arnie (Keith Gordon, cabotin mais dans la logique du personnage) qui ne manquera pas de surprendre les spectateurs. Dans une production plus classique, ce genre de personnage aurait, avant tout, été
une victime possédée qui tenterait de lutter et s’en sortirait au dernier moment
. Ici, Arnie
se laisse totalement submergé par sa passion pour Christine et se transforme en psychopathe jusqu’au-boutiste au destin tragique
. Carpenter réussit, d’ailleurs, un coup de maître en laissant planer un doute, subtilement exploité, sur
son implication dans les agissements de la voiture (est-il au volant ou pas lorsque la voiture met à mort ses victimes ?), ce qui accentue la relation fusionnelle entre la machine et son propriétaire
. Il exploite, avec autant de talent la fameuse Plymouth Fury 1958 hantée d’un esprit dont on n’explique jamais l’origine… et c’est tant mieux. Carpenter pose comme un postulat de départ indiscutable le fait que la voiture soit vivante, ce qui permet de faire l’économie de scènes d’explication toujours un peu artificielles et d’enfoncer le clou de la nature métaphorique du récit. Car, ne nous y trompons pas : "Christine" parle, avant toute chose, de l’adolescence et des frustrations de cet âge. La voiture, objet d’indépendance par excellence, y est représentée un vecteur de liberté
qui transforme son propriétaire de geek timide et mal dans sa peau à bad boy arrogant et sûr de lui
. L’idée de lui conférer une conscience négative constitue une forme de lecture de l’adolescence assez novatrice… et plutôt pertinente. Les autres personnages sont, également, très réussis puisque le meilleur ami (John Stockwell) évite le piège de la caricature du joueur de football beau gosse et creux, la petite amie (Alexandra Paul) est extraordinairement belle et touchante (ce qui crée un affect immédiat avec son personnage, en danger de mort permanent) et le reste du casting aligne quelques "gueules" intéressantes (Harry Dean Stanton en flic, Robert Prosky en patron irascible, Roberts Blossom en vieil ermite bien glauque…). Enfin, Carpenter confirme son incommensurable talent lorsqu’il s’agit de concocter une BO de qualité (que ce soit la musique qu’il signe lui-même ou les vieux tubes rock des années 50 qui fonctionnent parfaitement) ou lorsqu’on parle d’effets spéciaux. Les reconstructions de Christine soient assez épatantes et valent bien plus que tous les effets numériques actuels qui se verraient tout de suite. Il parvient, ainsi, une fois encore, à convaincre des vertus des méthodes à l’ancienne où l’horreur était bien plus efficace lorsqu’elle était subtilement distillée et non bruyamment jetée à la tête du spectateur dans un tourbillon d’hémoglobine ou d’explosion en tout genre. "Christine" est, donc, bien plus qu’une simple série B… c’est un témoignage d’une époque pas si lointaine mais clairement révolue. A redécouvrir donc…