On sent, dans ce « Volver », tout le talent et l’envie d’Almodovar pour mettre en scène avec talent non pas seulement un pays avec ses contrées, ses paysages et ses traditions, mais aussi un trio d’actrices impressionnant de justesse. Qu’elles sont folles, les femmes qu’Almodovar met en scène : elles crient plus qu’elles ne parlent, font des gestes insensés pour pimenter des conversations dont on se ficherait si ces dernières n’étaient pas jouées avec une telle saveur pragmatique et prolongées à l’alambiquée par des lignes de dialogue qui ennuient un peu à l’usure mais sur lesquelles on tient tout de même bien la route. Alors on se réfugie, tête la première, dans les pans d’une affaire familiale avec son brin bien dosé de fantaisie. On observe, en même temps, les manières de (sur)vivre d’une famille, de la jeune à la plus vieille, et on descend le long du fleuve ainsi, l’esprit demandant toujours plus à un conte qui ne s’essouffle pas mais qui finit par nous perdre sur la fin du chemin. Car qui dit l’un des premiers films de Almodovar, dit pur délire et extravagance, que ce soit dans le scénario ou dans la mise en scène, et il est donc plus aisé de perdre le fil avec cette suite d’aventures empilées dans un ordre plutôt hasardeux. La plupart des films de ce réalisateur pourraient être remodelés en séries. Celui-ci sait infliger un pur suspense à des moments clés dans des séquences dont on n’aurait même pas imaginé, quelques instants plus tôt, en être étonné, voire surpris. Il y’a aussi un assez gros problème avec ce « Volver », c’est qu’il ne laisse pas assez de répit. Les personnages font tous des crises, la caméra est comme survoltée, le spectacle ressemble à du théâtre improvisé qui ne serait que trop bien joué par des interprètes sous l’emprise de trop de vitamines, voire d’une drogue trop épaisse prise sur le coup. Et, au lieu de provoquer un sentiment positif, ça énerve un spectateur qui entre déjà dans une affaire d’attouchement sur mineur et sur un meurtre. Le registre dramatique a un mal fou à démarrer si on lui attache un certain comique de situation juste après. Ou le drame est un pneu et le comique ses clous, et la voiture est lancée à toute vitesse dans cette trajectoire. Le film entreprend cette trajectoire, en faisant cela. Mais cela représente une qualité lorsque cette oeuvre part dans un autre registre, encore une fois bien familier des spectateurs : l’émotion. Elle jaillit d’une telle manière, avec une telle poésie et un tel savoir-faire, qu’il est impossible de ne pas en parler, car c’est une chose qu’on remarque avec rapidité dans les yeux des interprètes. Une effervescence de germes multicolores, une véritable explosion de chagrin transformée en courroux sauvage ou en une joie intense. Cruz et Dueñas se complètent avec grand talent, mais rien ne nous fera oublier la présence de cette Carmen Maura, magnifique de non-dits, perchée derrière ce siège de voiture, cachée à la vue de tous et de toutes, à écouter à et regarder cette fille chantant l’éponyme d’un titre, les yeux ensevelies par les larmes. Le meilleur passage du film, et de loin, pouvant transpercer un passage d’un sentiment unique, puissant, et tellement revigorant… Mais ça aussi, on est surpris de l’apprendre, et que bien après la fin de la projection.