Entre ses mains est l'adaptation cinématographique du roman Les Kangourous de Dominique Barbéris. Anne Fontaine avait découvert le manuscrit de ce livre dans le cartable de son fils. Prune Berge, responsable chez Gallimard du département cinéma, avait en fait confié ce texte à l'intention de la réalisatrice à une petite fille qui fréquentait la même école que lui. "L'insolite dema rencontre avec ce document a attiré ma curiosité, explique Anne Fontaine. J'ai été immédiatement intéressée par l'héroïne, une femme à la fois effrayée et fascinée par le même homme. Dans le livre, l'homme est abstrait, il n'existe pas vraiment. J'ai rencontré l'auteur pour lui demander si elle acceptait que je la “trahisse”. Dominique Barbéris m'a fait confiance. Ce qui m'intéressait, c'était de traiter, à partir d'une banale rencontre amoureuse, le glissement insensible du quotidien jusqu'à la folie et au tragique. Je tenais à ce que leur première rencontre se déroule dans le climat le plus naturel, le moins romanesque, afin de n'éveiller aucun soupçon chez le spectateur."
Anne Fontaine définit son film comme un thriller intime : "Je souhaitais créer une tension dramatique et tenir un climat de suspense uniquement sur des sensations, des émotions, avec une épée de Damoclès menaçant en permanence l'amour qui s'installe entre les deux personnages. Mais les codes du thriller ne m'intéressaient pas pour cette histoire. Je voulais que le spectateurentre directement en intimité avec Claire et Laurent, en traitant le presque rien, le non spectaculaire..."
Anne Fontaine était en train de monter le film quand lui est revenu en mémoire un souvenir qui brusquement lui a fait dire : “j'ai vécu moi-même l'amorce d'une situation analogue.”
A l'âge de 18 ou 19 ans, la réalisatrice avait en effet lu dans Libération la petite annonce d'un homme condamné à perpétuité qui cherchait une correspondante. "Pourquoi lui ai-je répondu alors que j'étais moi-même pleine de soucis à cette époque, je ne sais pas, explique la cinéaste... J'ai correspondu pendant un an avec cet homme. Un jour s'est posée la question de le voir. Je l'ai rencontré et j'ai donné comme condition à notre deuxième entrevue qu'il me révèle les motifs de sa condamnation, mais il a refusé catégoriquement. J'ai hésité assez longtemps avant de décider de couper le lien très particulier que j'avais établi avec cet homme. Je n'ai pas supporté de ne pas connaître sa vérité. J'étais déçue qu'il me traite comme quelqu'un qui pourrait le juger et qui ne serait pas capable de l'entendre."
Peu habitué aux rôles dramatiques, Benoît Poelvoorde a su donner, selon Anne Fontaine, une émotion rare à son personnage. "Il est d'une sobriété inquiétante dans ce rôle inattendu, explique la réalisatrice. Physiquement, je voulais un acteur qui ne soit pas trop beau garçon, tout en ayant du charme. Il fallait aussi que l'on ressente une sorte de douleur cachée. Je savais que Benoît saurait exprimer mieux que quiconque la fébrilité du personnage, son trouble, sa pudeur aussi. J'appréhendais sa réaction, me doutant que ce rôle puisse lui faire peur. Benoît a longuement hésité, car il pensait humblement ne pas être capable d'affronter ce personnage. Il m'a fait confiance."
Le travail fut parfois douloureux pour l'acteur, car la cinéaste lui refusait l'accès au moniteur vidéo. Or ce dernier a l'habitude de vérifier dans les comédies, après chaque prise, si son jeu fonctionne. Pour la première fois aussi, il a eu à tourner des gros plans muets.
Entre ses mains a été tourné à Lille durant les fêtes de Noël. Anne Fontaine s'en explique : "Une ville de province où tout le monde observe tout le monde est une caisse de résonance plus forte à la présence menaçante d'un tueur. Avec l'idée aussi que ce grand dérapage serait plus violent en période des fêtes de famille à Noël."
Anne Fontaine souhaitait une mise en scène plus brute, moins apprêtée ou théâtralisée que dans ses précédents films - Nettoyage à sec, Comment j'ai tué mon père -, avecun engagement plus physique. Elle a ainsi demandé à son chef opérateur Denis Lenoir de travailler avec une caméra à l'épaule discrète, pour créer à la longue cette sensation de vacillement et de dérapage.
Anne Fontaine a confié à Pascal Dusapin sa première musique de film. "C'est l'un des plus grands compositeurs français de musique contemporaine, raconte la cinéaste. J'ai beaucoup aimé la façon dont il m'a parlé du film. A l'exemple d'un acteur, la musique devait s'intégrer comme un élément à partentière au moment où les mots ne peuvent plus rien exprimer."