De battre mon coeur s'est arrêté est le remake d'un film de 1978, Melodie pour un tueur, de James Toback. "C'est Pascal Caucheteux, alors qu'il venait de finir de produire le remake d'Assaut de Carpenter, réalisé par Jean-Francois Richet, qui m'a demandé si la réalisation d'un remake pourrait m'intéresser, et si oui, lequel", explique Jacques Audiard. "La réponse m'a semblé évidente : c'était Fingers de James Toback. Pourquoi ? Bien sûr parce que le film m'avait marqué lorsque je l'avais vu à sa sortie. Mais sans doute aussi parce que c'était un film qu'on avait du mal à revoir, qui repassait peu et qui, à force, avait créé autour de lui un mystère supplémentaire".
Ce film, selon le réalisateur, "c'est un peu la queue de la comète du cinéma indépendant américain des années 70. (...) Quand j'ai revu le film avec Tonino Benacquista, je me suis demandé si je ne lui avais pas survendu ! Il y avait des trous énormes dans l'histoire, des hauts formidables mais aussi des bas redoutables. Et puis beaucoup de poses cinématographiques très datées". Ce que confirme le coscénariste du film : "Quand je l'ai vu, je n'ai pas été séduit, trop décousu, trop underground qui se cherche. J'avais des réserves sur la narration, j'y voyais les pièges d'une transposition aujourd'hui et en France. Partant de l'enthousiasme de Jacques et de mes réserves, nous nous sommes dit qu'en travaillant, nous allions trouver un objet commun".
C'est la seconde fois, après Sur mes lèvres (César 2002 du meilleur scénario), que l'écrivain Tonino Benacquista collabore avec Jacques Audiard. "Je n'avais pas vu Melodie pour un tueur quand Jacques m'a proposé de travailler sur l'adaptation. Tous les cinéphiles purs et durs en avaient un souvenir marquant et assez émerveillé. Ils se souvenaient d'Harvey Keitel pris entre le piano et la mafia, certains même inventaient des scènes qui n'existaient pas dans le film..."
Si Melodie pour un tueur prenait pour cadre le milieu de la mafia italo-new-yorkaise, l'intrigue de De battre mon coeur s'est arrêté se situe pour sa part dans le monde de l'immobilier. "En réflechissant avec Tonino", explique Jacques Audiard, "on s'est assez vite fixé sur le milieu de l'immobilier (...) et plus précisément celui des petits marchands de biens dont les agissements sont parfois immoraux et à la limite de la légalité. De plus, il y a, je trouve, un rapport analogique entre le voyou qui accapare des vies, et le marchand de biens qui accapare du terrain, de la terre avec des gens dessus. Dans les deux cas ils accaparent de l'inaliénable".
Pour affiner cette peinture du milieu, les deux hommes ont également revu ensemble Glengarry, de James Foley. "Milieu de l'immobilier, viril, sans concession, suintant. Un huis clos intéressant, à la fois très libre et très formel", selon le metteur en scène.
Autre différence marquante, "dans le film de James Toback, le personnage d'Harvey Keitel est ultra-camé, à la limite du pathologique. Je n'avais pas envie de ça, c'était trop simple. Trop explicatif. En revanche, j'avais envie d'un film qui aille vite, pas trop apprêté, pas 'formel' (même si je ne sais pas trop ce que cela veut dire), un film 'modeste' (idem). Je voulais que ça aille vite et en même temps que l'on soit suffisamment sur le personnage pour saisir l'émotion, la sensation".
De plus, comme le souligne Tonino Benacquista, si les deux coscénaristes ont "respecté la proposition de départ du film de Toback", c'était pour mieux "[s']en éloigner radicalement". Ils ont ainsi rajouté des personnages féminins, et supprimé le personnage de la mère, qui n'est plus ici vivante que dans le souvenir d'un fils qui espère embrasser la même carrière qu'elle. "Je crois", ajoute l'écrivain, "que le personnage qui ressemble le plus au film original est celui du père, joué par Niels Arestrup".
A ce sujet, pour la monteuse Juliette Welfling, qui a officié sur tous les films de Jacques Audiard, "De battre mon coeur s'est arrêté, c'est plus l'histoire des rapports d'un père à son fils. Le piano, pour Tom, c'est aussi un moyen. Ca lui permet de changer, de s'éloigner de son père et finalement de passer à l'âge adulte. De battre... raconte davantage l'histoire de ce fils et de ce père que l'histoire d'un malfrat qui veut réussir une audition".
Dans le scénario de départ figurait une scène de boîte de nuit dans laquelle Tom joue une chanson d'Axelle Red au piano. "C'était la deuxième ou troisième séquence", explique Juliette Welfling. "Après de longues discussions, cette scène a été coupée... Aussi bien que soit cette scène, elle présentait un Tom déjà trop différent de ses acolytes, trop du côté de l'art, trop prédestiné... Alors que l'idée était plutôt de lui faire faire le chemin, de montrer ses doutes, ses progrès, ses accélérations".
De battre mon coeur s'est arrêté est en grande partie tourné caméra à l'épaule, et cela pour une raison bien précise, selon Stéphane Fontaine, chef opérateur du film : "tout est filmé du point de vue de Tom, on ne s'y soustrait quasiment jamais. Sinon, et c'est immédiat, on sort du film qui est à la première personne. (...) La caméra l'accompagne, en plans séquences, à l'épaule... mais de manière discrète. Elle doit devenir un complément organique du personnage, ressentir la même chose, vivre les mêmes évènements, se trouver dans la même proximité avec les gens ou dans la même distance".
Une vision confirmée par Juliette Welfling : "Tom est omniprésent, on s'est aperçu que les choses ne marchaient que de son point de vue à lui. (...) C'est comme si le film avait développé des anti-corps et rejetait tout ce qui n'était pas dans le regard du héros".
Selon Tonino Benacquista, il s'agissait pour lui et Jacques Audiard de "montrer l'épanouissement d'un individu qui, pour la première fois de sa vie, se pose des questions et arrive à se surpasser. A partir du moment où on lui propose de passer une audition, la métamorphose est lancée. (...) L'une des manières de voir l'évolution de Tom, c'est l'acceptation des femmes dans son univers et sa manière de les regarder, de les écouter. Il franchit un cap".
Pour incarner Tom, Jacques Audiard "[avait] envie d'un acteur qui soit à un moment charnière, autant dans sa vie d'homme que dans sa vie professionnelle. Et que cela fasse partie intégrante du sujet du film. Par ailleurs j'avais besoin d'une figure assez juvénile, crédible dans le rôle du marchand de biens comme dans celui d'un 'music-addict'. Je vois Romain Duris bouger dans le paysage depuis une dizaine d'années, depuis Le Péril jeune où il n'avait que vingt ans. Je l'ai vu évoluer, changer, s'affirmer... (...) Romain crée un appétit. On a envie de tourner autour de lui, de le voir bouger".
L'actrice Linh Dan Phan, qui interprète ici le rôle de Miao-Lin, a été découverte dans Indochine de Régis Wargnier, où elle incarnait Camille, la fille adoptive de Catherine Deneuve.
Le succès du film (Oscar du meilleur film étranger 1993) a été suivi d'une longue parenthèse, durant laquelle la comédienne s'est interrogée sur l'orientation à donner à sa carrière : "Après Indochine, je n'avais toujours pas décidé ce que je voulais faire. J'ai fait des études de commerce à Paris, ensuite j'ai travaillé en Asie: à Singapour et au Vietnam. (...) Je n'étais pas prête à me lancer dans la carrière d'actrice. Au fond de moi, quelque chose me disait que c'était ce que je voulais faire, mais je n'étais pas assez courageuse pour le dire aux gens, à ma famille, à moi-même. (...) Mais un jour j'en ai eu assez, j'étais malheureuse. J'ai tout lâché pour aller à New York et faire une école d'acteurs, l'institut Lee Strasberg".
Pour Tonino Benacquista, De battre mon coeur s'est arrêté "n'est pas un film noir, même s'il y a de la violence, des revolvers, de la mafia, etc... Jacques et moi sommes empreints de série noire, mais ici cette imagerie ne nous intéressait pas. Il s'agit simplement de l'histoire d'un type qui passe à l'âge d'homme. De battre mon coeur s'est arrêté ne s'inscrit dans aucun genre. D'ailleurs, avec Jacques Audiard, on n'est jamais dans aucun genre en particulier".
Le personnage du père de Tom, interprété par Niels Arestrup, est pour le réalisateur "un personnage ogresque. Un ogre s'il est bien conçu, doit avoir une voix douce féminine, au-delà de son physique très mâle et très autoritaire... Poucet doit entendre la douce voix de sa mère dans l'ogre pour que son échine se froisse... Niels Arestrup a une voix comme cela. Très timbrée, féminine, susurrée... Mais les micros saturent, c'est la voix du Diable". La figure du père permet ici d'étudier les rapports filiaux, et plus précisément "ce moment où les pères deviennent les fils de leurs fils, et par voie de conséquence, celui où les fils découvrent qu'ils sont mortels".
Tonino Benacquista n'est pas d'un autre avis, même s'il est persuadé que malgré la violence des rapports entre Tom et son père, "on ne peut douter qu'il y ait de l'affection entre les deux. (...) Le père est autoritaire, il a la mainmise sur son fils qu'il prend pour son exécutant, mais en même temps, il l'appelle et lui demande de l'aide. Tom le protège. Comme il est dit dans la scène pré-générique, le rapport père/fils peut s'inverser. Le père commence à s'effacer, il devient fragile, il a besoin d'assistance".
Le titre du film reprend un passage de la célèbre chanson composée par Jacques Lanzmann et Jacques Dutronc, et interprétée par ce dernier, La fille du père Noël.
La musique, que Tom écoute sans arrêt dans le film, est un élément essentiel du quatrième long-métrage de Jacques Audiard, comme peut l'indiquer son titre. "La question posée à Alexandre Desplat (compositeur de la musique du film, récompensé à la Berlinale 2005) était assez spécifique : composer une musique qui puisse se glisser entre la musique de source et Jean-Sébastien Bach. Alexandre a essentiellement travaillé le personnage de Tom, afin d'accompagner ses états d'âme. (...) C'est une musique qui suit Tom. Je ne sais pas si le terme 'musique psychologique' existe, mais ce serait presque cela".
Par ailleurs, Jacques Audiard a choisi pour l'audition de conserver la Toccata en Mi mineur de Bach que jouait déjà Harvey Keitel dans Melodie pour un tueur. "Les Toccatas sont des pièces parfois austères, ardues, et souvent virtuoses. C'est une musique géométrique, sans effusion, sans romantisme. Si Tom avait du jouer du Schubert par exemple, il aurait du interpréter, y mettre du pathos, de l'expression. Du coeur. Or ce sont justement là les problèmes de Tom : peut-il s'exprimer et a-t-il un coeur ? Seules des pièces comme les Toccatas sont pour lui envisageables parce qu'il s'agit de jouer les bonnes notes à la bonne vitesse et dans le bon ordre".
La costumière Virginie Montel a commencé par habiller Tom comme ses collègues. "Mais cela ne fonctionnait pas. Tom était transparent. (...) On ne percevait rien de son univers intérieur. Le monde de Tom s'est concrétisé lorsque Jacques a proposé le casque, un vrai 'truc' de musicien". Pour ce qui est de la façon dont le personnage campé par Romain Duris devait être chaussé, il fallut également tatônner un peu au début : "on a du essayer quinze paires de boots. Elles sont très importantes car elles donnent une démarche, une assise à Tom. Il faut déjà avoir une forme de confiance en soi pour pouvoir mettre des pompes pareilles ! (...) Tom est comme un coq, il a quelque chose de très latin. C'est le toréador, à la fois gracieux et viril. A la fin du film il ne porte plus ses boots à talons parce qu'il a changé".
Quant à la veste jaune du père de Tom, elle fait référence à Melodie pour un tueur. "Un clin d'oeil auquel Jacques Audiard tenait. Le jaune, dans les années 70, c'est assez justifié. Aujourd'hui, nettement moins. Il fallait assumer ce parti pris sans rendre le personnage du père ridicule ou hors époque. C'est d'ailleurs pour cela qu'il ne porte que la veste du costume. La veste jaune de Robert, c'est un peu comme les boots de Tom. Ils ont un point commun dans ce truc de personnalité très assumée, ce qui les différencie de Fabrice ( Jonathan Zaccaï) et de Sami (Gilles Cohen) qui, eux, à l'inverse, glissent vers des codes sociaux plus conformistes".