Incendies est le quatrième long-métrage de Denis Villeneuve. Avant cela, il a tourné Un 32 août sur Terre (1998), encensé par la critique et qui concourt en sélection officielle dans de grands festivals (Un certain regard à Cannes, Festival de Toronto et Telluride). Son deuxième film, Maelström, reçoit, quant à lui, vingt cinq prix à travers le monde. Emmené par une Marie-Josée Croze exceptionnelle, le film raconte comment une femme à qui tout réussit se trouve confrontée à la culpabilité après avoir fauché un passant. En 2009, sort sa troisième œuvre, Polytechnique qui relate les événements dramatiques qui se sont déroulés en décembre 1989 à l'école Polytechnique de Montréal: un jeune homme, Marc Lépine tue 14 personnes, toutes des femmes, dans une classe d'ingénierie clamant haut et fort qu'il abhorre les féministes.
Incendies est une adaptation de la pièce de théâtre écrite par Wajdi Mouawad. Faisant partie d'une trilogie comprenant trois œuvres-Littoral, Incendies, Forêts- l'auteur y évoque la difficulté de l'exil, lui qui a été contraint d'abandonner le Liban alors qu'il n'avait que huit ans. La pièce, qualifiée de "texte monde" par Antoine de Baecque, a été encensé lors de sa parution. Le critique de théâtre ajoute: "Ce sera la pièce des débuts du XXIe siècle, celle d'une bouleversante quête initiatique, celle d'une odyssée des origines, celle des trajets et des migrations, celle du choc des cultures entre l'Occident et l'Orient, celle où se croisent la question de l'intime, du singulier, et les violences des guerres, des communautés malmenées par l'histoire"
Alors qu'il assiste à la représentation de la pièce de Wajdi Mouawad, Denis Villeneuve a une révélation, les images sont tellement fortes et puissantes que germe l'idée d'une adaptation: "J’ai reçu le texte dans la figure et suis sorti du théâtre sur les genoux (...) Le texte d’Incendies est comme une partition d’un grand compositeur classique : il inspire directement des images fortes." Par la suite, convaincre l'auteur n'a pas été difficile: "Wajdi a accepté de me « prêter » Incendies après avoir lu une cinquantaine de pages d’esquisse que je lui ai proposées. Il m’a fait le plus beau des cadeaux : celui de la liberté." précise le réalisateur.
Le film oscille entre lyrisme et réalisme, il a fallu trouver un juste équilibre entre ces deux genres qui fondent l'esthétique du cinéaste: "J'ai opté pour la sobriété d’un réalisme cru, en conservant le facteur mythologique de la pièce à l’aide d’un travail sur la lumière naturelle et les ombres. L’émotion ne doit pas être une fin mais un moyen pour atteindre l’effet de catharsis désiré.". Pour corroborer l'effet de réel de certaines scènes, le cinéaste a souhaité travailler à la fois avec des acteurs professionnels et des amateurs, les directrices de casting ont largement contribué à la réussite de ces séquences: "Lara Atalla, la directrice du casting jordanien a eu envie d’approcher des réfugiés irakiens pour leur donner du travail. Ils ont beaucoup donné au film. Le défi a été de travailler sur les accents de tout le monde pour cibler un accent arabe de la région du Golan" rapporte le cinéaste.
Si le casting des jumeaux s'est avéré laborieux ainsi que celui de Mélissa Désormeaux-Poulin qui interprète un des rôles principaux, celui de Jeanne Marwan, Denis Villeneuve a cherché partout celui qui pourrait jouer Simon, le frère de Jeanne pour finalement choisir Maxim Gaudette qui tient le rôle-titre du tueur dans Polytechnique. L'acteur quasiment inconnu du grand public a également fait une apparition dans le film canadien Les 3 p'tits cochons.
L'actrice francophone aux origines espagnole et marocaine ose dès le début de sa carrière des films engagés: on la voit dans le thriller politique Paradise Now de Hany Abu-Assad en 2006. Avant cela elle a joué pour André Téchiné (Loin), Tony Gatlif aux côtés de Romain Duris dans Exils ou encore pour Ridley Scott dans Mensonges d'Etat .Denis Villeneuve raconte comment il a rencontré la jeune actrice :"J’avais vu Lubna Azabal dans Paradise Now de Hany Abu-Assad et Exils de Tony Gatlif. C’est Constance DeMontefoy, la directrice de casting de Paris qui m’a suggéré de la rencontrer. C’est une comédienne extraordinaire qui possède naturellement la force, le feu sacré de Nawal. Lubna est Nawal."
Antoine de Baecque, toujours, a également vu le film du québécois. Le pari d'une adaptation était risqué compte tenu de la grande valeur littéraire de l'œuvre initiale. Pari tenu? " (...) La puissance universelle de cette écriture exigeait cette confrontation autant que cette fusion avec le cinéma, et ses manières, souvent très différentes, de visualiser, de monter, d'incarner les histoires. Denis Villeneuve a tenté ce pari, et le relève avec sa propre personnalité, celle d'un des cinéastes québecquois les plus talentueux de sa génération". (Article extrait des éléments presse)
La pièce ne fait aucune mention d'un lieu précis où se déroule l'intrigue, on sait juste qu'il s'agit d'un pays du Moyen-Orient. On peut supposer que l'histoire se passe au Liban, le pays natal du dramaturge mais d'autres interprétations sont possibles et le doute n'y est pas fortuit. C'est pourquoi Denis Villeneuve décrit ce texte comme "un champ de mines historiques". Le tournage s'est finalement déroulé en Jordanie mais le réalisateur a respecté le flou inaugural: "Beyrouth ou Daresh ? Cette question m’a hanté durant toute l’écriture du scénario. J’ai finalement décidé de faire comme la pièce et d’inscrire le film dans un espace imaginaire comme Z de Costa Gravas afin de dégager le film d’un parti pris politique. Le film traite de politique mais demeure aussi apolitique."
L'histoire racontée dans Incendies a beaucoup de points communs avec le mythe d'Œdipe : l'intrigue est similaire, les personnages du roman et ceux du mythe tentent tous de percer le mystère de leur passé et on retrouve également la question de l'inceste.