A propos de la présentation de son film au Festival de Cannes 2010, le réalisateur Alejandro González Inárritu précise: «Certains films vous entraînent vers des territoires dont on craint ne jamais revenir. Biutiful est un de ces films. Je l’ai écrit en pensant à Javier Bardem et je ne pourrais pas être plus fier du travail que nous avons accompli ensemble. Je suis heureux de présenter Biutiful en première mondiale en compétition au prochain Festival de Cannes. »
Inárritu se souvient du moment précis où le processus s'est lancé: "Un matin froid de l'automne 2006, pendant que mes enfants et moi préparions le petit-déjeuner, j'ai par hasard mis le concerto pour piano de Ravel, [mais] aux premières notes, mes enfants m'ont demandé d'arrêter". En effet, quelques mois plus tôt lors d'un trajet familial où ce même morceau les accompagnait, "la mélancolie, la tristesse et la beauté qui émanent de cette musique les avaient submergés" au point de fondre ensemble en larmes. D'où leur demande, bouleversée, ce matin-là : "Un personnage est venu frapper à la porte de mon cerveau ce jour-là : "Bonjour, je m'appelle Uxbal". J'ai passé les trois années suivantes de ma vie avec lui."
Dès l'écriture du scénario, Javier Bardem incarnait le rôle d'Uxbal dans l'esprit d'Inárritu. "Personne d'autre n'aurait pu apporter au personnage ce qu'il lui a donné." N'ayant jamais travaillé ensemble auparavant, ce rôle était le pont qu'il manquait. "Je n'aurais pas pu faire ce film sans lui, parce que pour moi, lui seul était Uxbal", affirme le réalisateur. Perfectionniste obsessionnel, travailler avec lui est parfois une expérience éprouvante qui peut décourager. Ici le contraire s'est produit. "Avec Javier, c'était comme réunir l'Ogre et l'Affamé... et chacun de nous voulait être satisfait".
Marqué par le tournage éreintant de son précédent film Babel, Inárritu avait pris l'habitude de plaisanter en disant que pour son prochain film, il ferait l'exact opposé et concentrerait tout sur un seul personnage, dans une seule ville, avec une histoire simple et sa propre langue. Ce n'était en fait pas une plaisanterie.
Si la forme s'oppose, le fond de ce film reprend un thème récurrent dans son cinéma : la paternité, vue sous tous ses angles. Le cinéaste reconnaît d'ailleurs son obsession : "la peur de perdre son père, de devenir père, et ce moment précis où vous commencez à devenir votre père et où vos enfants deviennent vous", explique-t-il. On comprend assez vite que ce tourment lancinant en cache un autre, profondément lié, celui de la perte. "Parce qu'au bout du compte, nous sommes aussi ce que nous avons perdu", tout simplement..
Adepte des récits entremêlés et des personnages complexes, le réalisateur a une méthode précise qui lui permet de tout mettre en place: "J'ai écrit une biographie précise de chaque personnage" révèle-t-il. "Les principaux, mais aussi les Chinois et les Africains. Chacun devait avoir un passé et une raison d'être afin qu'ils ne soient jamais utilitaires." Un système bien étudié: "Je l'ai fait pour apprendre à les connaître et pour aider les acteurs à comprendre d'où venaient les personnages qu'ils incarnaient".
Pour ce film, comme pour les précédents, Inárritu a pu travailler la composition musicale avec un groupe d'amis avec qui la communication relevait de l'évidence, et au-delà. "Atteindre le pays des souvenirs, des désirs, de la logique, des rêves, de la suggestion et de la réalité subjective de la lumière et des images", tels étaient leurs objectifs.
Biutiful a été présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2010. A cette occasion, l'acteur principal Javier Bardem, s'est vu récompenser du Prix d'interprétation masculine.