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    Hollywood, machine à broyer : Frances Farmer, de la gloire à l'asile psychiatrique
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Premier portrait de notre série consacrée à ces talents victimes d'Hollywood, Frances Farmer, actrice intelligente et rebelle, sensible, est sans doute l'illustration la plus tragique de la machine à broyer hollywoodienne.

    Machine toujours prompt à fabriquer et vendre du rêve, univers factice où l'on cultive ardemment l'entre-soi, l'usine hollywoodienne a aussi fracassé au cours de son Histoire de nombreux destins d'hommes et surtout de femmes à l'esprit trop rebelle ; ou, en tout cas, jugés trop inaptes à se glisser dans le moule tyrannique du glamour et des paillettes. Quand ce ne sont pas les faits divers sordides qui émergent des arrières-cuisines de la nouvelle Babylone... La dépression et le tragique destin de la comédienne Frances Farmer, actrice intelligente et sensible, à fleur de peau même, mais aussi individualiste résolue au tempérament autodestructeur, en est sans doute l'un de ses plus éclatants et tristes symboles.

    Ce portrait est le premier d'une série de cinq consacrés à de fameuses personnalités victimes de la machine à broyer hollywoodienne.

    Frances Farmer, "l'invivable fauteuse de troubles"

    Née en septembre 1913 à Seattle dans l'Etat de Washington, fille d'un avocat réputé, Frances (Elena) Farmer se fait très tôt remarquer par sa vivacité d'esprit, sa curiosité, son intelligence, et son goût prononcé pour l'écriture. En 1931, alors élève de la West Seattle High School, elle gagne le Concours d’écriture créative avec son essai God Dies, et remporte 100 $. Premier coup d'éclat pour Frances, et premier scandale. Le sujet de sa dissertation et son Prix sont relatés dans le journal local sous ce titre : "La fille de Seattle rejette Dieu et gagne le Premier Prix". Volontiers indépendante, même si son père peut subvenir aux besoins de la famille avec trois enfants à charge, Frances Farmer effectue plusieurs petits boulots, comme ouvreuse au cinéma ou serveuse, pour payer ses études à l'université de Washington. C'est là qu'elle étudie le journalisme, puis l’anglais et l’art dramatique. Actrice dans plusieurs pièces étudiantes, elle remporte les suffrages des critiques, ce qui alimente à la fois la satisfaction par procuration de sa mère mais aussi la frustration de celle-ci; elle qui rêvait de faire une carrière d'actrice à Hollywood... En 1935, elle remporte un nouveau concours, organisé par un journal marqué politiquement à gauche, The Voice of Action. Premier prix : un voyage en Union Soviétique. En dépit des protestations de sa mère, Frances prend le bateau pour l’URSS. Plus tard, ces deux événements de sa vie joueront un rôle important dans la naissance de violentes rumeurs, qualifiant la jeune femme d’athée communiste...

    Au retour de son voyage, Frances s'arrête à New York plutôt que de retourner directement à Seattle, dans l’espoir d’y devenir actrice de théâtre. C'est là qu'un agent la repère et la persuade de signer un contrat de sept ans chez Paramount. Gagnant rapidement le surnom de la "nouvelle Garbo" grâce à sa beauté, Frances démarre sa carrière sur les chapeaux de roue, occupant la première place de l’affiche dans deux films de série B, dont l’un avec Bing Crosby, Rythm on the Range. En 1936, son premier grand rôle, dans Le Vandale, est salué par la Critique. En 1937, elle interprète le rôle principal dans la production théâtrale Golden Boy écrite par Clifford Odets et le premier rôle féminin dans L'Or et la Femme de Rowland V. Lee. Prêtée à Samuel Goldwyn par la Paramount, elle tourna aussi dans plusieurs films à succès, dont Le Chevalier de la vengeance avec Tyrone Power, ou Le Voilier maudit avec Ray Milland.

    Le début des ennuis

    Mais Frances est frustrée par la manière dont sa carrière est gérée par la Paramount, qui met en valeur davantage sa beauté que ses réels talents de comédienne. A une époque où les Majors contrôlent toutes les facettes de la carrière de leurs pépinières de talents, le caractère indépendant et anticonformiste de Frances Farmer pose problème. Détestant le Star System, fuyant les soirées mondaines, elle déclare en plus régulièrement ne rien aimer à Hollywood, sinon l'argent. Dès le début de sa carrière, les reproches commencent déjà. Peu de temps après avoir signé son contrat avec Paramount, Frances est convoquée par le staff du studio pour un recadrage. On lui reproche son comportement jugé non glamour, ne de pas porter de chapeau dans la rue, tandis que ses chaussures et son manteau sont jugés indignes de la mode. "Les fans de films attendent plus de choses de la part de leurs vedettes préférées" lui souffle-t-on. La réponse de l'actrice, cinglante, est fidèle à sa (trop grande) franchise : "Je n'ai jamais rencontré quelqu'un du bureau de la direction, donc je ne saurai pas m'y rendre. Auriez-vous l'obligeance de monter et de leur porter un message de ma part ? Leur direz-vous que s'ils prêtaient autant d'attention aux rôles qu'ils offrent à leurs actrices qu'ils n'en accordent à leurs tenues, nous ferions probablement plus d'argent eux et moi ?" Autant dire que ce genre de propos résonnent presque comme une déclaration de guerre, d'autant qu'elle a eu le malheur de se mettre à dos le Mogül Adolph Zukor et d'autres magnats.

    Ses ennuis sérieux commencent le 19 octobre 1942, à la suite d'un incident banal : conduite en état d'ivresse, sans permis et pleins phares dans une zone de restriction lumineuse. Au commissariat, elle fait bondir les policiers en leur répondant "suceuse de bites" à la question concernant son métier. Un juge la condamne à 180 jours de prison avec sursis et à 500 $ d'amende. En janvier 1943, n’ayant pas réglé la totalité de son amende et pour ne pas s'être présentée devant son agent de probation, accusée par une coiffeuse du studio de lui avoir démis la mâchoire, et même de s'être baladée en soutien-gorge au milieu de la circulation sur Sunset Strip à L.A., elle est finalement de nouveau arrêtée. Cette fois-ci dans un hôtel -le Knickerbocker-. La Police frappe à la porte de sa chambre, mais, n'ayant aucune réponse, rentre avec un double des clés. Frances, alors nue et ivre dans sa baignoire, devient hystérique.

    Son nouveau passage devant un juge est une nouvelle épreuve. Dévisageant la foule de photographes amassés autour d'elle, elle leur lance un "fumiers ! fumiers ! fumiers !" Lorsque le juge Hickson -beaucoup moins bienveillant que le précédent- l'interroge sur son addiction à l'alcool, elle s'emporte et hausse le ton : "Ecoutez, je mets de l'alcool dans mon lait. Je mets de l'alcool dans mon café et dans mon jus d'orange. Vous voulez quoi ? Que je meurs de faim ? Je bois tout ce que je trouve, même de la benzédrine". Remonté, le juge la condamne à sa peine effective de 180 jours de prison. Dans sa fureur, elle jette un encrier à la tête du juge chargé de l'affaire. Frances tente de s'enfuir pour appeler son avocat, lance un coup de poing en direction d'une gardienne, et envoie même un policier au tapis.

    La descente aux enfers

    Dans le même temps, sa carrière artistique, jadis au zénith sous les auspices de la Paramount, dégringole  jusqu'au Nadir de la production bas de gamme, sous la tutelle de Monogram Pictures. Sa mère explique alors à des journalistes de Seattle que les difficultés de sa fille ne sont qu'un coup de publicité destiné à lui procurer l'expérience concrète du cachot. "Ils devraient envisager pour elle un film avec des scènes en prison, comme ça elle pourra jouer en s'inspirant de choses qu'elle a vécues" ose dire sa mère à la Presse. Tout en ajoutant, le plus sérieusement du monde, que les ennuis de sa fille sont dû au communisme international...

    Les services sanitaires qualifient alors Frances de malade mentale et recommandent de la placer dans le sanatorium de La Crescenta. Elle y reçoit 90 traitements-choc à l’insuline (cure de Sakel) et rentre au Western Washington State Hospital à Steilacoom d’où elle s’échappe. "Frances avait refusé de travailler en prison. Elle se retrouva collée dans un sanatorium privé pour y subir pendant trois mois les écrasantes injections quotidiennes d'une cure de Sakel; une pratique aujourd'hui complètement discréditée. Après l'horreur du sanatorium, l'attendaient dix années dans l'enfer absolu de l'asile psychiatrique. Elle fut déclarée folle en 1944 et placée dans la maison de fous de Steilacoom, dans l'Etat de Washington. [...]" écrit Kenneth Anger dans son ouvrage culte Hollywood Babylone (et publié pour la première fois en France aux éditions Tristram en 2013). "Son internement s'y révélerait le pire supplice auquel une star fut jamais soumise - la plus abominablement tragique des tragédies hollywoodiennes. Le purgatoire d'Hollywood [...] l'avait rendue malheureuse. Ses étoiles sans pitié la laissèrent en proie à un Enfer de camisoles de force, de lanière de cuir et de gardiennes démoniaques [...]. Sa chute avait suscité peu de compassion dans la cité glamour qui l'avait exploitée. Elle avait été une "invivable fauteuse de troubles", ils étaient ravis d'être débarassés d'elle".

    Sa mère, apprenant les traitements que sa fille a subis, obtient que la tutelle de sa fille soit transférée de l'État vers elle. Mais en 1944, Frances agresse sa mère qui la fait à nouveau interner. Après un séjour de trois mois, et un traitement incluant des électrochocs, Frances est déclarée guérie. Résidant toujours chez ses parents, elle profite d’une visite chez une tante pour fuguer. De nouveau internée en mai 1945, toujours sur ordre de sa "chère" maman, Frances reste cette fois-ci enfermée près de cinq ans. Commence alors pour elle un nouveau véritable enfer. Outre les conditions de vie, les humiliations et des traitements continuels d’électrochocs, elle aurait été victime de nombreux viols commis par le personnel soignant, comme elle le révélera dans un livre autobiographique publié à titre posthume en 1973, au titre on ne peut plus évocateur : Will There Really be a Morning ?

    D'autres affirmations sont malgré tout sujettes à caution. Un de ses biographes, William Arnold, affirmait que Frances avait subi une lobotomie trans-orbitaire, évènement que l'on trouve dans le (superbe) film qui relate sa triste vie, Frances, mais admit, lors d'un procès, qu'il avait inventé l'épisode. Toutefois, la propre soeur de Frances, Edith Elliot, révèle dans son ouvrage Look Back in Love, que leur père fit une visite au Western State Hospital en 1947, et arriva juste à temps pour stopper la lobotomie : "s'ils tentent une de leurs opérations de porcs sur elle, ils auront à subir de dangereuses poursuites [judiciaires]" aurait dit leur père.

    Vivre libre

    Le 25 mars 1950, Frances Farmer recouvre la liberté. Craignant que sa mère ne l'expédie à nouveau en Institut psychiatrique et de revivre l'enfer de la camisole de force, Frances fait en sorte de se libérer de la tutelle de sa mère. En 1951, un juge accède à sa demande, et lui redonne tous ses droits. L'ex comédienne commence alors à travailler dans un pressing de l’Hôtel Olympic, là où en 1936, elle fut célébrée lors de l'avant-première de son film Le Vandale... Brièvement remariée, elle est par la suite secrétaire et comptable pendant trois ans dans un studio de photographie.

    En 1957, elle rencontra son troisième mari, Leland Mikesell, un Executive travaillant à la télévision, qui la persuade de tourner à nouveau. S’arrangeant pour que la presse publie un article sur sa femme, alors réceptionniste dans un hôtel, il lui permet de retrouver ses premières amours : les planches, en Pennsylvanie. En 1958, elle apparaît dans le show TV This Is Your Life et la série Tongues of Angels, puis tourne son dernier film, The Party Crashers.

    Voici d'ailleurs un extrait de son passage au Show This is Your Life. Une vidéo émouvante, alors que Frances est sommée par son interlocuteur de revenir sur un douloureux passé...

    Ce retour en grâce, modeste, culmine entre 1958 et 1964, quand elle présente finalement une émission de télévision devenue populaire, Frances Farmer Presents, à Indianapolis. En 1968, elle commence à travailler sur son autobiographie, Will There Really be a Morning ?, qu'elle ne pourra achever. Le 1er août 1970, Frances Farmer est emportée à l'âge de 56 ans par un cancer de l'oesophage. Une fin tristement prématurée pour cette icône rebelle d'Hollywood, qui le lui a fait chèrement et cruellement payer.

    En 1982, la vie de Frances Farmer fut portée à l'écran par Graeme Clifford, avec dans le rôle titre Jessica Lange, qui trouve ici probablement le meilleur rôle de sa vie.

    Rendez-vous la semaine prochaine pour notre second portrait !

    Frances Farmer en 1935, à l'âge de 22 ans

    Frances Farmer dans "Le Vandale", en 1936

    Frances Farmer dans "L'or et la chair", en 1937

    La comédienne prenant la pose pour une publicité pour une marque de cigarette, en 1938

    Frances Farmer au poste de Police durant son arrestation, en 1943

    Frances Farmer maîtrisée par un policier le jour de son second passage devant un juge, en janvier 1943

    La comédienne lors de son arrestation en 1943

    Frances Farmer, le visage très marqué, lors de l'un de ses séjours en centre médical...

    Frances Farmer en mai 1964

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