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AlloCiné : Comment sont nés "Détour" et cette idée du vélo parti à la recherche de sa jeune propriétaire sur les routes de France ?
Michel Gondry : C’est venu petit à petit. On m’a proposé de tourner des petites vignettes en été, en France, en famille, dans des situations typiques… Quelque chose d’amical et qui représente la France en été. Je voulais surtout éviter les clichés, comme la pétanque ou le pastis. Et je voulais essayer de trouver une histoire qui lie toutes ces vignettes. C’est comme ça que l’idée du tricycle, et de sa relation avec la petite fille, est née. J’avais en tête cette légende urbaine, cette histoire du chat qui traverse la France pour retrouver son maître. Le tricycle, c’est ma version du petit chat qui suit sa maîtresse à travers les paysages français. A partir de là, l’astuce était de trouver à chaque plan du tricycle un moyen beau et différent de le propulser vers l’avant.
Justement, vous restez toujours sur le fil de donner vie ou pas au vélo…
Au départ il est inerte. C’est un objet mécanique. On s’attache à lui quand il part sur la route et qu’il réalise avec horreur qu’il a été oublié. Et au fur et à mesure des épreuves qu’il traverse, comme quand il tombe dans la mer, on commence à lui prêter vie. Et finalement à la fin, au comble de sa torture psychologique, quand il s’aperçoit que la petite fille a reçu un nouveau vélo, il se met à bouger tout seul et il ressent. Et nous ressentons ce qu’il subit. Il y a donc une progression pour lui donner vie. Je pensais notamment à Pinocchio, un bout de bois animé qui devient un personnage réel.
Même s’il n’est pas daté, le film semble profondément nostalgique. C’était une ambiance nécessaire pour raconter cette histoire ?
Je n’ai pas réellement pensé à une ambiance nostalgique. Les véhicules sont actuels par exemple. Mais après, peut-être que ça passe par le choix des couleurs ou des lieux comme le garage par exemple, qui est un endroit que je connais très bien dans les Cévennes et dans lequel je vais tous les étés depuis que je suis né : nous avons fait ouvrir le garage, et à notre surprise tous les éléments étaient à l’intérieur ! Il y a donc des choses qui font peut-être penser aux années 70 ou à ma jeunesse, mais le plus important reste ce côté "vacances d'été", qui fait penser aux congés payés, aux Trente Glorieuses et à cette France qui toute ensemble se rue sur les plages. C’est vraiment cela qui participe à l’ambiance du film.
Je me rattache beaucoup à ces moments-là, ces moments spéciaux et originaux auxquels on peut s’identifier, pour construire des histoires qui soient jalonnées d’instants magiques.
A l’image de ces deux jeunes garçons se baladant dans une roue en carton, le film semble également parsemés de détails très personnels…
Dans la vie, vous vivez des moments uniques. Et de ce fait, vous vous les rappelez. Ils se solidifient dans vos têtes. La roue en carton, c’est l’un de ces éléments, qui est comme une étoile qui brille dans ma tête. Un soir, nous avions bu quelques bières avec l’un de mes meilleurs amis, rue Vaugirard à Paris : il faisait nuit, nous avons trouvé cette boîte en carton, nous l’avons ouverte et nous nous sommes mis à marcher dans cette sorte de grande roue… Je ne vais pas dire que je n’ai pas d’imagination, mais je me rattache beaucoup à ces moments-là, qui sont des moments spéciaux et originaux auxquels on peut s’identifier, pour construire des histoires qui soient jalonnées d’instants magiques.
Il y a plusieurs séquences chantées dans le film, en voiture, avec des poussins ou avec des poissons. Pourquoi cette dimension musicale ?
Je ne me suis pas dit que j’allais donner une dimension musicale. L’idée des poissons qui chantent était là au départ, et il me semblait intéressant que ça ne soit pas la seule séquence musicale. A partir de là, dans la voiture par exemple, je me suis dit que ce serait amusant que la petite fille, au lieu de lancer son "quand est-ce qu’on arrive" en milieu de voyage, le lance dès le début, un peu comme un gag, et que la répétition se transforme en chanson. J’ai donc demandé au compositeur Étienne Charry d’imaginer une chanson autour de ça. Nous avons ainsi obtenu une petite chanson qui donne une ambiance de vacances et de départ. Et nous avons réutilisé ce principe à différents moments du film, où tout à coup on se met à chanter ou à entendre des gens chanter. Les deux poussins, le papa et l’enfant déguisés, étaient censés représenter des mascottes d’équipe de foot : nous avions donc pensé composer une chanson de supporters, et c’est comme ça qu’est née cette petite chanson qui nous amène jusqu’au camping. Même s’il n’y a plus d’équipe de foot, c’est une chanson qui nous emmène pendant un bout du trajet et qui correspond bien à l’ambiance du film.
Il y a des idées séparées, on les juxtapose et c’est le lien entre ces idées qui créé la mise en scène.
A l’image du "plan hamac", vous êtes constamment dans l'expérimentation visuelle et créative : d’où viennent vos idées de mise en scène ?
Au départ, il y avait donc une série de vignettes de gens à travers la France. Et il y avait cette vignette d’un homme attachant son hamac entre un arbre et sa voiture et regardant à travers ses jumelles. Et finalement, quand nous avons mis en place l’idée du tricycle, de la petite fille et de sa famille, ça me semblait évident qu’il allait regarder la famille et qu’il fallait jouer avec son point de vue se balançant comme le hamac. Les choses viennent comme ça. Il y a des idées séparées, on les juxtapose et c’est le lien entre ces idées qui créé la mise en scène.
On sent dans votre film une volonté de limiter au maximum la post-production, et de proposer une œuvre presque "tournée/montée"…
L’idée était de tourner un film avec l’iPhone, sans machinerie au tournage ou en post-production. Pour obtenir une certaine simplicité, comme sur un film de vacances, tout en appliquant un découpage assez rigoureux qui fait appel au cinéma classique. Ce qu’on ne sent pas forcément effectivement, car c’est censé être invisible. Mais l’approche de la mise en scène s’est faite de manière assez rigoureuse.
Ces appareils offrent une vraie souplesse, ils permettent de faire plus de choses.
Qu’avez-vous retenu de cette expérience de réalisation via iPhone ? Est-ce que l’outil influence le sujet d’une façon ou d’une autre, ou se met-il au service du cinéaste en s’adaptant à l’histoire qu’il raconte ?
C’est un peu des deux, en fait. Ces appareils offrent une vraie souplesse, ils permettent de faire plus de choses. Mais ils ont aussi leurs limites qui ont une influence sur la mise en scène. De la même manière qu’au début du cinéma, on posait les caméras sur des trépieds à hauteur de visage car il n’y avait pas le choix : ça a créé un langage qu’on a absorbé pendant quasiment cent ans. Cette manière de filmer a donc été imposée par la machine. Même si les caméras sont plus souples et plus faciles d’utilisation, elles nous imposent d’autres contraintes qui influencent la mise en scène.
L’accès est désormais facilité aux outils de prises de vue et de montage : quel regard portez-vous sur cette démocratisation du cinéma ?
Il y a une vraie évolution dans l’utilisation du matériel de prise de vue. Mais aussi dans le visionnage, avec beaucoup de diffusion sur ordinateur sur des petites surfaces d’images, ce qui permet de mélanger les différents outils de production. Il y a énormément de choix et de possibilités qui s’offrent aux réalisateurs, mais comme il y a plus d’options, finalement on ne gagne pas de temps car on en perd beaucoup à choisir le bon équipement. C’est le problème de l’évolution technologique. On ne va pas plus vite qu’il y a vingt ou vingt-cinq ans. Il y a même des choses moins pratiques. Par exemple, sur mon dernier film Microbe et Gasoil, j’ai demandé à avoir tous les rushes en VHS car je ne connaissais pas d’autre support qui permette de faire un accéléré sans rater une image : en digital, quand on voit un accéléré, beaucoup d’images sautent et on peut rater plein de choses… La VHS avait donc un avantage sur cet aspect plutôt que tout autre outil digital. En revanche, utiliser une caméra digitale me semble évident : tourner en pellicule aujourd’hui serait comme tourner en noir et blanc, une sorte de recherche nostalgique à travers une esthétique datée.
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Sur le tournage de "Détour"
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"Détour", de Michel Gondry
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