Fraîchement débarqué de Lisbonne, le réalisateur portugais Antonio-Pedro Vasconcelos est de passage à Paris pour la sortie sur nos écrans le 11 avril de Ras le bol. AlloCiné l'a rencontré.
Ras le bol aborde avec beaucoup de lucidité et de compassion un problème grave : celui de l'exploitation des enfants. le film s'attache en particulier au destin d'un garçon de 13 ans, Jaime, interprété par l'étonnant Saul Fonseca, qui travaille la nuit à l'insu de se parents, dont il n'arrive pas à accepter la séparation. Il pense que l'argent gagné lui permettra de racheter une mobylette à son père, et que celui-ci pourra retrouver du travail et ainsi sa dignité perdue.
Antonio-Pedro Vasconcelos insiste sur le fait qu'il faut séparer le cadre de l'histoire du film. Le cadre est celui de l'enfance au travail : “il y a surtout une région du nord du Portugal, avec des industries textiles qui ont fait failite au moment de l'ouverture au marché unique, qui est sévèrement touchée par le problème du travail des enfants. Mais la véritable histoire du film est celle d'un jeune garçon dont les parents sont séparés et qui essaie par tous moyens de les réunir. Le coeur de l'histoire du film est là."
Le film de Vasconcelos n'est en aucun cas un film pamphlétaire sur l'horreur de l'enfance au travail. Pour autant le réalisateur souhaite que les spectateurs soient sensibles à ce phénomène : “c'est un sujet très présent dans le film. J'en ai pris connaissance au moment de la création de l'euro, qui coïncidait avec la conversion du monde à la philosophie libérale, quleques temps après la chute du mur de Berlin. L'idée était que le marché allait résoudre spontanément les problèmes des gens, je me suis dit qu'il serait alors intéressant de montrer le contrecoup de cette globalisation, puisqu'il y a évidemment des gens qui en souffrent, qui en sont les victimes. Je suis particulièrement touché par les enfants car on leur vole leur jeunesse."
Néanmoins le personnage principal, Jaime, n'apparait pas comme une victime. Il a choisi lui-même de travailler, et son tempérament frondeur l'éloigne de toute sensiblerie : “je ne voulais pas en faire une victime. Je voulais qu'il ait beaucoup de caractère. Le pari du film était le suivant : c'est un gosse qui n'est pas très sympathique, qui est dur, mais il devient sympathique car tout ce qu'il entreprend procède d'une idée généreuse, celle de réconcilier ses parents. Il souffre de voir son père au chômage, que sa mère méprise...Il fallait montrer un personnage peu sympathique qui parvient à être émouvant, mais sans essayer d'émouvoir.Antoine Blondin, dans sa préface du Werther de Goethe, a écrit quelque chose qui m'a beaucoup touché : “Goethe fait pleurer mais ne tend pas le mouchoir.”C'est aussi l'idée qui sous-tend mon film.
C'est l'histoire d'un gosse qui prend la place du père, d'ailleurs le film aurait pu s'appeler : la place du père, il va devenir adulte trop tôt. Il se sent responsable. D'une part il voit que sa mère est un peu volage, d'autre part son père se laisse aller. D'un côté comme de l'autre il est amené à se comporter comme un adulte. Mais il faut ne pas perdre de vue que c'est un gosse.
Vasconcelos dit avoir eu en tête, avant de réaliser son film, les mots que François Truffaut lui avait confiés lors d'une interview. Il lui avait déclaré ne pas aimer les films ingrats : “il voulait dire par là qu'il faut que la vie soit exaltée à un moment ou un autre dans les films, car le public n'aime pas que l'effort ne soit pas récompensé. Donc sans chercher à faire un happy end j'ai voulu que les efforts de Jaime soient récompensés, tout en conservant une ambiguité à la fin du film, car on pressent qu'il va perdre son âme.
Ras le bol a fait le tout des festivals. ll a obtenu l'année dernière le Prix du Jury Cannes Junior : “c'est le prix qui m'a plus touché car il m'a été décerné par un jury d'enfants”. Il a également reçu le Prix Spécial du Jury au Festival de San Sebastian : “c'est la preuve que mon film peut être compris en dehors du Portugal. Le problème du cinéma européen aujourd'hui est qu'il ne voyage plus. C'est terrible car on laisse la place au cinéma américain. je n'ai rien contre le cinéma américain ; il m'a beaucoup appris. Mais aujour'hui il n' y a plus de place pour les films européens ; ils restent à l'intérieur de leurs frontières. Mes films marchent plutôt bien au Portugal mais ont du mal à circuler par la suite dans le reste de l'Europe. Les prix que j'ai reçus m'ont réconfortés car ils prouvent que mes films peuvent être compris ailleurs qu'au Portugal.”
Photo : © AlloCiné