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    La Route des Indes sur Arte : pourquoi tout le monde a détesté faire ce film
    Corentin Palanchini
    Du noir & blanc au Technicolor, du format 1:33 au 2:35, il a été initié au cinéma par Robert Mitchum, Bette Davis, Elizabeth Taylor, Henry Fonda, James Stewart, Katharine Hepburn... il se délecte de ces visages inoubliables, qu’il retrouve toujours avec bonheur.

    Le tournage du dernier film de David Lean, La route des Indes, a été un calvaire pour tous les membres de l'équipe. En cause ? Le comportement du réalisateur lui-même, incontrôlable.

    L'histoire commence en 1979. Cela fait dix ans que le cinéaste David Lean n'a plus tourné lorsqu'il est contacté par deux producteurs prêts à financer une adaptation du roman d'E.M. Forster intitulé Route des Indes. Démoralisé par la mauvaise réception de son dernier film, La Fille de Ryan, David Lean, 75 ans, est  intéressé par ce projet, et connait l'ouvrage depuis de nombreuses années.

    Contrairement aux attentes des producteurs, Lean ne se base pas son scénario que sur le roman mais aussi sur son adaptation théâtrale par Santha Rama Rau. Par ailleurs, chose inédite, il signe seul l'histoire, et s'octroie des libertés avec les deux supports sur lesquels il s'appuie.

    La Route des Indes
    La Route des Indes
    Sortie : 24 avril 1985 | 2h 44min
    De David Lean
    Avec Victor Banerjee, Peggy Ashcroft, Judy Davis
    Spectateurs
    3,7
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    Il souhaite raconter le voyage de Miss Adela Quested, qui dans les années 1920, part épouser un jeune magistrat habitant l'Inde, alors colonie britannique. Adela découvre avec effroi le nationalisme et l'arrogance règnant parmi les colons et préfère découvrir l'Inde profonde. Sa rencontre avec un jeune médecin va bouleverser son parcours.

    Avec ce sujet fort, teinté de romantisme, Lean part tourner sur place, en Inde, durant le mois de novembre 1983. Mais une fois arrivé, les choses se compliquent. D'abord, il n'a plus tourné depuis près de quinze ans et a oublié certains codes. Lors du tournage de la première scène, il oublie par exemple de crier "Action" pour que les acteurs sachent quand débuter la scène. Le plateau est consterné.

    ANGELI-RINDOFF / BESTIMAGE

    Puis il reprend petit à petit ses marques, grâce à des producteurs qui lui confient d'abord des scènes simples à mettre en boîte afin qu'il se refamiliarise avec la mise en scène. Sauf que Lean est malgré tout d'une humeur massacrante.

    "David a commis le crime de vieillir", commente Ernest Day, directeur de la photo sur le film*. "A son âge, on gère beaucoup moins bien la pression et il en avait beaucoup sur les épaules"La Route des Indes est en effet doté d'un budget important, 17,5 millions de dollars, mais cela n'est pas le seul souci. Day poursuit :

    Le tournage était très tendu. David avait beaucoup changé, il avait de gros problèmes de budget et devait faire des compromis. Et il pensait que tout le monde était contre lui.
    Columbia

    De 1983 à 1984, l'actrice Judy Davis, alors peu expérimentée des tournages de cette envergure et qui interprète l'héroïne du film, subit les foudres du réalisateur, comme elle l'a raconté à maintes reprises depuis :

    C'était une figure à la Roi Lear, très effrayante. Il avait une réputation incroyable mais n'était plus physiquement très en forme et je pense qu'il y a eu beaucoup de tensions à ce propos. (...) Et lorsque David se tendait, je me tendais. (...) Je me suis mise en mode self-défense.

    "Des jours entiers de tournage étaient annulés parce qu'il décidait que le plateau devait être refait", ajoute-t-elle. "Alors qu'il ne se sentait juste pas prêt à tourner".

    Le casting comme l'équipe de tournage commencent à ne plus supporter David Lean : "il était autocrate" se souvient Peggy Ashcroft (qui joue Mrs. Moore) et "mettait la pression à Judy". Un fait que confirme John Mitchell, l'ingénieur du son : "Judy Davis et David Lean n'ont développé aucune affinité", soulignant que leurs rapports étaient "à couteaux tirés".

    James Fox (Richard Fielding) enfonce le clou : "Il était assez intolérant envers les acteurs, quelque part ; ils étaient juste les instruments de sa grande oeuvre".

    Columbia

    Un technicien anonyme confie également que Lean se considérait comme le seul maître à bord :

    [Il] cherchait des 'yes-men' qui seraient toujours d'accord avec lui, ce que nous n'étions pas. Vous pouvez faire des millions de choses en salle de montage, mais vous ne pouvez rien faire que vous n'ayez pas tourné.

    Dans cette atmosphère explosive, les rapports entre l'autre star du film, Alec Guinness, et son réalisateur fétiche avec lequel il tourne pour la sixième fois, se dégradent eux aussi. En effet, l'acteur il doit jouer un Indien, se teindre la peau et parler avec un accent. Déjà après avoir accepté le scénario, Alec Guinness avait développé des doutes quant à son personnage, et pensait que ce n'était pas un rôle pour lui. Lean le convainc alors du contraire.

    Sur le plateau, le scénario de tournage, anoté et très bien renseigné de toutes les recherches en amont réalisées par le cinéaste devient une Bible à suivre à la lettre sous peine de se voir réprimandé devant toute l'équipe. Guinness se fâchera à plusieurs reprises à ce propos, Lean se servant du scénario pour évacuer tout questionnement.

    Dans le montage final, beaucoup des scènes d'Alec Guinness sont coupées, notamment une longue scène de danse "typique". Des années plus tard, Lean commentera :

    "[Guinness] était terrifié d'interpréter un Indien à la façon d'un Peter Sellers [acteur britannique qui avait joué un Indien en se grimant dans la comédie The Party, NdlR]. Mais j'ai peur que ce soit exactement ce qu'il a fait. Nous avons dû couper beaucoup [de ses scènes]".

    Malgré ces conditions terribles, Alec Guinness comme une partie de l'équipe souligneront a posteriori la qualité du travail de Lean sur ce film et sa vision très claire de ce qu'il devait être. La Route des Indes sera un succès critique et commercial qui récoltera 11 nominations à l'Oscar. Il remportera les statuettes de Meilleure actrice dans un second rôle pour Peggy Ashcroft et de Meilleure composition originale pour la musique de Maurice Jarre.

    *Les citations de cet article (sauf la lettre de Lean) sont tirées de Beyond the Epic: The Life and Films of David Lean écrit par Gene D. Phillips, édité à The University Press of Kentucky, 2006.

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