Thor dans la Phase I du Marvel Cinematic Universe. La renaissance de Jack Ryan sur grand écran. La transposition du Cendrillon de Disney en live. Deux adaptations luxueuses d'Agatha Christie, et une plongée dans l'univers des romans pour jeunes adultes. Si l'on excepte ce film sur son idole William Shakespeare (All is True) sorti directement en VOD chez nous, Kenneth Branagh a navigué entre les studios ces dernières années.
Son retour à un cinéma plus intime avec Belfast est d'autant plus marquant que le long métrage s'inspire de sa propre enfance en Irlande pendant l'été 1969, alors que l'homme marchait sur la Lune et que la violence éclatait dans les rues de sa ville. Aux côtés de ses acteurs et compatriotes Jamie Dornan, Caitriona Balfe et Ciaran Hinds, qui incarnent respectivement des versions de son père, sa mère et son grand-père, le cinéaste revient sur ce beau film en noir et blanc en lice pour sept Oscars.
AlloCiné : "Belfast" est un projet très personnel pour vous. Depuis combien de temps aviez-vous cette histoire en tête ?
Kenneth Branagh : J'ai l'impression d'avoir eu envie d'écrire sur Belfast pendant longtemps, sans vraiment savoir quelle serait l'histoire. Ce n'est qu'au moment du confinement, lorsque j'ai ressenti un sentiment d'incertitude face à cet avenir inconnu, que je me suis vraiment rappelé ce qu'il s'était passé lorsque la violence s'était invitée dans ma vie à Belfast.
Car cette même sensation d'un avenir totalement incertain, je l'avais déjà ressentie lorsque j'avais 9 ans. La façon dont ces familles - et pas seulement la nôtre - ont fait face à cette situation est soudain devenue, cinquante ans plus tard, un moyen de raconter l'histoire. Et c'est ainsi devenu plus personnel que je ne le pensais.
Était-ce aussi, pour vous, une manière de renouer avec un cinéma plus intime, après plusieurs gros films réalisés pour le compte de studios ?
Kenneth Branagh : Je pense que oui. Et c'est même ce que j'appellerais ma place naturelle. J'ai débuté avec des petits films, qui reposaient sur les performances des acteurs. Et faire Belfast juste après le confinement s'est révélé être très collaboratif, comme si une petite industrie artisanale se remettait au travail. Malgré les protocoles Covid, l'expérience était très personnelle et, de ce point de vue, le projet a été très renouvelant, très réparateur. Comme un retour à une façon de travailler que j'aime beaucoup.
Faire Belfast juste après le confinement s'est révélé être très collaboratif, comme si une petite industrie artisanale se remettait au travail
Vous parliez plus tôt de votre famille : comment est-ce que cela se passe lorsque l'on doit choisir des acteurs et actrices pour incarner ses membres ?
Kenneth Branagh : Je voulais que le film s'inspire de mon histoire, mais j'ai très tôt dit aux acteurs que même si j'étais très heureux de leur répondre sur des questions précises autour de mes parents et ma famille, je préférais entendre Jamie Dornan évoquer sa relation avec son père.
Ou que Caitriona Balfe parle de son expérience, elle qui a grandi à la frontière entre le Nord et le Sud de l'Irlande, où l'atmosphère était particulièrement explosive. C'était un endroit potentiellement très violent, donc je voulais qu'elle s'approprie le sujet. Mais le défi, avec Caitriona et Jamie, a surtout été de trouver ce pétillement, cette alchimie que j'avais le sentiment que mes parents avaient. C'était peut-être le point de vue d'un enfant de 9 ans, mais je voyais chez eux un glamour que Jamie et Caitriona ont réussi à capturer.
Judi Dench et Ciaran Hinds possédaient, de leur côté, l'esprit et l'humour de mes grands-parents. En plus d'une âme qui leur donne de la profondeur. Et pour ce qui est du jeune Jude Hill, le but était de trouver quelqu'un d'assez présent pour que l'on puisse voir le film et l'histoire sur ses traits. C'est aussi un enfant qui sait écouter sans donner l'impression qu'il joue quelqu'un qui écoute. Il était juste présent, et j'ai eu de la chance avec les acteurs que j'ai pu avoir.
Jamie Dornan : Quand Kenneth est venu me voir, seule Judi Dench était attachée au projet, donc c'était comme un home run pour moi : j'étais partant sans même avoir à lire le scénario. Puis je l'ai lu et j'ai réalisé à quel point c'était proche de son expérience et de son histoire personnelle, ce qui peut rajouter un peu de pression supplémentaire. Mais je savais que Ken me voulait pour le rôle et j'avais peur que, le jour où nous devions nous rencontrer pour nous parler, il réalise qu'il avait fait une grosse erreur et ne veuille plus que je fasse le film (rires)
Mais le contraire s'est produit. Il m'a imprégné de la confiance qu'il avait en moi et de son envie que je fasse ce voyage avec lui. Je me suis senti particulièrement privilégié que l'on me demande d'être impliqué dans cette histoire qui est très personelle pour lui, mais également pour moi. Je viens aussi de Belfast, j'ai raconté des histoires de la ville et je compte le faire le reste de ma carrière si l'on m'en donne l'opportunité. Celle-ci m'a paru très spéciale car très humaine et terre-à-terre, et qu'elle parlait d'une famille prise dans ces événements. Et ce privilège m'a moins fait ressentir de la pression que de la liberté vis-à-vis de ce récit.
VISU
Ciaran Hinds : Nous venons tous d'Irlande du Nord. A part Dame Judi Dench. Mais Kenneth et elle ont travaillé ensemble onze ou douze fois, entre le théâtre et le cinéma, donc il lui fait totalement confiance. Ils ont cette relation merveilleuse, et l'Histoire nous a prouvé à quel point elle est une actrice brillante. Je pense qu'il a toujours pensé à elle pour le rôle, car l'amour et l'affection qu'il éprouve pour elle devait lui rappeler l'amour et l'affection qu'il éprouvait pour sa grand-mère. Donc il était logique qu'elle joue ce personnage.
Caitriona Balfe : Lorsque j'ai été approchée et que l'on m'a dit que Kenneth voulait me rencontrer, Dame Judi, Jamie et Ciaran Hinds étaient déjà engagés. Donc j'étais surexcitée par le simple fait que l'on me propose de lire le scénario, que j'ai trouvé magnifique. Tout comme le personnage de Ma qui, sur le papier, m'a semblé complexe, pleinement formé, à tel point que j'ai eu le sentiment de la reconnaître immédiatement.
Et j'ai découvert, lors de ma première rencontre avec lui, que Kenneth était l'une des personnes les plus adorables qui soient. Il m'a très vite interrogée sur ma vie et mes expériences, et j'ai alors compris qu'il essayait de voir ce que je pouvais apporter au rôle, dans la mesure où l'idée n'était pas de faire un documentaire sur ses parents. Il nous a donné beaucoup de liberté, et j'ai l'impression qu'elle nous a portés et permis de faire de ce projet quelque chose d'organique et charmante, où nous étions tous en phase les uns avec les autres. C'est aussi ce qui l'a rendu spécial.
Vous avez dit dans une interview que les souvenirs de Belfast que vous aviez étaient gris, car le ciel l'était toujours Kenneth. Est-ce pour cette raison que vous avez tourné le film en noir et blanc ?
Kenneth Branagh : C'était un monde monochrome, oui. Il pleuvait souvent dans cette ville très masculine, le ciel gris, typique du Nord de l'Irlande, était très présent. Et la télévision était en noir et blanc. Comme les films que je découvrais à la maison. Raconter l'histoire de Belfast de cette manière lui donnait une sorte de poésie et le rapprochait du réalisme social que j'aimais dans les films britanniques du début des années 60.
Et cela permettait de créer un contraste avec l'apparition des couleurs explosives lorsque nous allions au cinéma en famille et étions témoins de la beauté immersive du Technicolor sur grand écran pendant les années 60.
C'est agréable de voir la ville de Belfast de cette manière plutôt que d'être toujours dans le pessimisme
Ces scènes donnent à "Belfast" un aspect un peu plus cinématographique encore. Y a-t-il des films qui vous ont inspiré, pour l'histoire ou sur le plan visuel ? On pense parfois à "Cinema Paradiso".
Kenneth Branagh : Cinema Paradiso a définitivement compté, pour son cœur. Mais également Le Voleur de Bicyclette. Ou Au revoir les enfants de Louis Malle pour son ton. C'est un film magnifique, sans doute l'un de mes préférés, qui possède une tendresse, un côté poignant, une nature douce-amère et une jeunesse qui en font une œuvre exquise.
Jamie Dornan : Le film s'inspire aussi de photographies comme celles d'Henri Cartier-Bresson, qui ont eu une influence sur le paysage. On nous a aussi montré un montage, qui nous a très tôt montré ce à quoi Belfast allait ressembler sur le plan stylistique. Mais nous savions que Kenneth, le chef décorateur Jim Clay et le chef opérateur Haris Zambarloukos, avec cette idée de film en noir et blanc, allaient créer un agréable paysage visuel dans lequel nous n'aurions qu'à combler les blancs (rires)
L'une des grandes forces du film, c'est son esthétique. On retient beaucoup de ses plans, et on en sort en se disant que Belfast n'a jamais paru aussi belle et artistique auparavant. Et c'est agréable de voir la ville de cette manière plutôt que d'être toujours dans le pessimisme. C'est très poétique et plaisant de faire partie de ces images.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Paris les 21 janvier et 15 février 2022