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    New York, la mafia, la religion... Le cinéma de Martin Scorsese
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    La Mafia, New York, la famille, la religion, le Rock'n Roll, la violence, la cinéphilie... Retour sur l'univers et les thèmes fétiches de Scorsese, à l'occasion de la diffusion d'un cycle hommage sur la plateforme Salto en janvier.

    DOMINIQUE JACOVIDES / BESTIMAGE

    Ce mois-ci, la plateforme Salto consacre un cycle à Martin Scorsese en diffusant certaines de ses oeuvres, comme Raging Bull, Les Affranchis, Les Infiltrés... L'occasion de revenir sur l'univers et les thèmes fétiches du grand cinéaste : la mafia, New York, la famille, la religion...

    La religion

    Martin Scorsese l'a toujours dit : s'il n'avait pas embrassé une carrière de cinéaste, il serait probablement devenu prêtre. "Il y a un prêtre qui a vraiment beaucoup compté pour moi, le père Principe. Il avait 23 ans, et c'était son premier diocèse. C'est lui qui nous a expliqué, à mes amis et à moi, qu'on pouvait anticiper l'avenir. Il nous a fait découvrir différents styles de musique. C'était aussi un fondu de cinéma" raconte Scorsese.

    Elevé au sein d'une famille croyante, la religion a laissé une trace indélébile chez lui, au point d'en faire l'un des thèmes majeurs de ses films. Dès Who's that Knocking at My Door, on se souvient que le personnage principal, J.R., se blesse la lèvre en embrassant un crucifix. Ses films sont toujours empreints d'un aspect métaphysique purement religieux. La loyauté envers une force supérieure, une certaine forme de fascination pour les comportements masochistes, les épreuves tant physiques que spirituelles, peuplent l'univers des films scorsesiens, et se rapprochent d'une certaine idéologie catholique, notamment la notion de souffrance, voire de martyr, destinée à expier ses fautes et ses péchés. En ce sens et à ce titre, Silence est une oeuvre somme de toutes les interrogations du cinéaste sur la religion et par extension la foi; peut-être son film le plus personnel.

    Ci-dessous, Scorsese évoquait justement la foi avec nous lorsque nous l'avions rencontré pour "Silence"...

    Parmi les thèmes issus de la religion et exploités par Martin Scorsese, on retrouve la crucifixion, comme celle de David Carradine dans Bertha Boxcar et bien sûr celle de Willem Dafoe dans La Dernière tentation du Christ. Mais c'est aussi l'un des terribles châtiments réservés à ceux qui se convertissent clandestinement à la religion catholique dans le Japon féodal de Silence. La rédemption est aussi et souvent au coeur des récits de ses films; ses personnages cherchent à se laver de leurs fautes et de leurs péchés.

    Lorsque Travis Bickle, alias Robert De Niro, décide de libérer la ville de New York de ses malfrats dans Taxi Driver, il s'agit en réalité de sa propre libération, qui passe par le sauvetage d'une jeune prostituée mineure (Jodie Foster) dans un véritable bain de sang. Si dans La Dernière tentation du Christ le symbole est évident (le Christ accepte finalement d'accomplir son destin en mourant sur la croix pour expier les péchés des hommes), c'est aussi le cas dans Casino : "Une ville comme Las Vegas nous lave de nos péchés" entend-on dans le film. Même le personnage incarné par Nicolas Cage dans A tombeau ouvert est une sorte de Christ des temps modernes : il sillonne les rues de New York à bord de son ambulance, en quête d'un pouvoir salvateur qui ne viendra jamais, incapable d'accomplir le moindre miracle.

    Ci-dessous, la bande-annonce de "Silence"...

    La mafia et les gangsters

    Impossible de ne pas penser à Martin Scorsese lorsque l'on évoque la Mafia italo-américaine, et plus largement les gangsters. Là aussi, une fascination qui lui vient de son enfance passée dans les quartiers malfamés de New York. "Les gens de mon quartier et moi vivions parmi des malfaiteurs aux allures de seigneurs. C’étaient les nouveaux aristocrates", dira-t-il des années plus tard. "Ca été une période terrible pour moi, parce que j'étais suffisamment grand pour me rendre compte que le quartier était malfamé. On pouvait jouer dans un bac à sable et entendre un truc qui tombait derrière soi. Et ce n'était pas une poubelle, comme vous pourriez le croire, mais un bébé qui venait de tomber du toit !".

    Dans cet univers, soit on se résigne, sans se plaindre, soit on fait son chemin au royaume des maîtres du territoire. En d'autres termes, on devient gangster, comme le jeune Henry Hill des Affranchis le dit lui-même : "d'aussi loin que je puisse me souvenir, j'ai toujours voulu être un gangster". Une mafia qui met en coupe réglée la vie et les affaires du quartier. "Elizabeth Street, le quartier où je vivais, était majoritairement peuplée de Siciliens comme mes grands-parents; les gens avaient leurs lois et leurs codes à eux. Personne ne s'intéressait au gouvernement, aux politiciens ou la police : on avait l'impression de très bien se débrouiller entre nous".

    Avec The Irishman, le réalisateur nous plonge une nouvelle fois dans le monde de la pègre et décortique les relations parfois étriquées entre la mafia et les syndicalistes, dans l'Amérique des années 70. Hommes de main, règlements de compte, violence... tous les ingrédients y sont présents. 

    Ci-dessous, la bande-annonce des "Affranchis"...

    La famille

    La famille est un personnage à part entière dans l'univers de Martin Scorsese. Déchirée dans Alice n'est plus iciRaging Bull et Casino, au bord de l'implosion et violente dans Les Nerfs à vif, envahissante dans Les Affranchis et Le Temps de l'innocence... C'est même l'une des quêtes obsessionnelles de Willem Dafoe dans La Dernière tentation du Christ. Là encore fortement influencés par l'enfance du cinéaste, les films de Martin Scorsese sont jalonnés d'apparition de la famille. A commencer par celle qu'il connaît le mieux : la sienne. Sa mère, Catherine Scorsese, jouera pas moins de huit fois dans ses films, depuis ses débuts jusqu'à Casino en 1995. On se souvient encore de son rôle dans Les Affranchis, où, reveillée en pleine nuit, elle prépare un repas de pâtes au trio Ray LiottaRobert De Niro et Joe Pesci, alors que le corps agonisant d'un malfrat attend dans leur voiture...Charles Scorsese, son père, sera plus discret. Son fils lui attribuera néanmoins un rôle mémorable, sous les traits de l'un des exécuteurs de Joe Pesci dans Les Affranchis.

    Ci-dessous, la scène culte du dîner chez la mère de Tommy dans "Les Affranchis", incarnée par Catherine Scorsese...

    Le sens de la famille s'élargit aussi aux personnes gravitant autour de Martin Scorsese. Le cinéaste témoigne d'une rare fidélité à ses collaborateurs. D'abord à Mardik Martin, qui deviendra son coscénariste; Thelma Schoonmaker, sa monteuse fétiche et veuve du grand Michael Powell auquel Scorsese voue un véritable culte; le chef opérateur Michael Ballhaus; le chef décorateur Dante Ferretti, sans oublier son ex-femme Barbara De Fina, productrice de ses films. Quant aux comédiens, il faut rappeler la présence de Joe Pesci, Harvey Keitel et bien sûr Robert De Niro, dont on parlera plus loin en tant qu'alter ego du cinéaste.

    New York

    S'il y a bien un cinéaste dont la filmographie est fortement associée à la ville de New York, c'est Martin Scorsese (et aussi dans un tout autre registre Woody Allen). "Quand on fait un film à New York" déclara Scorsese, "on obtient plus que ce que l'on demande". La plupart de ses films se déroulent à New York, sa ville natale. C'est même un acteur et personnage à part entière. Dans Taxi DriverRobert De Niro promène son taxi dans les rues de la ville. Une ville plongée dans une sorte de torpeur, hypnotique, au charme ambigu. Une ville menaçante aussi, avec ses camés, ses dealers et sa prostitution. "Le film dans son ensemble découle un peu des impressions qu'à ressenties un homme né à New York et qui y vit. Il y a un plan où la caméra a été montée sur le capot du taxi qui passe devant une enseigne où est inscrit le mot "fascination" dira Martin Scorsese. "C'est tout le sens du film : être fasciné par cet ange exterminateur qui flotte à travers les rues d'une métropole qui représente à mes yeux toutes les grandes villes".

    Ci-dessous, le monologue de Travis Bickle dans Taxi Driver, lorsqu'il décrit ses rondes nocturnes dans les quartiers interlopes de New York...

    Il est intéressant de mettre en parallèle cette vision avec le visage qu'offre la ville dans Gangs of New York, alors que se dessine un nouvel urbanisme. Prolongement "naturel" de ces bouleversements urbains, Le Temps de l'innocence voit aussi la construction des premières tours qui pointent vers le ciel au XIX siècle, tandis que les rues suivent des tracés rectilignes de plus en plus harmonieux.

    La violence

    Main arrachée par le canon d'un 357 Magnum dans Taxi Driver, personnage enterré encore vivant après avoir été battu dans Casino, marteau fracassant les phalanges de tricheurs au casino, séance de torture avec un étau de menuisier, hommes de mains "repassés" de manière atroce pour ne pas qu'ils parlent, violence conjuguale dans Raging Bull... Martin Scorsese a toujours retranscrit un univers très violent, ou en tous cas des destins marqués par la violence. Chez le cinéaste, la violence est toujours froide, clinique, surgissant parfois là où on l'attend la moins : on se souvient notamment de la scène culte de la partie de cartes dans Les Affranchis, où la moindre étincelle suffit à déclencher un carnage...

    Ci-dessous, la cultissime scène où Tommy flingue Spider...

    Sans doute, l'une des formes extrêmes de cette violence est celle, proprement masochiste, du personnage Jack La Motta dans Raging Bull. La violence apparaît pour lui comme un moyen d'expression ultime, en payant le prix fort puisqu'il court dans le même temps à sa propre destruction, à la fois sur le ring mais aussi au sein de sa cellule familiale.

    Ci-dessous, la scène de la prison de "Raging Bull", dans laquelle La Motta laisse exploser sa rage contre les autres mais avant-tout contre lui-même. Le moment où La Motta fait jaillir finalement toute son humanité. De Niro n'a pas volé son Oscar pour son extraordinaire composition.

    L'alter ego

    Nombreux furent les duos qui marquèrent de leur empreinte l'histoire du 7e Art : Federico Fellini et Marcello MastroianniFrançois Truffaut et Jean-Pierre LéaudJohn Ford et John WayneWerner Herzog et Klaus Kinski... Et bien entendu Robert De Niro et Martin Scorsese. Le cinéaste ne serait peut-être jamais devenu ce qu'il est aujourd'hui sans la rencontre déterminante qu'il fit avec l'acteur. Tous deux originaires de Little Italy, ces italo-américains ont toujours donné le meilleur d'eux-mêmes en travaillant ensemble.

    Ce n'est sans doute pas un hasard si les films dans lesquels l'acteur joue sont considérés comme les réussites majeures du cinéaste. Allant bien plus loin qu'une "simple" relation entre un metteur en scène et son acteur, la relation entre De Niro et Scorsese fut fusionnelle, l'acteur devenant son véritable alter ego. C'est d'ailleurs lui qui vint le voir sur son lit d'hôpital pour lui proposer de tourner Raging Bull, alors que Scorsese était hospitalisé en 1978 en raison de son addiction à la cocaïne. Après avoir tourné huit films avec De Niro, Scorsese est devenu le mentor de Leonardo DiCaprio depuis 2002, sur le tournage de Gangs of New York. Toutefois, le cinéaste avait perçu son talent bien avant, sur le tournage de Blessures secrètes, où Leonardo DiCaprio, alors tout jeune, jouait avec un certain... Robert De Niro.

    De Niro et Scorsese se retrouvent pour la 9e fois dans The Irishman, disponible sur Netflix, qui relate la vie de Frank "The Irishman" Sheeran, soupçonné d'avoir fait disparaitre le patron du puissant syndicat des Teamsters, Jimmy Hoffa en 1975, qui avaient d'évidentes accointances avec la mafia. Film qui signe ses retrouvailles avec De Niro mais aussi avec Joe Pesci, qu'il a fait sortir de sa retraite, et Harvey Keitel. L'occasion aussi pour lui de diriger pour la première fois un certain Al Pacino... Qu'à cela ne tienne, De Niro / Scorsese et DiCaprio se retrouveront encore, pour le thriller très attendu Killers of The Flower Moon.

    Le rock'n roll

    La fascination de Martin Scorsese pour la musique, et le Rock'n Roll en particulier, est loin d'être nouvelle. "Je vivais dans un quartier surpeuplé où on entendait la musique sortir des fenêtres de chaque appartement de la rue, des bars et des confiseries. La radio marchait toute la journée ; on entendait le juke-box de l'autre coté de la rue ; et dans les grands ensembles, on entendait de l'opéra par une fenêtre, Benny Goodman par une autre, et du rock'n'roll au rez-de-chaussée. [...] C'était vraiment un quartier de fou ; j'ai alors pensé : pourquoi ne voit-on jamais cela dans les films ?", a-t-il écrit dans son autobiographie.

    Dès les années 1970, il sera déjà considéré comme un spécialiste du documentaire musical. En 1970, il fut en charge du montage du film fleuve de la Beat Generation, Woodstock. Après le Jazz dans New York, New York, il signe le documentaire The Last waltz, qui retrace le dernier concert du groupe de rock américain The Band en novembre 1976, dans la salle du Winterland Ballroom de San Francisco. Dans les années 80, il aura l'occasion de réaliser quelques clips, dont le célèbre Bad de Michael Jackson. Instigateur de la série de documentaires consacrés au Blues (Du Mali au Mississippi), il réalise aussi en 2005 le documentaire fleuve No Direction Home: Bob Dylan. Grand fan devant l'éternel des Rolling Stones, il leur a non seulement consacré un documentaire (Shine a Light), mais a souvent utilisé leurs chansons dans les BO de ses films, notamment le tube Gimme Shelter (Les AffranchisCasino et Les Infiltrés).

    Dans l'interview ci-dessous, réalisée à l'occasion de la sortie de "Shine a Light", Marty revient justement sur sa passion des Stones.

    La cinéphilie

    S'il y a bien un cinéaste incarnant mieux que quiconque la cinéphilie la plus absolue, c'est Martin Scorsese. Sa connaissance du cinéma et de ses auteurs est véritablement encyclopédique. Une passion qui, là encore, lui remonte à l'enfance. Enfant chétif et asthmatique, il est régulièrement emmené au cinéma par son père. C'est précisément à cette époque qu'il va découvrir ses films préférés : Duel au soleilLe Fleuve de Jean Renoir, et surtout Les Chaussons rouges de Michael Powell et Emeric Pressburger. Ces deux cinéastes auront d'ailleurs une influence majeure sur Martin Scorsese. Dès 1982, le réalisateur s'intéresse à la préservation des films de patrimoine, puis à leur restauration plus tard lorsqu'il créera sa Film Foundation en 1990.

    Depuis sa création, ce sont plus de 750 films qui ont été restaurés. Parmi eux, on peut citer quantité de chefs-d'oeuvre comme La Fureur de vivre, Colonel Blimp, le Richard III de Laurence Olivier, Rocco et ses frères, Les Chaussons rougesSalvatore Giuliano de Francesco Rosi...

    Les Dix films préférés de Martin Scorsese

    Dans ses films, ses références aux maîtres du cinéma sont innombrables. On pense par exemple au somptueux Temps de l'innocence, où Scorsese nourrit une fascination pour l'oeuvre de Luchino Visconti (et notamment la scène du bal du Guépard). Quand ce ne sont pas des références, Scorsese s'attache directement à travailler avec de très grands noms. Il fait ainsi appel à Saul Bass pour réaliser le générique de nombreux films (Les Nerfs à vif, Les Affranchis, Le Temps de l'innocence et Casino). Ce dernier, l'un des plus grands Title Designer, signa les génériques des plus fameuses oeuvres d'Alfred Hitchcock comme Sueurs froidesPsychose ou La Mort aux trousses. Citons également Bernard Herrmann, qui composa la BO de Taxi Driver mais fut surtout le compositeur fétiche d'Alfred Hitchcock. Et même lorsque nous le rencontrons peu de temps pour évoquer avec lui les références de Shutter Island, sa cinéphilie (re)prend le dessus !

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