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    Person of Interest sur Salto : une grande série sous-estimée ?
    Maximilien Pierrette
    Journaliste cinéma - Tombé dans le cinéma quand il était petit, et devenu accro aux séries, fait ses propres cascades et navigue entre époques et genres, de la SF à la comédie (musicale ou non) en passant par le fantastique et l’animation. Il décortique aussi l’actu geek et héroïque dans FanZone.

    Diffusée entre 2011 et 2016 aux États-Unis, "Person of Interest" est disponible en intégralité sur Salto. L'occasion d'offrir, enfin, la reconnaissance qu'elle mérite à cette grande série sous-estimée signée Jonathan Nolan ?

    CBS

    L'arrivée de l'intégrale de Person of Interest sur Salto est un petit événement en soi. Car c'est la première fois que la série, jusqu'ici disponible en DVD et Blu-Ray, est visible sur une plateforme de streaming en France, depuis sa diffusion sur TF1. Et c'est l'occasion de (re)donner sa chance à un récit qui n'a pas eu le succès qu'il aurait mérité.

    The Lead Shoes
    The Lead Shoes
    0h 18min
    De Sidney Peterson

    ON VOUS OBSERVE…

    Tout commence le 22 septembre 2011 sur CBS. Ce jour-là, le network américain lance l'une des grosses nouveautés de sa saison : Person of Interest, fruit de la collaboration entre J.J. Abrams et Jonathan Nolan. A l'époque, le premier sort tout juste du succès de Super 8, un an après le final de Lost. D'ores et déjà établi comme l'un des gros noms du petit écran, il prend de plus en plus d'importance sur le grand et se verra confier les rênes de l'Episode VII de Star Wars quelques années plus tard, après avoir brillamment relancé Star Trek au cinéma. De son côté, le second n'est encore "que" le petit frère de Christopher, dont il a co-écrit plusieurs des longs métrages, MementoLe Prestige et The Dark Knight en tête. Mais son émancipation débute avec cette œuvre dont il est le seul créateur, et qui raconte comment deux hommes vont pouvoir intervenir sur des crimes avant que ceux-ci n'aient lieu, grâce à une mystérieuse machine qui leur donne le nom du coupable ou de la victime.

    Entre son concept, les talents derrière la caméra et ceux qui évoluent devant (Michael Emerson, le Ben de Lost, fait équipe avec Jim Caviezel, le Jésus de Mel Gibson), Person of Interest devient l'une des nouveautés les plus attendues de la saison 2011/2012, et 13,33 millions de curieux sont au rendez-vous outre-Atlantique pour la diffusion du pilote. Lequel s'avère prometteur, mais la suite peine à transformer l'essai. L'ensemble a beau être soigné et bien mené, la série ne parvient pas à s'extraire du format procédural (une intrigue différente par épisode) et ressemble très vite à une version des Experts mâtinée de SF à la Minority Report. Efficace sans être vraiment captivant, malgré les mystères qui entourent les personnages principaux et leur machine, le show va même jusqu'à laisser un cliffhanger sans suite et les téléspectateurs commencent à passer leur chemin semaine après semaine. Rien de catastrophique pour autant, même si le mot "déception" se lit de plus en plus face à cette formule qui n'a pas l'air de vouloir évoluer.

    Mais tout change avec l'épisode 7, qui réussit d'abord à nous prendre par surprise en faisant du sympathique Enrico Colantoni (papa de l'héroïne dans Veronica Mars) le méchant de l'intrigue alors que tout faisait de lui la victime du crime à empêcher. Mieux : son personnage de Carl Elias devient un antagoniste récurrent qui lance pour de bon la mythologie d'un show qui nous happe enfin pour ne plus nous lâcher avant la fin de la saison 5. Si vous faites partie de ceux à qui l'on a vanté les mérites de Person of Interest et qui profitez de sa mise à disposition sur Salto pour la commencer, sachez que vous devrez vous armer d'un peu de patience, car le début est un brin laborieux par rapport à ce que la suite vous réserve. Ne faites pas non plus l'impasse dessus, car vous risqueriez de manquer des informations clés sur Reese (Jim Caviezel) ou Finch (Michael Emerson), ainsi que sur les deux policiers qui s'intéressent de près à leurs activités clandestines. Attendez-vous ensuite à découvrir l'une des grandes séries des années 2010.

    HIT MACHINE

    Sans tourner le dos à son concept (sauf dans la dernière saison, qui fait office de conclusion au récit), ni même quitter les environs de New York qui servent son propos, Person of Interest parvient à trouver le bon équilibre entre ses aspects procéduraux et feuilletonnants, chaque enquête servant, par extension, à faire avancer l'intrigue globale. Et c'est peu dire que celle-ci va devenir de plus en plus complexe au fil de semaines et des arrivées de nouveaux personnages récurrents, à commencer par la géniale Root (Amy Acker). Ni méchante, ni gentille, elle évolue dans son propre camp et les téléspectateurs peuvent s'identifier à elle lorsqu'elle tente par tous les moyens de percer les secrets de cette machine qui l'obsède et avec laquelle elle développe un lien de plus en plus important. Il y a également John Greer, ancien agent secret britannique joué par John Nolan (l'oncle de Jonathan) qui devient l'antagoniste principal avec un dispositif visant à concurrencer celui de Finch dans un but malfaisant.

    Citons également Sameen Shaw (Sarah Shahi), qui rejoint les héros bien malgré elle. La policière Joss Carter (Taraji P. Henson, alors future star d'Empire) et son collègue corrompu Lionel Fusco (Kevin Chapman). Et d'autres protagonistes qui reviennent régulièrement et gravitent autour du duo central, dont la dynamique rappelle par moments celle entre Bruce Wayne et Alfred Pennyworth dans les trois volets de la trilogie The Dark Knight co-écrite par Jonathan Nolan avec son frère Christopher. Ce n'est d'ailleurs pas le seul point commun entre les films et la série, qui se rejoignent également dans leur envie de réalisme (à quelques écarts près) et leur ancrage dans l'après-11 septembre. Le choix de New York comme théâtre de l'action de Person of Interest n'est, à ce titre, pas anodin. Alors que des plans larges et/ou aériens de la ville nous rappellent l'absence du World Trade Center, nous apprenons que Finch a conçu sa machine à la suite d'un attentat, pour empêcher que d'autres événements tragiques du même acabit ne se produisent.

    CBS

    La puissance de son bébé sera plus forte que prévu puisqu'il réussira à prédire des crimes plus petits mais jugés trop peu importants par le gouvernement, grâce à diverses informations, dont les numéros de sécurité sociale avec lesquels chaque future victime ou coupable est désignée en début d'épisode. Derrière son aspect policier, la série pose des questions éthiques qui gagnent en ampleur en 2013, suite aux révélations du lanceur d'alerte Edward Snowden sur la surveillance globale mise en place par les États-Unis, et les entraves à la vie privée qu'elles constituent. La réalité rejoint ainsi la fiction, et ce qui se présentait comme de la SF devient un peu plus tangible. Dans le show, ce coup de tonnerre se traduit également par l'arrivée de Samaritain, un dispositif résultant de tests menés par les États-Unis après les attentats du 11 septembre, et qui devient le pendant diabolique de celui de Finch. Et, plus encore que dans les saisons précédentes, Jonathan Nolan en profite pour aborder les sujets de l'intelligence artificielle et du libre arbitre.

    Des thèmes clés de son œuvre puisqu'on les retrouve au cœur de Westworld, sa série suivante diffusée sur HBO depuis 2016, et qui ressemble par moments à la petite sœur de Person of Interest. Surtout dans la saison 3, où il est littéralement question d'une machine capable de prédire l'avenir avec un interface blanc qui rappelle celui de Samaritain, tandis que le grand méchant Serac (Vincent Cassel) évoque tantôt Root tantôt John Greer. Dans une série comme dans l'autre, Jonathan Nolan ne noircit pas inutilement le tableau quant à l'intelligence artificielle, dont il sait montrer les bienfaits, même s'il privilégie le libre arbitre. Et il le fait dans une atmosphère froide (glaciale même, pour certains) qui paraît, au premier abord, peu propice aux émotions. Il n'en est pourtant rien.

    Car si l'on pouvait reprocher à Jim Caviezel sa partition quelque peu monolithique au début de Person of Interest, le show parvient vite à corriger ce défaut. Sans rendre Reese plus éxubérant, mais en donnant à son efficacité redoutable et sa manière de détruire des rotules à la chaîne un côté parfois comique que renforce également l'ironie de Finch vis-à-vis de ses méthodes de justicier. La série parvient également à briser sa carapace et à nous toucher en plein cœur lorsqu'elle reste au plus près de ses personnages, et n'hésite pas à en sacrifier. Comme dans cet épisode de la saison 3, centré sur une mort majeure, et qui donne lieu à une longue introduction sans paroles et d'une puissance folle dans le suivant. Ou le midseason premiere de la saison 4, l'exceptionnel "If-Then-Else", qui nous faisait pénétrer au cœur de la machine pour observer les différentes possibilités qu'avaient les héros pour se sortir du traquenard dans lequel ils étaient. Un récit qui brillait autant par son côté ludique que par le pessimisme et l'aspect inéluctable de son dénouement.

    RATTRAPAGE AGAINST THE MACHINE

    Un épisode qui résume bien ce que Person of Interest était : une série avec un concept fort, captivante, complexe, jouissive lors de certaines scènes d'action et capable de nous arracher quelques larmes. Autant de qualités qui auraient pu, qui auraient dû, lui permettre d'accéder au panthéon télévisuel de la décennie passée. Mais non. Jamais récompensé, ni même nommé, aux Emmy Awards, le show a régulièrement bougé dans les grilles de programmation et vu ses audiences baisser à partir de la saison 3, après avoir atteint les 13-14 millions de téléspectateurs en moyenne par épisode les années précédentes. Alors que l'ensemble gagnait en qualité, le public était de moins en moins au rendez-vous. Est-ce parce que sa place aurait davantage été sur une chaîne du câble que sur un network comme CBS, diffuseur des Experts ? Parce que, malgré son concept, sa complexité le rendait plus propice au binge-watching qu'à une diffusion hebdomadaire ?

    Il y a des choses qui, sur le coup, ne s'expliquent pas. Mais ce qui paraît certain, au vu du nombre de fans qu'elle gagne régulièrement, c'est que Person of Interest n'a pas eu la reconnaissance qu'elle mérite et a sans aucun doute été sous-estimée à l'époque de sa diffusion. Son arrivée, en intégralité, sur Salto peut donc permettre de rattraper cela, et de constater à quel point elle reste pertinente une décennie après son lancement.

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