Deux ans après La Nuit américaine, François Truffaut s'attelle en 1975 à L'Histoire d'Adèle H., consacré à la fille cadette de Victor Hugo. Marquée à jamais par le décès de sa sœur alors qu'elle n'a que 13 ans, Adèle Hugo traverse plusieurs dépressions et passe de nombreuses années de sa vie dans des maisons de santé. Mais ce qui intéresse le cinéaste, c'est l'érotomanie dont souffre la jeune femme, qui s'éprend d'un lieutenant et vit dans l'illusion délirante d'un amour réciproque.
Le cinéaste s'appuie sur le journal d'Adèle Hugo, paru chez l'éditeur universitaire Minard et présenté et préfacé par une spécialiste américaine, Frances Vernor Guille. Il se lance dans d'âpres négociations pour obtenir les droits d'adaptation, que ce soit auprès de Vernor Guille que de la famille Hugo, pour qui la tragédie d'Adèle demeure un épisode douloureux qu'il vaut mieux dissimuler.
Avec le scénariste Jean Gruault, Truffaut décide d'adopter un point de vue unique, celui d'Adèle. Le choix de son interprète est donc capital. Le réalisateur promet le rôle à Catherine Deneuve, avant de faire passer des essais à Stacey Tendeter. Il repère l'heureuse élue dans une retransmission à la télévision d'une représentation de L'École des femmes par la Comédie-Française, puis la retrouve à l'affiche de La Gifle. Il s'agit d'Isabelle Adjani, alors âgée de 19 ans. Pour la convaincre d'interpréter Adèle, il lui écrit : « Vous êtes une actrice fabuleuse et, à l'exception de Jeanne Moreau, je n'ai jamais senti un désir aussi impérieux de fixer un visage sur la pellicule...»
La principale intéressée hésite : si elle est séduite par ce projet et la possibilité de collaborer avec Truffaut, elle devrait rompre son contrat avec la Comédie-Française et par extension avec son mentor Pierre Dux, administrateur de cette institution. Adjani finit par accepter de tourner L'Histoire d'Adèle H., malgré l'opposition de Dux. Une décision qui se révélera gagnante : elle récoltera non seulement sa première nomination au César de la meilleure actrice grâce à ce film, mais aussi sa première nomination aux Oscars. Un doublé qu'elle réitérera en 1990 avec Camille Claudel.
Source : À la folie... pas du tout. d'Antoine de Baecque pour Libération, 20/08/2004.