AlloCiné : Après la saison 9 qui servait de "reboot" à Clem et permettait à la série de partir dans une toute nouvelle direction et aussi de revenir à certains fondamentaux, comment avez-vous conçu cette saison 10 à l’écriture ? Quels étaient pour vous les axes importants à développer ?
Vanessa Clément (productrice artistique de Clem) : Le premier élément fondateur de l’écriture de cette saison c’était de rester dans la continuité immédiate de la saison 9. C’est-à-dire de se raccrocher en temporalité tout de suite après. On reprend donc immédiatement après la dernière séquence assez surprenante de la saison 9, où on voyait Fred (Guillaume Faure) brûler la moto. Et on est vraiment quelques jours après. C’est la base de la saison 10 et on voulait clore ce chapitre autour de Fred et du mystère des conditions de la mort de Caro. Et ensuite, de façon plus pragmatique, on a constitué une équipe d’auteurs autour de Caroline Franc, qui est sur la série depuis la saison 8. Et on lui a adjoint trois auteurs. Deux avec lesquels elle avait déjà travaillé : Florian Spitzer et Inan Ciçek. Qui venaient de la comédie avec Parents, mode d’emploi. Et un auteur qui s’appelle Thomas Mansuy, qui a travaillé sur Dix pour cent, sur Les Petits meurtres d’Agatha Christie.
La saison aborde l’écologie à travers l’empoisonnement dont est victime Emma. Est-ce que c’est une volonté de Lucie Lucas de voir ses combats personnels être présents dans la série ou est-ce que c’est un hasard ?
Ce n’est ni un hasard, ni une volonté affirmée de Lucie Lucas. C’est notre volonté de moderniser au maximum la série et de venir coller à des thématiques qui nous semblent très contemporaines. Et qui préoccupent tout le monde aujourd’hui. Et les questions d’environnement, les questions sanitaires, nous semblaient déjà l’année dernière au cœur des préoccupations des Français. Il se trouve en effet que ça vient rencontrer la sensibilité humaine et idéologique de Lucie, et que du coup elle avait encore peut-être plus que jamais quelque chose à défendre, à porter autour de ça. Elle en était ravie. Mais c’était avant tout dans l’idée de conserver la part d’ancrage de la série dans des thématiques sociales. Et depuis toujours Clem, par le biais du familial, par le biais d’histoires qui peuvent paraître légères, s’attaque à des sujets de société.
Et en parallèle de ce sujet lié à l’environnement, Clem se retrouve aussi au cœur d’un mouvement social à l’usine. Finalement, on a l’impression que la série n’a jamais été autant dans l’air du temps…
Oui, c'est vrai, l’écriture de la série a un peu rencontré l’actualité. Et on s’est retrouvé à raconter l’histoire d’une mère de famille qui a réussi à unir autour du combat pour sa fille toute sa communauté et ses collègues. Afin de combattre un scandale sanitaire. Et je pense que c’est un quotidien dans lequel aujourd’hui pas mal de monde, et notamment pas mal de femmes, peuvent se retrouver. Parce qu’on sait aussi que dans les mouvements sociaux de ces dernières années il y avait beaucoup de jeunes mères de famille qui étaient confrontées, comme Clem, à une multitude de combats à mener en parallèle. Gérer sa famille, gérer son travail, gérer sa vie amoureuse, et parfois par-dessus tout ça gérer des problématiques de santé ou des combats d’engagement.
Dans le dernier épisode, toute la famille va se ressouder autour de Clem et s’allier à elle dans son combat. C’était important pour vous de finir sur cette dernière note familiale ?
C’est essentiel parce que c’est vraiment l’ADN de la série et le message que l’on veut continuer à transmettre. Qui est qu’ensemble on est toujours plus fort. La famille c’est toujours une structure compliquée, dans laquelle on peut s’opposer et dans laquelle il y a de la place aussi pour le conflit. Mais il y a l’idée qu’en tribu - et Clem est vraiment une tribu – on peut combattre tous les obstacles et tous les ennemis. Donc c’était essentiel pour nous de les réunir face à ce combat commun. Même ceux qui, a priori, n’y seraient pas allés. Comme Michel (Jean Dell), par exemple, qu’on n’imagine initialement pas faire un piquet de grève.
On nous avait vendu une saison avec plus d’humour, mais finalement les thématiques restent quand même très dramatiques, comme l’an dernier, non ?
Oui c’est vrai qu’on a des thématiques qui sont importantes et qui peuvent être sérieuses et dramatiques à certains égards puisqu’on aborde la question de la maladie, de l’empoisonnement. Et parce qu’il y a aussi toute la trame romantique qui est assez tragique du côté de Clem. Et on ne voulait surtout pas traiter ces histoires-là de manière artificielle en y ajoutant de la comédie qui serait forcée. Mais on a essayé d’insuffler par le biais des ados, je pense à un personnage comme Joris par exemple, ou par le biais de Marie-France et de Michel, une couleur plus légère. Pour ne pas non plus plomber nos personnages et nos histoires. Ce n’était pas l’objectif. Mais on garde cette volonté d’être une série qui passe du rire aux larmes, tout en traitant de vrais sujets.
Et ce sera encore le cas en saison 11 on imagine ?
Alors, la saison 11 se dirige dans une direction assez différente puisqu’on va revenir à quelque chose de plus dans l’ADN initial de la série. Avec beaucoup plus de place au décalage et à la comédie, sans être dans la farce. On avait l’impression que les saisons 9 et 10 nous avaient permis d’opérer le virage pour le personnage de Clem. Qu’on était obligé, avec le départ de Victoria Abril, de passer par une étape un peu sérieuse. Nous avons raconté le décès de Caro, qui était quand même le personnage principal de la série, et on a une nouvelle héroïne qui en début de saison 9 sortait de six ans de coma. On avait donc un présupposé qui était quand même lourd. Avec une héroïne qui avait tout à reconquérir, qui avait sa famille à recomposer. Toute son identité à remettre en place. La saison 9 c’était la saison du réveil. Et la saison 10 pour nous c’est la saison de l’affirmation et du nouveau positionnement de Clem dans la famille et dans la tribu. Et on a l’impression qu’avec notamment la manière dont elle se bat pour sa famille et pour sa fille, elle gagne une maturité qui était importante pour que le personnage prenne pleinement sa place. Et en fin de saison 10 on a l’impression que Clem a pleinement et concrètement trouvé sa place. Et qu’elle va pouvoir maintenant vivre des aventures qui sont un peu moins douloureuses au quotidien. Parce que, ça y est, elle a payé un prix assez cher.
Un autre élément important de la saison concerne Fred et son secret. Vous saviez dès le début de la saison 9 comment cette intrigue allait se poursuivre et qui était réellement responsable de l’accident de voiture, ou est-ce que c’est venu plus tard ?
Pas du tout, c’est venu beaucoup plus tard. Et ça a été le fruit de multiples discussions sans fin. Et c’est finalement intéressant de travailler comme ça car, du coup, le personnage de Fred n’a pas été pensé comme un méchant. Il a été écrit comme Clem le perçoit en fait, avec le même niveau d’informations que celui que Clem a sur cette nouvelle rencontre. Et ça nous a permis de faire de cette histoire d’amour quelque chose de sincère. Et de ne pas aller vers un personnage qui serait manipulateur ou maléfique. Là on est plutôt dans une tragédie, dans un drame humain de deux personnes qui s’aiment mais qui sont peut-être confrontées à l’impossibilité de vivre leur amour pleinement. On est comme dans une tragédie grecque en fait dans cette histoire Clem-Fred.
Avec Amélie, Rachel, et Nathalie, Clem se crée un nouveau groupe d’amis cette saison. C’était important pour les auteurs qu’elle ait de nouveau des amis ?
Bien sûr. Ça fait partie, là aussi, de son chemin de reconstruction. Elle a perdu sa mère. Elle a perdu d’une certaine manière sa meilleure amie. Elle se retrouve isolée, sans boulot. Donc là il fallait reconstituer autour d’elle une tribu. Qui est composée notamment d’Amélie, interprétée par Karina Testa, qu’on avait pu voir dans Les Tuche ou dans Kaboul Kitchen. Et qu’on est vraiment heureux et fiers d’accueillir dans Clem. Et il y a aussi Cristiana Reali, que les téléspectateurs de TF1 connaissent bien, pour Les Bracelets rouges notamment. Ce sont deux figures féminines fortes qui vont pouvoir accompagner Clem à l’avenir dans ses nouvelles aventures. Elle a besoin d’amies, de confidentes pour l’accompagner.
Et ce sont donc deux personnages qui sont amenés à revenir en saison 11 ?
Tout à fait. Ce sont des personnages qu’on a envie de voir évoluer au sein de la tribu.
Marion Seclin rejoint la série en saison 10 dans le rôle de Clara. En allant chercher une personnalité et une influenceuse comme elle, qui a une communauté et une force de frappe importante sur les réseaux sociaux, vous aviez la volonté de parler à un public jeune ?
C’est en lien avec les thématiques que l’on utilise. Il y a une volonté de parler à un public plus jeune, à un public qui s’intéresse à ce qui se passe sur les réseaux sociaux et aux problématiques d’aujourd’hui. Et Marion Seclin est une influenceuse qui a un vrai pouvoir auprès des jeunes aujourd’hui, et notamment des jeunes filles. Et elle porte un discours autour du féminisme et autour de ses combats, même pour la planète, qui est très fort. On trouvait donc ça vraiment très réjouissant de pouvoir faire se croiser le monde de la télévision grand public, mainstream, TF1, avec ce monde plus alternatif. Mais qui finalement touche beaucoup les jeunes. Et c’est important que les jeunes aujourd’hui qui sont devant leur télé puissent retrouver les influenceurs qui leur parlent sur leur smartphone. Ça a du sens pour nous. Et il y a aussi l’idée de faire intervenir des gens qui vont nous alimenter de ce qu’ils sont, de leur nature. Et Marion a une nature très forte, des propos très forts. Et ça c’est riche pour la série. C’est ce qui va nous empêcher de nous endormir sur nos acquis et va nous obliger à nous renouveler constamment et à être toujours en prise avec le public.
Le départ d’Elodie Fontan la saison dernière a évidemment forcé les auteurs à séparer le couple Alyzée-Adrian, qui était pourtant un couple emblématique de Clem depuis plusieurs saisons. C’était compliqué de repartir sur de nouvelles bases avec Adrian ou au contraire le fait qu’il devienne père célibataire ouvrait le champ des possibles ?
Au contraire, oui, ça offrait plein de possibilités pour Adrian. Le sortir de ce couple, ça lui offre l’opportunité de vivre de façon encore plus intime plein de nouvelles aventures. Et ça le confronte à des situations hors normes, et c’est ce qu’il vit dans cette saison 10. Et puis il y avait aussi la volonté de développer le personnage dans tous ses potentiels. Et Agustin Galiana, c’est un comédien super, mais c’est aussi un super danseur, un super chanteur. Et on était hyper heureux de pouvoir lui donner de la place dans cette dimension-là. Et qu’on le voit pleinement en tant qu’homme aussi. Et le fait qu’il se retrouve père célibataire, sans emploi, en début de saison, il nous semblait que c’était proche de ce que vivent pas mal d’hommes et qu’on en parle pas tant que ça. Des pères solos, des pères qui galèrent, de comment on se débrouille avec des enfants, avec la pression sociale. Ce ne sont pas des sujets qui sont si publiquement abordés alors que beaucoup d'hommes se retrouvent dans cette situation.
Et évidemment, c’est surprenant de voir Adrian devenir escort (rires), mais ce qui nous intéressait c’est que, finalement, ce qui amène à devenir escort ce n’est pas qu’on est une femme ou un homme. C’est qu’on est dans une situation de précarité qui nous y pousse. Et ça permettait de donner à Agustin de l’ampleur dans son personnage. Il nous propose des choses qu’il n’avait encore jamais montrées chez nous. Donc on en était ravis.
Cette dixième saison marque aussi les 10 ans de Clem. Est-ce que vous avez envisagé de marquer le coup, en faisant revenir d’anciens personnages par exemple ?
C’est la 10ème saison pour les fans de Clem, c’est vrai, et en même temps nous on le vit aussi comme une saison 2 de la nouvelle version de la série. Donc on y a évidemment pensé, mais on voulait aussi s’adresser à tous ceux qui découvrent la série. On ne voulait pas les exclure de références auxquelles ils n’auraient pas forcément eu accès. Pour nous c’est important de ne pas ancrer la marque dans le passéisme. On adore ce qui a été fait sur la série durant les 8 premières années, on en est hyper fiers, mais on sait aussi que pour continuer il faut qu’on se renouvelle en permanence et qu’on regarde vers l’avant. Donc on a fait le choix de ne pas être dans la nostalgie.
Le tournage de la saison 11 a déjà commencé. Est-ce que vous repartez à nouveau sur six épisodes ?
Oui, on reste sur six épisodes. On pense que c’est un format qui correspond bien à la notion de mini-série. C’est-à-dire qu’on cherche vraiment à faire, à chaque fois, un film de six heures. Et ça, ça implique une écriture particulière, qui serait très différente si on passait en huit, dix, ou douze épisodes. Six épisodes, ça nous permet de garder une tension dramatique et une concentration des intrigues plus fortes, donc pour l’instant on a vraiment l’impression que c’est le format idéal pour ce qu’on veut raconter. Même si on a conscience que ça crée une frustration du côté du public.
Propos recueillis par téléphone le 9 septembre 2020.
La saison 10 de Clem vue par Lucie Lucas :