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    Jumbo : "C'est un film qui pose la question de la normalité, de la folie et du jugement"
    Thomas Desroches
    Thomas Desroches
    -Journaliste
    Les yeux rivés sur l’écran et la tête dans les magazines, Thomas Desroches se nourrit de films en tout genre dès son plus jeune âge. Il aime le cinéma engagé, extrême, horrifique, les documentaires et partage sa passion sur le podcast d'AlloCiné.

    Avec son tout premier long métrage, "Jumbo", au cinéma ce 1er juillet 2020, la réalisatrice Zoé Wittock s'intéresse à un sujet unique, si ce n'est déroutant : l'histoire d'amour entre une jeune femme et un manège de fête foraine. Rencontre.

    Thomas Desroches/Caroline Fauvet

    Lorsque AlloCiné part à la rencontre de Zoé Wittock et de Noémie Merlant pour parler de Jumbo le vendredi 13 mars 2020, personne ne se doute que la France, comme tant d'autres pays, entrera dans une longue période de confinement quelques jours plus tard. Covid-19 oblige, les salles de cinéma ferment et la sortie du film est annulée au dernier moment. Une frustration pour cette équipe, fière de présenter un premier long métrage à la fois touchant et provocant. Projeté pour la première fois au festival du film de Sundance en janvier 2020, Jumbo a, par la suite, voyagé dans différents festivals, comme la Berlinale, où il a remporté le Guild Film Prize, et le festival international du film fantastique de Gérardmer.

    Inspiré d'une histoire vraie, le film suit le destin de Jeanne, une jeune femme introvertie, qui va tomber sous le charme d'une attraction de fête foraine. Mais pour vivre son histoire d'amour au grand jour, elle va devoir affronter le regard des autres, à commencer par celui de sa mère possessive, jouée par Emmanuelle Bercot. Alors que Jumbo débarque enfin sur les écrans ce 1er juillet 2020, rencontre avec la réalisatrice belge qui se cache derrière cette romance singulière. 

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    AlloCiné : L’idée du film a été inspirée par le destin d’Erika Eiffel, une Américaine objectophile, qui s'est mariée avec la tour Eiffel en 2007. Qu’est-ce qui vous a tant plu dans cette folle histoire pour en faire votre premier film ?

    Zoé Wittock : J’ai lu cet article sur Erika Eiffel, qui est un vrai fait divers, et forcément, il m’a sauté aux yeux. Une semaine plus tard, j’en parlais partout autour de moi et j’ai eu une curiosité progressive. Je souhaitais savoir qui était cette personne. Je l’ai compris a posteriori, mais je pense que l’acte du mariage était tellement fort que ça m’a vraiment surprise. C’est une personne qui s'assume complètement. Je l’ai contactée, on a pas mal discuté et pour être honnête, je m’attendais à quelqu’un d’étrange, de dérangeant, mais elle avait un esprit très cartésien, avec beaucoup de recul sur elle-même. J’étais face à un humain, comme vous et moi, qui ne dérange personne. Il y avait un tel fossé, entre ce que l'on peut penser d'elle et qui elle est réellement, que je me suis dit que ça valait le coup d’en faire un film. C’est une histoire d’amour, très émotionnelle et je pouvais, étrangement, m’identifier à elle. C’était ma mission avec Jumbo, que l'on puisse s'identifier à Jeanne, le personnage, malgré son histoire.

    Pourquoi avoir choisi une attraction de fête foraine ?

    La tour Eiffel on pense directement à un objet phallique, je trouvais ça réducteur et en plus c’est très statique. Et puis, mine de rien, je ne suis pas une grande fan de la tour Eiffel (rires). Dans l'attraction de fête foraine, il y a un côté plus fun, plus coloré et c'est un vecteur de sensations. J’ai cherché d’autres objets, mais le manège se présentait comme une évidence pour moi.

    Insolence Productions – Les Films Fauves – Kwassa Films

    Il est le second acteur du film et comme pour tout acteur, il y a un casting. Comment l’avez-vous trouvé ?

    Quand votre acteur principal est une machine, il n’y a pas de langue, ni de frontière, donc on peut chercher dans le monde entier. Grâce à Internet et aux réseaux du monde forain, on en a trouvé un aux États-Unis, mais c’était trop compliqué de le transporter en Belgique, là où le film a été tourné. Finalement, un Move It 24 (le nom de l'attraction, NDLR) a été trouvé en France, on nous a contactés et on a pu facilement le déplacer pour le tournage.

    Face à la machine, on retrouve Noémie Merlant. Qu’est-ce qui vous a séduit chez elle ?

    Je ne connaissais pas du tout Noémie Merlant. J’ai commencé à écrire ce film il y a huit ans et quand je l'ai choisie, il y a trois ou quatre ans, elle n'avait même pas encore été nommée pour le César du meilleur espoir féminin pour Le Ciel attendra. Je l’ai découverte en casting, elle était très intéressante et avec le temps, elle me restait en tête. Des mois plus tard, j’ai fondu en larmes devant sa prestation. Elle est à la fois puissante, touchante, elle n’a peur de rien, elle prend des risques et elle fait confiance, c’est très important. Elle fonce à 200 % et c’est ce qui fallait pour ce rôle : une actrice qui n’avait pas froid aux yeux.

    Le film sème le trouble sur de nombreux aspects : l'âge du personnage de Jeanne, l'époque à laquelle se situe l'action et le lieu surtout. Le village a tout d'une petite bourgade américaine. Était-ce une réelle volonté de votre part, de ne créer aucun point de repère ?

    Complètement, je souhaitais créer un conte de fées moderne. Et dans les contes de fées, il y a ce sentiment d’universalité et d'intemporalité. C'était important ne pas être pollué par une époque, ni par une actualité particulière, pour que les spectateurs puissent se concentrer uniquement sur l'histoire. J'ai également fait ce choix avec Jeanne, qui n'est ni une enfant, ni une femme. Je souhaitais que l'on se focalise sur l'émotion la plus pure. Je ne voulais pas que l'on tombe dans les clichés, du genre : "Elle a seize ans, c'est normal, elle se cherche..". Quant au lieu, je souhaitais situer mon histoire dans l'Ardenne, car, avec ses grands sapins, il y a un côté très isolé, une cuvette dans laquelle Jeanne s’isole. 

    Je ne souhaitais rien imposer, mais plutôt confronter les spectateurs à leur propre tolérance (...)

    En parlant du personnage joué par Noémie Merlant, le film ne s'attarde à aucun moment sur sa condition psychologique. Souhaitiez-vous laisser au spectateur le soin de faire sa propre interprétation ? 

    Bien sûr, je voulais qu'il soit libre de choisir, car tout le thème de Jumbo est là. C'est un film qui pose la question de la normalité, de la folie et du jugement. Je ne souhaitais rien imposer, mais plutôt confronter les spectateurs à leur propre tolérance, leur propre acceptation ou non, face à cette personne. C’est intéressant que le public se réapproprie cette question. Il y a une part de moi dans ce film aussi, j’étais très timide au moment de l'écrire, dans une volonté de trouver ma place dans la société et d’avoir le courage de m’affirmer. Je ne voulais pas ancrer Jeanne dans une folie ou une différence claire et je voulais à tout prix éviter le carcan des médecins, de la psychanalyse. C'est un film qui ne juge pas. 

    Jumbo convoque le style de nombreux films et de nombreux réalisateurs dans son ambiance, comme John Carpenter, avec son film Christine, Xavier Dolan avec le look vestimentaire des personnages, et même David Cronenberg. Étaient-ils de réelles inspirations pour vous ?

    C’est drôle car je connaissais John Carpenter, bien sûr, mais je n’avais jamais vu Christine. C’est ma productrice qui m’en a parlé, mais je ne voulais pas le voir avant la fin de l'écriture pour ne pas me faire influencer. J’ai finalement regardé quelques passages et en effet, certaines scènes se correspondaient assez. Crash de David Cronenberg, également, je ne l’avais pas vu non plus à cette époque. Je pense que ces artistes puisent aussi dans leurs propres références, mais dans ce film, j’ai essayé de penser à l’émotion et comment je voulais visuellement la transposer. Au moment de la mise en production, j'avais en tête Rencontres du troisième type, E.T. l'extra-terrestre, pour cette ambiance très Amblin, Xavier Dolan aussi vous en parliez, Rouge et Bleu de Krzysztof Kieślowski et The Place Beyond The Pines pour les décors. Mais dans l’écriture, j’aime rester libre et neutre.

    Comme vous le dites, Jumbo porte sur l'acceptation, la différence, l’amour, mais c'est aussi un film qui vient déstabiliser le public. C'est ce que vous recherchez, vous, au cinéma ?

    J'aime les films qui m'emmènent ailleurs, que l'on me parle du quotidien ou pas. Des films qui m'emmènent dans un univers, une folie, qui viennent piocher dans l'extraordinaire. Le film qui m'a appris la puissance du cinéma, c'était Orange mécanique de Stanley Kubrick. Je suis allé le voir au cinéma, avec mon père, à l'âge de seize ans. C'est tout ce que je recherche dans un film. C'est viscéral, choquant, dérangeant, mais tellement important, car il est accompagné d'un débat, d'une réflexion, et c'est ça qui fait changer la société.

    Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le vendredi 13 mars 2020.

    Jumbo
    Jumbo
    Sortie : 1 juillet 2020 | 1h 33min
    De Zoé Wittock
    Avec Noémie Merlant, Emmanuelle Bercot, Bastien Bouillon
    Presse
    2,9
    Spectateurs
    2,4
    louer ou acheter

    Découvrez la bande-annonce de "Jumbo"... :

     ... et sa bande originale, composée par Thomas Roussel :

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