"Journée la plus dégradante pour le Festival, plus sinistre humiliation pour la France", "La Grande Bouffe et vomir. Honte pour les producteurs […], honte pour les comédiens qui ont accepté de se vautrer en fouinant du groin (…) dans pareille boue qui n’en finira pas de coller à leur peau", "ce qu'on sacralise, c'est l'excrément"... Morceaux choisis* de quelques réactions de la presse le jour de la présentation en compétition de La Grande Bouffe de Marco Ferreri ce jour de mai 1973... C'est peu dire que l'accueil fut houleux pour La Grande bouffe, film porté par un grand casting, Michel Piccoli donc, mais aussi Philippe Noiret, Andréa Ferreol, Marcello Mastroianni, sans oublier Ugo Tognazzi.
Près de 50 ans après sa présentation, La Grande bouffe reste comme l'un des plus grands scandales de l'histoire du festival, essuyant l'une des polémiques les plus célèbres de l'événement. Le point de départ du film est simple : on suit quatre amis gourmets et gourmants enfermés tout un week-end à la campagne. Ils décident d'organiser une "bouffe" gigantesque. Orgie culinaire et sexuelle, cette comédie grinçante n'épargne rien au spectateur, avec une visée : dénoncer la société de consommation, poussant la critique à l'extrême, poussant la farce, pourrait-on dire, jusqu'à provoquer le malaise. Le film fut accueilli sous les huées sur la Croisette, où il était en compétition notamment avec La Maman et la putain de Jean Eustache.
L'INA propose sur son site deux reportages de l'époque aidant à se faire une idée de la réception placée sous le signe du scandale du film, qui aidera bien sûr à la notoriété du film, considéré comme culte par certains aujourd'hui :
Une conférence de presse très animée, avec le phrasé et le sens de la provocation du réalisateur Marco Ferreri
Comme le résume bien Gilles Jacob dans son Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes, "de brûlot provocateur, ce grandiose requiem est devenu un classique du cinéma, une étude souriante de la physiologie intestinale, une fable visionnaire sur la société de consommation, dans toute son obscénité, et sur l'excès considéré comme un des beaux-arts."
La Grande Bouffe ne remporta pas la Palme en cette année 1973, qui alla à L'Epouvantail de Jerry Schatzberg, mais récolta malgré tout le prix Fipresci à égalité avec La Maman et la putain. Le succès fut au rendez-vous en salles, avec plus de 2 millions d'entrées.
La Grande bouffe de Marco Ferreri est disponible en VOD sur La Cinetek.
Le Top 5 des scandales de Cannes
* Critiques rassemblées dans le Dictionnaire amoureux du Festival de Cannes de Gilles Jacob, édité chez Plon (2018)