Dans le paysage cinématographique français, son nom fait figure d’exception. Avec seulement quatre longs-métrages à son actif et un segment pour le film Necronomicon, Christophe Gans a su imposer son style unique : un cinéma ambitieux, esthétique, et synonyme de grand spectacle, comme en témoignent ses plus grands succès, Le Pacte des loups et La Belle et la Bête. Le genre fantastique, Christophe Gans le connaît comme sa poche. C’est pour cette raison que le réalisateur est de retour, pour la cinquième fois, au festival de Gérardmer. Cinq ans après avoir été le président de la 22e édition, il se trouve, cette année, aux côtés d’Asia Argento en tant que membre du jury. Installé à une table du Grand Hôtel de la ville, le cinéaste passionné s’est confié à Allociné. Rencontre.
Allociné : Vous êtes un grand habitué du festival. Quel plaisir retrouvez-vous à chaque fois que vous revenez ici ?
Christophe Gans : C’est un festival un peu isolé dans les montagnes, donc c’est l’idéal pour le cinéma fantastique. Bon, je préfère quand il y a un peu plus de neige, cela renforce le sentiment d’isolation et l’isolation permet d’apprécier l’atmosphère qui se dégage de ces films. Ce que je préfère dans le cinéma de genre, c’est justement l’atmosphère et la sensation de glissement par rapport à la réalité. D’autre part, c’est un festival organisé par des personnes sympathiques que je connais depuis très longtemps. Dans une vie précédente, j’ai été critique de cinéma et je connaissais déjà Lionel Chouchan (le fondateur et président du festival, NDLR) et Bruno Barde (directeur du festival, NDLR). J’ai fait le festival d’Avoriaz et de Deauville en tant que critique avec ma revue Starfix et donc aujourd’hui, accepter l’invitation de Bruno Barbe me semble tout à fait logique. Même si on me connaît en tant que réalisateur, je continue d'être un grand fan de cinéma et je garde ce côté fouineur. Mon plus grand plaisir est de découvrir les films des autres avant de faire les miens.
Vous avez souvent parlé de votre découverte, enfant, des films fantastiques de la Hammer. Quels ont été les œuvres qui ont façonné votre amour pour le cinéma ?
Pour les films de la Hammer, je dirais spontanément La Gorgone de Terence Fisher. C’est un film inouï. Il y a dans cette œuvre une puissance sensuelle, érotique et un beau portrait de femme à travers le personnage campé par Barbara Shelley. C’est un peu le Sueurs froides de Terence Fisher. Il y a un trésor caché à l’intérieur. Mais le film qui m’a donné cette vocation est Phantom of the Paradise de Brian De Palma. Un choc monstrueux dans mon existence. Si je n’avais pas vu ce film durant mon adolescence, je ne sais pas où je serais aujourd’hui. C’est non seulement une œuvre qui est arrivée au bon moment dans ma vie, mais en plus, elle combine des choses qui étaient très importantes pour moi lorsque j’avais 12 ans : le rock, le cinéma fantastique et la littérature, car c’est une adaptation du Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux. Quand je l’ai vu, j’ai eu une épiphanie et j’ai décidé de devenir réalisateur.
Il y a des films de genre, aujourd’hui, qui vous ont particulièrement marqué ?
Bien sûr. Il est vrai que je regarde beaucoup de films anciens, mais récemment, je dirais Midsommar d’Ari Aster. C’est le meilleur film que j’ai vu en 2019. C’est éblouissant car il n’a quasiment aucune équivalence. Et c’est très rare. Le cinéma a plus de cent ans et c’est étonnant de voir une œuvre où vous devez faire un grand effort d’imagination pour savoir quel pourrait être l'autre film comparable à celui-ci. Midsommar échappe à toutes les formules actuelles, surtout dans les longs-métrages américains, qui sont assez médiocres en ce moment, notamment du côté des grandes majors. Quand on regarde les six courts-métrages d’Ari Aster, on se rend compte qu’il est tombé dans la marmite quand il était gosse. Je n’ai jamais vu quelqu’un emboîté six courts-métrages de cette qualité. Et pourtant, je connais les courts-métrages de John Huston et de Roman Polanski.
Vous aviez aimé son premier film, Hérédité ?
Oui, il était déjà très haut et je ne m’attendais pas à ce que Midsommar soit encore meilleur. Il y a, par exemple, des jeunes réalisateurs que j’aime beaucoup, comme David Robert Mitchell (It Follows) et Robert Eggers (The Vvitch), mais j’ai été plutôt déçu par leur second film. Ça montre que c’est compliqué de rebondir après un premier long-métrage qui est jugé, presque à l’unanimité, comme une grande réussite. Ari Aster a bondi, et c’est stupéfiant.
Je me suis toujours dit qu’une partie de ma force venait de mon ancrage culturel français et européen.
Pour revenir à votre travail. Vous avez dit, en 2015, que votre cinéma ne correspondait pas au système industriel français. Vous disiez vous sentir un peu seul. Cinq ans plus tard, est-ce que les choses ont changé ?
Changé ? C’est pire. L’industrie cinématographique a pris un chemin qui fait qu’il y a un net déclin dans la volonté de faire des choses hors du commun. En plus, ceux qui m’ont permis de faire certains films vieillissent et dans le cas de certains, comme Samuel Hadida, disparaissent. Sa mort a été un choc très important, car il est devenu producteur au moment où je devenais réalisateur. Il m’a accompagné sur tous mes projets. Sa disparition m’a ramené à l’idée que rien est éternel. Maintenant, je collabore avec son frère, Victor Hadida, pour de nouvelles choses.
Essayez-vous toujours d’adapter la bande dessinée Corto Maltese ?
Non, Corto Maltese est définitivement annulé. Samuel Hadida est mort pendant les dernières étapes du financement. Le film devait être tourné dès février 2019. Tout était prêt. Certains décors étaient même déjà construits. On avait commencé à monter une canonnière russe. Aujourd’hui, elle est quelque part, rangée, en Bulgarie. Le problème était la difficulté de réunir l’ensemble des droits qui étaient répartis entre plusieurs héritiers. Quand on a été obligé de reporter notre production, les héritiers n’ont pas accepté de renouveler les droits.
Vos films ont toujours été en marge des productions françaises habituelles. Pourtant, ils restent très liés à notre culture.
Je me suis toujours dit qu’une partie de ma force venait de mon ancrage culturel français et européen. C’est d’ailleurs ce qui a plu à l’étranger lorsque mes films voyageaient.
Vous n’avez jamais voulu travailler pour les États-Unis ?
Lorsque l'on me proposait des projets américains, j’avais des choses plus intéressantes en France. Curieusement, les meilleures choses que l’on me proposait aux Etats-Unis ne se sont jamais faites. Il y avait notamment un extraordinaire projet de science-fiction. Je peux vous en dire plus aujourd’hui : cela portait sur l’attaque de la Terre par une race extraterrestre, qui réduisait l’espèce humaine à l’état d’animal domestique pour la parquer dans des élevages géants. On subit ce que nous faisons subir aux bêtes dans les batteries d’élevage. Faire un film sur cette inversion me semblait passionnant. Il y avait notamment une scène très audacieuse dans le scénario où le héros se faisait castrer. C’était un projet magnifique, sublimement écrit, mais il ne s’est jamais fait. C’est la meilleure chose que l’on m’a envoyée. Quand j’ai vu les résultats des films que j'avais refusés de faire, je n’ai jamais regretté. Certains projets ont été tellement modifiés pendant leur préparation qu’ils ne ressemblaient plus à rien. Comme le Conan avec Jason Momoa.
J’ai l’impression que les producteurs qui font ces séries ont beaucoup plus d’ambition que ceux qui font du cinéma
Et les séries ? Vous en regardez ?
Dans les séries américaines, il y a un espace de liberté absolument extraordinaire. S’il y avait quelque chose que j’accepterais aujourd’hui, ça serait d’être showrunner. J’ai l’impression que les producteurs qui font ces séries ont beaucoup plus d’ambition que ceux qui font du cinéma. Parmi mes séries favorites, il y a la seconde saison de Succession et Euphoria. Ça m’a épaté.
Les plateformes de streaming permettent à certaines séries de genre de voir le jour en France. On l’a vu avec Marianne, Mortel ou prochainement Vampires. Vous pourriez travailler avec eux ?
Oui, si le projet est intéressant. Mais j’ai l’impression que ces séries de genre existent car ils se disent : "Tant qu’à produire quelque chose, autant produire une série dans un genre qui est populaire partout", pour qu’ils puissent, par la suite, l’exporter plus facilement. Je n’ai pas l’impression qu’il y a un vrai désir artistique derrière. C’est plutôt de l’opportunisme.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
J’ai deux projets de films d’horreur avec Victor Hadida. Je travaille sur l’adaptation du jeu vidéo Project Zero (connu sous le nom de Fatal Frame aux Etats-Unis, NDLR). Le film se passera au Japon. Je ne veux surtout pas déraciner le jeu par rapport à son cadre de maison hantée japonaise. Et on travaille également sur un nouveau Silent Hill. Le projet sera toujours ancré dans cette ambiance de petite ville américaine, ravagée par le puritanisme. Je pense qu’il est temps d’en faire un nouveau.
Le succès du premier reste un beau souvenir pour vous ?
Oui, un très beau. D’autant plus que je n’ai écopé d’aucun problème durant la production. Ils m’ont laissé faire le film que je souhaitais. Lors de sa sortie en salles, il est arrivé premier au box-office et j’ai ressenti un grand sentiment de satisfaction. Il faut dire qu’il existe peu de réalisateurs français qui ont pu décrocher ça.
Qu’avez-vous pensé de la suite, Silent Hill : Revelation ?
Honnêtement ? Je ne l’ai jamais vu. Je devais la réaliser, mais lorsque j’ai compris que les producteurs souhaitaient faire du film une sorte de Resident Evil, j’ai refusé. Je voulais rester fidèle à mon orthodoxie. Par exemple, Crying Freeman et La Belle et la Bête restent très proches de leurs œuvres originales. Ce sont des œuvres d’art qui ont été développées dans un médium différent donc je ne peux pas m’arroger le droit de l’abîmer. Malheureusement pour la suite de Silent Hill, le verdict du public a été brutal, donc encore une fois, aucun regret (rires).
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Gérardmer, le jeudi 30 janvier 2020.
Redécouvrez la bande-annonce du "Pacte des Loups" :