Après sa sortie en salles le 18 septembre dernier, Portrait de la jeune fille en feu, le drame historique et romanesque de Céline Sciamma porté par Adèle Haenel et Noémie Merlant, met désormais le cap outre-Atlantique. Présenté aux festival de Toronto en septembre, et de Telluride, le film poursuit désormais sa promotion à l'international, et se prépare à représenter la France aux Golden Globes en 2020 dans la catégorie Meilleur film étranger.
En route pour les Golden Globes... et les Oscars ?
Candidat malheureux aux prochains Oscars pour représenter la France dans cette catégorie au profit du film Les Misérables de Ladj Ly (Prix du jury à Cannes), Portrait de la jeune fille en feu bénéficie malgré tout d'une sortie en salles restreinte aux Etats-Unis qui pourrait lui permettre de concourir dans les autres catégories de la cérémonie des 92ème Academy awards. Projeté dans deux salles américaines depuis le 6 décembre dernier, le film cumule déjà plus de 67 000 dollars de recettes; un joli record pour un film français, qui le place en troisième position des meilleurs succès hexagonaux aux US derrière Amélie Poulain (2001) et Coco Chanel (2008). De quoi placer le film sous les meilleures augures en vue de sa sortie officielle aux Etats-Unis le 14 février 2020, date symbolique s'il en est pour ce drame romantique puissant.
#PortraitDeLaJeuneFilleEnFeu est sorti dans 2 salles, à L.A et à NYC, pour se qualifier aux Oscars. Et c’est un carton. 67.105$, 3ème meilleure moyenne par salle pour un film français aux USA (après Amélie et Coco Chanel)
Et la critique US est triomphale, 97% sur Rotten Tomatoes.
— Didier Allouch (@CanalDidier) December 8, 2019
Pourquoi cette pré-sortie limitée ? Il faut en effet un minimum requis de deux salles d'exploitation sur le territoire américain pour qu'un film puisse concourir aux Oscars, ce qui permet au film de Sciamma d'être désormais éligible dans les autres catégories. Sélectionné pour concourir aux Critic's Choice Awards aux côtés du film de Ladj Ly et d'Atlantique de Mati Diop (sur lequel la directrice de la photographie du Portrait, Claire Mathon, a également travaillé), le film semble en bonne voie pour la cérémonie du 9 février prochain, le palmarès des Critic's Choice Awards étant bien souvent décisif pour les pronostics des Oscars. Même si face aux solides compétiteurs étrangers que sont, en tête, Parasite de Bong Joon-Ho et Douleur et Gloire de Pedro Almodovar, rien n'est gagné d'avance.
Le film de Sciamma n'est pas le premier film français plébiscité par la critique à se voir concourir aux Golden Globes plutôt qu'aux Oscars. En 2017, Elle de Paul Verhoeven raflait le prix du Meilleur film étranger et de la Meilleure actrice pour Isabelle Huppert, tandis que les Oscars boudaient le film de leur compétition; Divines, caméra d'or du festival de Cannes en 2016, héritait d'une nomination aux Golden Globes la même année, mais repartait bredouille de la course aux Oscars. La Vie d'Adèle, plébiscitée par la critique US, était nommé pour le prix du Meilleur film étranger lors de la cérémonie en 2014, tout en étant privé de nomination aux Oscars, l'oeuvre éligible au Meilleur film étranger cette année-là étant... Renoir, de Gilles Bourdos. Une oeuvre plus polissé pour la compétition américaine que le film sulfureux de Kechiche ?
La critique US s'enflamme... et la France ?
Décrit comme "l'une des meilleures histoires d'amour de 2019" (New York Times) et un "hymne au female gaze" (Vulture), Portrait de la Jeune fille en feu a reçu les éloges des titres de presse américains ces derniers jours, et affiche une moyenne critique de 97% sur le site Rotten Tomatoes. La critique US s'est unanimement emparée du film pour saluer tant son exécution que la qualité de sa mise en scène, où encore la performance de ses deux actrices, encore inconnues du grand public américain.
En France, bien que globalement unanimes (à l'exception de la critique désastreuse des Cahiers du cinéma qui qualifiait le film de Sciamma de "cinéma endimanché"), ces critiques ont été plus discrètes en termes de couverture médiatique, voir mutiques face à la nécessité de souligner l'importante d'une oeuvre qui représente le regard féminin au cinéma de manière aussi centrale. De là à établir un lien entre le fait que les Etats-unis, berceau des gender studies, soient plus prompte à mettre en avant les oeuvres féministes comparées à la France, où le milieu de la critique de cinéma demeure, hélas, en grande majorité masculine, il n'y a qu'un pas. Des impératifs de calendrier ont pu également jouer en la défaveur du Portrait (qui cumule à l'heure actuelle un peu moins de 300 000 entrées sur le territoire français). Pris dans un embouteillage de sorties le 18 septembre dernier, le film s'est retrouvé confronté au Ad Astra de James Gray (dont la date a été modifiée peu de temps avant) et au dernier Woody Allen en prime (Un Jour de pluie à New York), la critique aurait-elle délaissée le film malgré son succès cannois (Prix du scénario et première Queer Palm attribuée à une réalisatrice) au profit de la science-fiction intimiste de James Gray, au vu de l'immense couverture reçue par le film ?
Alors que les Césars se profilent le 28 février prochain avec plusieurs favoris qui vont se tirer la couverture dans la catégorie Meilleur film, Portrait de la jeune fille en feu risque de faire face à une compétition sévère. Entre Les Misérables, La Belle époque de Nicolas Bedos, Hors Normes de Nakache et Toledano, ou encore le controversé J'accuse de Roman Polanski, dont on ignore encore s'il concourra à cette 45ème cérémonie, le film de Céline Sciamma pourra-t-il tirer son épingle du jeu ? D'ici là, le festival Télérama, qui aura lieu du 15 au 21 janvier prochain, sera l'occasion de la dernière chance pour rattraper le film en salles dans l'Hexagone.
Portrait de la Jeune fille en feu de Céline Sciamma, disponible en DVD le 4 février 2020 :