Il est l’un des visages connus que l’on croise dans Once Upon a Time in Hollywood, la fresque cinéphile signée Quentin Tarantino : Steve McQueen fait en effet une apparition remarquée au détour d’une scène, incarné pour l’occasion par un Damian Lewis bluffant de ressemblance avec l’acteur légendaire des Sept Mercenaires. Cette apparition clin d’oeil n’est toutefois pas un simple plaisir cinéphile, puisqu’elle offre au contraire au long métrage plusieurs niveaux de lecture supplémentaires.
La première chose à rappeler est que Steve McQueen est un véritable miraculé de la nuit du 9 août 1969, date du massacre perpétré par les adeptes du gourou Manson. Proche du couple Roman Polanski / Sharon Tate, ce dernier aurait dû effectivement se rendre ce soir-là au 10050 Cielo Drive, avant qu’une escapade moureuse ne l’incite à annuler au dernier moment sa venue. L’arrestation de Manson une semaine plus tard révèlera que le nom de Steve McQueen figurait d'ailleurs sur sa liste noire de célébrités à abattre...
Mais la présence de Steve McQueen dans Once Upon a Time in Hollywood revêt un autre caractère symbolique que cette évocation. Pour rappel, le film de Quentin Tarantino suit les frasques de Rick Dalton (Leonardo DiCaprio), l'acteur principal d’une série western qui rêve de devenir une star de cinéma. Mais en 1969, les mondes de la télévision et du cinéma étaient deux industries distinctes, et il était presque impossible pour une star du petit écran de s’imposer à Hollywood. Jusqu’à Steve McQueen tout du moins…
Après quelques figurations et un premier rôle décroché dans la série B Danger Planétaire, c’est à la télévision que Steve McQueen se fait connaître du public, en incarnant durant trois saisons le héros du feuilleton Au nom de la loi. Une renommée soudaine, mais qui n’éloigne pas pour autant ses rêves cinématographiques ; en 1960, il feint un accident de la route pour interrompre la production de la série et rejoindre le tournage des Sept Mercenaires de John Sturges. Bien qu'il n’était pas la star principale du film, McQueen est parvenu à tirer son épingle du jeu en éclipsant ses partenaires à l'écran, s'assurant alors la gloire et la renommée nécessaires pour lancer sa carrière au cinéma.
Dans un sens, Rick Dalton est l’incarnation de ce qu’aurait pu être Steve McQueen s’il n’avait pas réussi à s'imposer au cinéma. Travailleur obsessionnel, comédien doué desservi par des personnages indignes de son talent, Dalton s’accroche à son rêve, lui qui reste symboliquement aux portes du 7ème art représentées dans le film par le grillage du domicile de Sharon Tate, sa voisine. Il y a d'ailleurs dans les rapports qu’entretiennent ces deux personnages un respect mutuel : Dalton joue dans des séries B avec l’énergie du désespoir, tandis que Tate éblouit de sa présence un charmant nanard avec Dean Martin. Once Upon a Time in Hollywood ne fait pas la différence entre le cinéma et la télévision, ce qui rend presque vaine la quête désespérée de Dalton.
Le film de Tarantino est principalement construit autour de l'idée de dualité. Qu’il s’agisse de l’opposition d’une histoire vraie à des éléments fictifs (le massacre du 9 août 1969 réécrit avec un happy-ending hollywoodien), du personnage de Sharon Tate (Margot Robbie) qui se contemple elle-même sur un écran de cinéma, de Cliff Booth (Brad Pitt) la fidèle doublure vivant dans l’ombre de Rick Dalton, et enfin de ce dernier qui échouera là où Steve McQueen a réussi.
Le parallèle entre Dalton et McQueen est d’ailleurs renforcé par une scène imaginée de La Grande évasion s’il avait obtenu le rôle ; recréée à l’identique, la séquence ne fait d’ailleurs pas de différence dans la prestation des deux acteurs, comme si finalement tout ceci n’était pas qu’une affaire de talent, mais avant tout de chance. McQueen a décroché le rôle principal d’Au nom de la loi grâce à Danger Planétaire, puis c’est en travaillant sous la direction de John Sturges qu’il a ensuite été choisi par le cinéaste pour incarner l’un des Sept Mercenaires.
Chance ou instinct, toujours est-il que Rick Dalton ne dispose ni de l’un de l’autre, lui qui rejette avec dégoût les projets de films italiens qu’on lui propose ; une ironie d’autant plus cruelle que les westerns de l’époque réalisés par Sergio Leone ont permis de révéler un certain Clint Eastwood, lui aussi héros à ses débuts d’une série télévisée intitulée Rawhide...Son incapacité à comprendre le monde qui l'entoure et les changements qui s'opèrent dans l'industrie du cinéma vont condamner les ambitions de Rick Dalton. .
Il y a donc dans cette apparition de Steve McQueen une métaphore de tout ce que raconte le film, lui et Rick Dalton sont les deux faces d’une même pièce de monnaie, l’alpha et le delta, le yin et le yang, à la fois similaires et opposés, l'un a réussi à se faire une place dans l'industrie du cinéma en incarnant le changement tandis que l'autre n'a rien vu venir et a provoqué son propre échec d'une certaine façon.
Once Upon a Time in Hollywood est-il également un film sur Quentin Tarantino lui-même ? Rappelons en effet que le prénom du cinéaste a été choisi par sa mère en référence au personnage de Quint Asper de la série western Gunsmoke incarné par Burt Reynolds (décédé peu avant le tournage du film dans lequel il était censé apparaître). Et en effet, tout laisse entrevoir un aspect autobiographique dans ce portrait-fleuve de l’Hollywood 1969, un morceau d'histoire que s'est entièrement réapproprié Tarantino, lui qui n’a connu cette époque non pas en tant que réalisateur mais par le prisme des films et des feuilletons télévisés qu’il regardait étant enfant. Comme si pour ce qui pourrait être son tout dernier film, Tarantino était tout simplement revenu à l’essence de ce qui le définit comme spectateur.
Ecoutez la bande-originale du film Once Upon a Time in Hollywood :