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    Lumière 2019 : Frances McDormand, autoportrait d'une actrice et d'une femme indépendante
    Clément Cusseau
    Clément Cusseau
    -Rédacteur
    Après des études en école de cinéma, il intègre la rédaction d’AlloCiné en 2011. Il est actuellement spécialisé dans les contenus streaming et l’actualité des plateformes SVOD.

    Invitée d’honneur du festival Lumière 2019, l’actrice pleine de convictions Frances McDormand est revenue sur sa carrière, ses engagements féministes et sa relation avec les frères Coen.

    JEFF PACHOUD / AFP

    Sa relation avec les frères Coen

    Frances McDormand : "Blood Simple était mon premier film, je sortais tout juste de mon école dramatique et j’avais joué dans quelques pièces. Joel et Ethan Coen tournaient eux aussi leur premier film, et j’avais donc un tout petit peu plus d’expérience qu’eux. Cela a créé des liens très forts entre nous car j’avais l’impression que nous avons tous découvert ensemble le monde du cinéma."

    "Joel et Ethan fonctionnent comme s’ils n’avaient qu’un seul cerveau pour deux. Mais en réalité leur travail sur chacun de leurs films est très compartimenté. Ethan est quelqu’un de littéraire, c’est un auteur de romans, de pièces, un poète, il s’épanouit avec les mots ; Joel est plutôt le visionnaire, c’est quelqu’un à l’approche plus visuelle, qui embrasse la technologie et expose dans des galeries des photographies qu’il prend avec des appareils qu’il a lui-même confectionnés."

    "A ma mort, il y aura écrit sur ma tombe le nom de 'Marge Gunderson' (son personnage dans Fargo, ndlr) bien que j’ai tourné dans d’autres films. Mais Fargo reste un film 'de famille' à mes yeux. Vous savez, les Coen aiment écrire sur les sentiments, mais on ne peut pas pour autant dire qu’ils soient sentimentaux. Mais lorsque nous avons tourné Fargo, mon personnage est enceinte, je ne l’étais pas moi-même mais nous étions avec Joel en plein processus d’adoption. Notre fils allait arriver chez nous quelques mois après la fin du tournage. Par conséquent, il y a eu beaucoup de scènes personnelles dans ce film, et notamment la dernière quand le mari de mon personnage s’exclame 'Plus que deux mois ! Plus que deux mois !', ce qui correspondait également au temps qui me séparait de l’arrivée de mon fils. Lorsque nous avons tourné cette scène, personne dans l’équipe n’a pu retenir ses larmes."

    "Un jour où nous fêtions notre anniversaire de mariage en buvant des margaritas j’ai demandé à Joel si j’étais sa muse. Il m’a dévisagé et répondu que 'Non' (rires). Mais cela ne me dérange pas au final, car je préfère être sa productrice plutôt que sa muse ! (applaudissements)"

    Mississippi Burning et le pouvoir du "non"

    "Pendant plusieurs années, je n’ai tourné qu’avec les frères Coen. Ma carrière s’est donc tournée vers le théâtre, où j’ai rencontré un certain succès, notamment quand j’ai joué Stella dans la pièce Un tramway nommé désir à Broadway. C’est après m’avoir vu lors d’une représentation que j’ai attiré l’oeil du producteur de Mississippi Burning. J’ai été nommée à l’Oscar du meilleur second rôle pour ce film, mais je suis certaine que c’est ma performance au théâtre qui m’a valu cette nomination."

    "Tourner avec les frères Coen m’a donné le sentiment que je faisais partie intégrante du processus de création d’un long-métrage. Il y a une photo de tournage de Mississippi Burning que j’aime beaucoup : on me voit en train de parler au réalisateur Alan Parker pour lui soumettre mes idées, des suggestions sur l’emplacement de la caméra etc... et tandis que je lui parle, il affiche la mine renfrognée de quelqu’un d’exaspéré."

    "L’histoire de Mississippi Burning est celle de deux cowboys blancs qui sauvent la situation à eux-seuls. Lors du tournage j’ai été confronté à un problème alors que j’étais censée tourner une scène d’amour. Dans le script, un des protagonistes était censé coucher avec mon personnage puis lui soutirer des informations. Puisque l’on m’a demandé mon avis sur la scène, j’ai estimé qu’elle posait un problème, et elle a donc été réécrite : cette fois, mon personnage livrait les informations avant la scène d’amour. Bien essayé ! Puis la scène a de nouveau été changée et désormais, les deux personnages n’échangeaient qu’un baiser volé. A l’époque je ne suis pas allée plus loin dans mes protestations, et je me suis depuis demandée s’il s’agissait d’un abus de pouvoir, d’autant que mon partenaire dans cette scène intime avait l’âge de mon père !"

    Darkman, puis la "rédemption" Ken Loach

    "Joel et Ethan ont fait la rencontre de Sam Raimi au début des années par l’intermédiaire d’une vieille monteuse Edna Ruth Paul, à qui mon personnage dans Avé, César ! rendait hommage. Alors que les Coen cherchaient à vendre leur film Blood Simple, nous avons habité tous ensemble dans un minuscule appartement d’une pièce à Los Angeles. Comme nous étions en couple, Joel et moi-même avons hérité de la chambre, tandis qu’Ethan et Sam dormaient par terre."

    "A l’époque, les fins de mois étaient difficiles et il nous arrivait de ne pas parvenir à payer certains factures comme le téléphone. Afin de nous faire gagner un peu d’argent, Sam nous a tous embauchés sur son second film, Mort sur le grill."

    "A la sortie d’Evil Dead, Sam a été vivement critiqué pour sa représentation des femmes dans le film, et c’est un sujet que j’ai abordé avec lui. Au moment de tourner Darkman, je voulais donc m’assurer que mon rôle ne serait pas juste le faire-valoir du héros, car je n’avais aucune envie de jouer les 'demoiselles en détresse'."

    "Darkman a été un tournage très compliqué mais au cours duquel j’ai beaucoup appris. Sam avait beaucoup d’exigence et plusieurs fois je lui ai remarquer qu’il m’était impossible de suivre ses directives car nous étions dans la réalité et non pas dans une bande-dessinée ! Un soir je me suis plaint à Joel d’être la marionnette de Sam, mais il n’a pas pris ma défense puisqu’il m’a expliqué l’importance de me fondre dans l'univers de Sam Raimi et d’en respecter les règles. Le problème, c’est que je ne suis pas très forte pour suivre les règles, et c’est un problème que j’ai ensuite rencontré avec d’autres réalisateurs, comme par exemple Wes Anderson."

    "Après ce tournage, j’ai ressenti un besoin de 'rédemption' et par chance j’ai été choisie pour jouer dans le film Hidden Agenda de Ken Loach. Nous avons tourné à Londres et à Belfast, et pour les besoins du tournage nous avons rencontré d’authentiques personnes ayant assisté, et parfois participé, aux combats, puisque la guerre d'indépendance battait encore son plein en Irlande. A cette époque j’étais très naïve et je ne connaissais pas grand-chose à la situation, ce qui était parfait pour Ken Loach qui a pu se servir de cela pour construire son personnage à travers moi."

    Good Omens et l’importance de la télévision

    "L’arrivée des plate-formes m’a davantage impacté en tant que productrice qu’en tant qu’actrice. Mais cela a aussi permis de changer la place des femmes au sein de l’industrie. Au contraire du cinéma, où il est encore trop question d’argent. Quand une réalisatrice n'a pas le droit à l'erreur, un réalisateur peut enchaîner au moins trois échecs avant qu’on décide de ne plus financer ses films."

    "J’ai compris le pouvoir des histoires de long format quand j’ai découvert la série The Wire. A l’époque j’avais acquis les droits du roman Olive Kitteridge, mais je pense qu’il est impossible de raconter une bonne histoire de femmes avec un film de 90 minutes. Le cinéma est quelque chose de linéaire alors que la vie d’une femme est circulaire. Avec la mini-série Olive Kitteridge nous avons pu raconter une histoire sur trente ans en quatre épisodes d’une heure, ce qu’il aurait été impossible de faire avec un long métrage."

    "Chaque année nous allons sur l’île de Skye en Ecosse avec mon mari et mon fils. Nous avons appris que Neil Gaiman habite une maison à proximité et un jour nous lui avons rendu visite. Je n’ai lu aucun de ses livres et je ne connais pas ses romans graphiques, mais j’ai appris qu’il cherchait quelqu’un pour le rôle de Dieu dans sa série Good Omens. J’ai accepté de jouer le rôle à la condition qu’il me prête sa maison pour mes vacances. C’est une série que je trouve intéressante car elle ne dépeint pas le mal contre le bien, tout comme elle intègre à la fois les thèmes de la religion et ceux de l’agnostisme."

    Une actrice exigeante et engagée

    "Je suis une actrice, pas une politicienne. Aussi, quand j’ai prononcé mon discours sur la scène des Oscars, je me suis attirée pas mal d’ennuis. Pendant plusieurs mois, j’ai participé à la saison des festivals, ce que j’appelle 'la convention'. Par conséquent, de cérémonies en cérémonies, j’ai cotoyé le même groupe de femmes nommées, avec qui je me suis étroitement liée. Quelques mois avant les Oscars, j’ai eu l’idée avec Greta Gerwig de faire lever toutes les femmes nommées si je venais à gagner le prix. Puis quelques jours avant la date, quelqu’un m’a parlé du contrat d’inclusion, qui permet d’assurer une meilleure parité et une meilleure diversité sur les tournages."

    "Je me suis tellement sentie soutenue par mes paires qu’au moment de recevoir mon Oscar, j’ai été prise par l’émotion et j’ai complètement oublié mon discours. Me sont alors venus les mots : CONTRAT et D’INCLUSION. Mais le lendemain j’ai reçu un coup de fil du docteur Suzanne Smith qui travaille justement sur ce concept, elle m’a reproché de l’avoir 'outée' avec mon discours car il est beaucoup trop tôt pour en parler, et de toute façon une telle procédure ne pourra jamais être mise en place. D’ailleurs, ce n’est pas de cette manière que les choses doivent changer, bien au contraire. Il faut que les mentalités changent petit à petit, et si l’on le faisait trop vite, alors cela ne servirait à rien."

    La bande-annonce de Blood Simple, le premier film de Frances McDormand :

     

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