AlloCiné : Banlieusards était un projet de longue date n’est-ce pas ?
Kery James : C’est un film que j’ai commencé à écrire il y a quatre ou cinq ans. Il voit le jour aujourd’hui après de nombreuses aventures et de nombreux rebondissements.
Vous dites souvent "Ils n'y ont pas cru, nous l'avons fait" … C’est qui ce "ils" ?
K.J. : Ce sont tous ceux qui nous ont dit non, qui nous ont fermé la porte. Notamment toutes les chaînes de télévision françaises. Aucune d’entre elles n’a souhaité diffuser le film. Et d’autres encore. Mais finalement, on a trouvé de la force dans leur négation de notre capacité à aller jusqu’au bout de ce projet.
Vous le comprenez, ce refus ?
Leïla Sy : Le film s’inscrit dans le travail que Kery développe depuis des années et que j’ai la chance d’accompagner. C’est vrai que ce n’est pas un rappeur qui fait de l’entertainment ou de la musique uniquement pour danser. Dans ses propos il a quand même du fond et de la revendication. Il se peut, même si on a du mal à se l’expliquer, qu’ils aient peut-être eu peur de cette vision plus tranchée. Peut-être aussi parce qu’il y a des choses sur lesquelles il ne déroge pas. Il a envie de parler de la banlieue telle qu’il la connait, non pas comme certains la fantasment. C’est peut-être ce qui a fait qu’on a mis du temps à monter ce projet, même si le scénario a remporté auprès de certaines institutions comme le Prix Sopadin ou même Beaumarchais une très vive attention. Donc on ne se l’explique pas mais en même temps c’est l’aventure du film et aujourd’hui on a la chance d’être diffusés sur Netflix, qui nous permet d’être vus dans le monde entier. C’est un mal pour un bien.
A quel moment Netflix est-il intervenu ?
K.J.: Il y a environ deux ans. Ce sont les producteurs du film qui sont entrés en contact avec eux, pour la diffusion.
Leïla, vous avez principalement tourné des clips. Le passage au long-métrage n'a pas été trop difficile ?
L.S. : C’est grâce à Kery que j’ai eu la chance de réaliser mon premier clip. Je viens de l’image fixe, j’ai une formation de directrice artistique. Ça a été un challenge incroyable, un rêve qui se réalise d’arriver à la fiction. C’est un univers complétement nouveau pour nous même si, quand on fait du clip vidéo, on est amenés à utiliser toutes les configurations techniques possibles et imaginables. On a eu cette angoisse de se dire qu’on devait prouver qu’on était capables, mais on l’est, dans l’absolu. Le long-métrage est une course de fond, alors que le clip est plus instantané. On a relevé le défi et on est prêts pour la suite parce qu’on a beaucoup appris.
Quelles ont été vos références cinématographiques ?
K.J.: Du point de vue du scénario, sans aucun doute Boyz'n the Hood de John Singleton. C’est vraiment un film qui a marqué mon adolescence. J’avais aussi comme référence American History X. Que des films qui disent des choses et qui sont assez puissants.
Ce sont des récits qu’on a besoin d’entendre et de raconter.
Vous espérez quoi avec ce film ?
K.J.: Déjà on espérait que le film existe. C’était déjà un premier combat. On aimerait qu’il soit compris du public. Ce serait du plus qu’il soit considéré comme un incontournable.
Vous avez décidé de l'appeler Banlieusards, comme l'un de vos titres phares. C'était une évidence ?
K.J.: A l’origine il devait s’appeler "Ne manque pas ce train". Deux ans avant la sortie du film, on l’a changé pour Banlieusards. Cela lui convient parfaitement, même si on n’a pas la prétention de dire que ce film est la banlieue dans l’absolu. C’est une photographie d’un moment dans une banlieue, telle que nous la connaissons.
Ce film parle un peu de vous quand même. Vous êtes plutôt Demba, Noumouké ou Soulaymaan ?
L.S. : On retrouve du Kery dans chacun d’eux et c’est ce qui est très intéressant. Avec Demba, on le voit dans un personnage qui le change complétement de ce qu’il incarne en tant que rappeur. Mais il a aussi un côté "loulou et touchant". On a fait des personnages qui ne sont pas manichéens.
K.J.: C’est un premier scénario donc il y a un peu de moi dans tous les personnages, le film transpire de ma personne.
Mathieu Kassovitz, avec qui vous avez collaboré par le passé, fait un caméo dans le film.
K.J.: Il avait réalisé le clip "XY" sur un morceau scénarisé dans lequel je racontais un meurtre à l’envers. Ce clip a un peu marqué les esprits. Comme on a la prétention et l’envie de s’approcher de La Haine, c’était intéressant qu’il vienne faire un clin d’œil dans notre film.
Est ce qu'on peut s'attendre à un nouveau clip façon XY ?
K.J.: J’aimerais bien retravailler avec Mathieu, mais la dernière fois que je lui ai parlé, la réalisation ne l’enchantait pas trop. Il faut voir comment ça pourrait se faire. Mais c’est un grand comédien, donc peut-être sur un plateau.
Dans votre pièce "A vif", le personnage de Soulaymaan affronte un homme
Pourquoi avoir créé le personnage de Lisa (Chloé Jouannet) pour Banlieusards ?
L.S. : Kery a été forcé par les choses à retravailler le scénario, à remettre les mains dans la matière. On a dû tourner une V15 du scénario. Le personnage de Lisa existait déjà mais elle était plus un enjeu entre les deux compétiteurs. Mais il était aussi question de mettre en lumière un personnage féminin avec du fond et de la consistance.
Jammeh Diangana, la tête d’affiche, n'est pas un acteur, mais il a lui-même remporté un concours d’éloquence à Nanterre.
L.S. : La production s’est lancée très rapidement. On a eu le GO de Netflix en juillet pour un début de tournage le 28 septembre. Le casting s’est aussi fait rapidement. On a rencontré Jammeh au milieu de plein d’autres comédiens, tout aussi brillants. Il s’est imposé à nous, de par le rapport qu’il avait avec Kery James. Il a vu la pièce de théâtre plus d’une dizaine de fois. Il se reconnaît dans tout ce que Kery défend et développe dans ses textes. On a aussi découvert qu’il avait gagné un concours d’éloquence à Nanterre.
K.J.: Il est très proche de son personnage, même dans la vie réelle. C’est quelqu’un qui croit à l’effort et au travail.
Autre long-métrage, qui traite aussi du même sujet et qui sortira dans nos salles le mois prochain, il s’agit des Misérables. Ça vous fait quoi de savoir qu'un film comme cela a été choisi pour représenter la France aux Oscars ?
L.S. : On est très fiers. C’est important de se soutenir les uns les autres. On a malgré tout un vecteur commun qui est Toufik Ayadi, le producteur des Misérables et de Banlieusards. Heureusement qu’il y a des producteurs comme lui qui s’engagent et qui ont envie qu’on raconte la banlieue de manière différente. Je suis ravie qu’il y ait à l’écran des personnages qui nous ressemblent et qui sont issus de la diversité. Ce sont des récits qu’on a besoin d’entendre et de raconter.
J’ai cru comprendre que vous aviez plusieurs projets d’écriture dont un scénario sur l’histoire d’Amel Bentounsi, que l’on voit d’ailleurs dans votre film.
K.J.: Comme on a eu beaucoup d’obstacles avant de pouvoir réaliser ce film, ça m’a donné le temps d’écrire d’autres choses. J’ai déjà une première version d’un scénario qu’on va surement co-réaliser ensemble. J’entame très sérieusement l’écriture du film sur Amel BenTounsi, qui est une femme dont le frère a été assassiné d’une balle dans le dos par un policier. Le policier a été condamné à 5 ans de sursis. C’est comme ça en France. Je vais raconter son histoire.