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    Marvel, Pixar, Lucasfilm, Twitter... Le PDG de Disney se livre (un peu)
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Dans "Ride of a Lifetime", qui sont moins des mémoires que l'évocation de moments clés de son temps passé à la tête de Disney, Bob Iger livre des informations intéressantes sur Steve Jobs, le rachat de Marvel, Lucasfilm... Morceaux choisis.

    ABC

    "Je m'attends à ce que mon contrat expire en 2021. J'allais vous dire "cette fois, je le pense vraiment !", mais je l'ai déjà dit auparavant". Ainsi s'exprimait en avril dernier Bob Iger, le tout puissant patron de l'empire Disney, aujourd'hui âgé de 68 ans. Si Abigail Disney, la petite-nièce de Walt, a trouvé "insensée" sa rémunération de 65,6 millions de dollars pour 2018, en disant que "Jesus Christ lui-même ne valait pas 500 fois le salaire médian", les investisseurs, eux, sont absolument ravis et ont des étoiles dans les yeux. Et ne veulent évidemment pas lâcher celui qui est devenu leur fétiche et leur talisman, au point que ce dernier a déjà repoussé cinq fois la date de son départ.

    Il faut dire que depuis son arrivée au poste de CEO en 2005, il a transformé Disney en une incroyable Cash Machine grâce aux 15 milliards $ dépensés entre 2006 et 2012 pour les rachats de Pixar, Marvel, Lucasfilm, générant assez de cash pour finir par s'offrir pour 71 milliards $ la Twentieth Century Fox. Bob Iger est assurément un PDG visionnaire et notoirement affable, là où son bouillonnant prédécesseur, Michael Eisner, a laissé un souvenir acrimonieux et fut très critiqué sur sa gestion de l'entreprise. Au point qu'en novembre 2003, Roy E. Disney, neveu de Walt Disney, démissionna de ses postes de vice-président et directeur de Walt Disney Features.

    Iger pas toujours loquace...

    Le 23 septembre dernier, Bob Iger sortait un livre, The Ride of a Lifetime: Lessons Learned from 15 Years as CEO of the Walt Disney Company. Un ouvrage de 272 pages qui n'est pas tant une autobiographie, comme on a pu l'écrire un peu hâtivement, mais plutôt un Digest concernant sa vie professionnelle chez Disney. Avec ce mantra en tête : innover ou mourir.

    Si Iger distille des anecdotes et informations évidemment intéressantes, largement évoquées d'ailleurs dans les médias anglo-saxons, ceux-ci ne manquent pas de souligner qu'il est étonnamment très peu loquace sur des sujets plutôt intéressants, voire même brûlants. Le départ de John Lasseter par exemple, accusé de harcèlement sexuel et comportements inappropriés, et qui était quand même le directeur créatif de Disney et Pixar. Le Hollywood Reporter souligne ainsi, en citant le livre de Iger : "il a parlé à John à ce propos [NDR : son comportement] il y a plusieurs années de cela" (mais n'a rien fait ?)", ajoutant : "Alan Horn [NDR : le PDG de Walt Disney Studios] et moi avons rencontré John en novembre 2017, et nous avons convenu ensemble que la meilleure solution pour lui, c'était de se mettre en congés durant six mois pour réfléchir à son comportement et nous donner assez de temps pour évaluer la situation. Plusieurs conversations plus tard, lui et moi sommes parvenu à la conclusion qu'un retrait total de Disney était sage". On n'en saura pas plus.

    Très peu de mots aussi par exemple à propos de l'échec patent de Rich Ross, qui fut nommé par lui président de Walt Disney Studios Entertainment en octobre 2009. A ce poste, il supervisait la production des films de Disney (Walt Disney Motion Pictures Group), la musique (Disney Music Group) et les spectacles (Walt Disney Theatrical Productions). C'est lui qui avait donné son feu vert aux deux plsu gros fiascos de Disney ces dernières années : John Carter, et The Lone Ranger. Deux désastres qui ont coûté très cher à Disney, et qui aurait mérité, aux dires du Hollywood Reporter par exemple, un développement sur un chapitre entier. Tout au plus Bob Iger qualifie-t-il la (més)aventure Ross comme "une de ses plus grosses erreurs personnelles", mais ne revient jamais en profondeur sur les raisons de son éviction, qui a pesé lourd par la suite quant au changement de stratégie.

    "Nous avons lancé trop de films Star Wars..."

    Dans sa tournée promotionnelle de son ouvrage, Bob Iger a longuement répondu au question du New York Times, dans un entretien fleuve. Impossible évidemment de passer sous silence le rachat de Lucasfilm, fin octobre 2012, pour un montant de 4,03 milliards $, permettant à Disney de mettre la main sur la licence Star Wars, entre-autre. "Je pense juste que nous en avons un peu trop mis sur le marché, un peu trop rapidement" lâche-t-il. Mais il ajoute : "je pense que les capacités de storytelling de l'entreprise sont infinies grâce aux talents dont nous bénéficions au sein de l'entreprise, et ces talents que nous avons dans l'entreprise n'ont jamais été aussi importants, en partie grâce à l'arrivée massive de salariés de la Fox". Après l'échec de Solo : A Star Wars Story, sorti à la fin de l'année 2018, et qui n'a rapporté que 392 millions $ de recette, les studios ont décidé de ralentir le rythme de production des films de la saga.

    Tant qu'à parler de Star Wars, Iger évoque dans son livre la déception de George Lucas face aux longs métrages mis sur pieds depuis le rachat de Lucasfilm, et qui n'ont gardé aucune des idées qu'il avait développées en vue d'éventuelles suites : "George savait que nous n'étions contractuellement tenus à rien, mais il pensait que le fait d'acheter les histoires dont il avait écrit un traitement [en plus de sa société] était une promesse tacite de les suivre, et il a été déçu que son histoire soit abandonnée. [...] J'ai pris soin, dès notre première conversation, de ne pas l'induire en erreur de quelque façon que ce soit, et je ne pense pas l'avoir fait, mais j'aurais pu gérer l'affaire d'une meilleure façon. J'aurais dû le préparer à la rencontre avec J.J. et Michael [Arndt, premier scénariste attaché au film] et lui parler de nos conversations, du fait que nous jugions qu'il serait mieux d'aller dans une autre direction. J'aurais pu en parler avec lui et peut-être éviter de le mettre en colère si j'avais évité de le surprendre. Mais dès la première réunion sur l'avenir de Star Wars, George s'est senti trahi, et même si le processus n'aurait jamais pu être facile pour lui, nous sommes inutilement partis du mauvais pied."

    Une tension que le résultat final aurait pu apaiser en décembre 2015. Mais non : "Peu avant la sortie mondiale, Kathleen [Kennedy] a montré Le Réveil de la Force à George. Qui n'a pas caché sa déception. 'Il n'y a rien de nouveau', a-t-il dit. Dans chacun des films de la trilogie originale, il était important pour lui de présenter des nouveaux mondes, des nouvelles histoires, des nouveaux personnages et des nouvelles technologies. Pour celui-ci, il a dit 'Il n'y a pas assez d'avancées visuelles ou techniques.' Il n'avait pas tort, comme il n'a pas compris la pression à laquelle nous étions soumis pour offrir aux plus fervents des fans un film qui était typiquement du Star Wars. Nous avions intentionnellement créé un monde connecté aux précédents films, dans le ton et sur le plan visuel, pour ne pas trop nous éloigner de ce que les gens aimaient et attendaient, et George nous a reproché ce que nous avions cherché à faire."

    Avec les 2,068 milliards $ et 1,332 milliards $ récoltés respectivement par Le Réveil de la Force et Les Dernier Jedi, aucun regret à l'horizon : "rétrospectivement et avec la perspective de quelques années et films Star Wars de plus, je pense que J.J. a réussi quelque chose de quasi-impossible, à savoir bâtir le pont parfait entre ce qui avait été et que ce qui était à venir." Au passage, s'il souligne être ravi du travail effectué par Kathleen Kennedy à la tête de Lucasfilm, il précise aussi qu'elle "fait tout son possible pour mettre une femme réalisatrice à la tête d'un film de la franchise Star Wars".

    Tant qu'à parler de Lucasfilm, Iger livre une autre savoureuse anecdote, à propos de Rupert Murdoch, le propriétaire de la Twentieth Century Fox.  "Rupert est devenu fou lorsqu'il a appris que nous avions acheté Lucas[film]. Ils étaient les distributeurs de tous ses films ! Il était très déçu par son entourage. "Pourquoi n'y avez-vous pas pensé ?" a-t-il lâché à ses collaborateurs". Quand on sait que la Fox avait à l'époque de la Guerre des étoiles accepté de lâcher les droits du merchandising du film et de la licence à George Lucas, persuadé que ca ne rapporterait rien, certains Executives en avaient fait des cauchemars, devant le carton planétaire du film... Et des produits dérivés. On imagine donc sans trop de peine le malaise au sein de la Major lorsque Disney a mis la main sur la pépite Lucasfilm...

    Pixar, Marvel et Steve

    Si Steve Jobs était toujours en vie, Apple et Disney auraient pu avoir un destin commun. C'est ce que révèle Iger dans un extrait de ses mémoires publié dans Vanity Fair. "Nous pouvions tout nous dire [...] Je crois que si Steve était encore en vie, nous aurions regroupé nos entreprises [...] ou au moins discuté très sérieusement de cette possibilité". Une amitié qui s'est forgé depuis 2006, lorsque Disney a racheté Pixar. Iger évoque ainsi la première réunion de négociation : "nous nous sommes rencontrés dans la salle de conférence d'Apple à Cupertino [...] Steve a dit qu'il adorait les tableaux blancs que cela permettait d'avoir une vision globale de la situation. Il se tenait debout avec le marqueur à la main et gribouillait des pour d'un côté et des contres de l'autre [..] Deux heures plus tard, les contre étaient abondants, même si certains d'entre eux, à mon avis, étaient assez mesquins..." Cela dit, Steve Jobs craignait que ce rapprochement "ne tue la créativité de Pixar". La suite donnera raison à Iger : racheté pour 7,4 milliards $, Pixar sauvera en réalité Disney.

    "Steve est devenu membre du conseil d'administration de Disney, et le plus gros détenteur d'actions de la société. Et à chaque fois que j'envisageais une grosse opération, j'en parlais toujours avec lui. En 2009, après notre acquisition très réussie de Pixar, nous étions intéressé d'acheter Marvel. J'ai donc vu Steve et l'ai mis au courant de l'idée. Il m'a dit ne jamais avoir lu un comic book de sa vie. Je lui ai donc rapporté une encyclopédie Marvel pour lui expliquer l'univers et lui montrer ce que nous allions acheter". Un achat de 4 milliards $. Steve Jobs aurait alors lâché dans la discussion : "je les déteste [les Comics] plus que je déteste les jeux vidéo", mais "est-ce que c'est important pour vous ? Tu le veux vraiment ? C'est un autre Pixar ?" La réponse résonne depuis comme une évidence absolue...

    "Sur Twitter, la méchanceté est extraordinaire..."

    En 2016, Disney ne cachait pas son envie d'engloutir Twitter. A cette époque, la firme réfléchissait à un modèle de distribution pour ses contenus, tandis que Twitter permettrait d'avoir un lien direct avec les spectateurs. Mais Iger changea d'avis. "Les ennuis étaient plus grands que ce que je voulais, plus grands que ce que je pensais [...]", déclare-t-il au New York Times. "Il y avait les problèmes de la marque Disney, tout l’impact de la technologie sur la société. La méchanceté est extraordinaire". S'il confie aimer suivre son fil d'actualité en un seul endroit, il observe aussi que les plateformes comme Twitter peuvent être nocives. Toxiques même. "Vous vous tournez et regardez vos notifications, et vous vous dites immédiatement  "pourquoi je fais cela ? Pourquoi est-ce que je supporte cette douleur ?" Comme beaucoup de ces plateformes, elles ont la capacité de faire beaucoup de bien dans notre monde. Elles ont aussi la capacité de faire beaucoup de mal. Je ne voulais pas m’attaquer à ça".

    On gardera pour le mot de la fin une petite saillie à propos de Netflix, alors même que le chantier de Disney + est devenu depuis des mois, aux dires de Iger, une priorité absolue : "ce que fait Netflix, c'est faire des contenus pour soutenir une plateforme. Nous, nous faisons des contenus pour raconter de grandes histoires. C'est très différent". Pas sûr que Reed Hastings, le PDG de Netflix, apprécie beaucoup la nuance...

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