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    Alice et le maire : "Se confronter au genre du Luchini Movie !"
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    A l'occasion de la sortie ce mercredi de "Alice et le maire" avec Fabrice Luchini et Anaïs Demoustier, nous nous sommes entretenus avec son réalisateur Nicolas Pariser.

    Bac Films

    AlloCiné : Il y a quelque chose de très plaisant dans votre film : le fait que vous filmiez la pensée, que vous vous intéressiez à la pensée...

    Nicolas Pariser, scénariste et réalisateur d'Alice et le maire : Je suis content que vous me parliez de pensée. Plus modestement, j'avais envie de filmer les gens en train de parler. Quand ils parlent, nécessairement la pensée entre en ligne de compte. C'est vrai que je tiens souvent à filmer des gens en train de discuter, c'est à dire échanger des idées sur un point de vue. Ce qui m'intéresse aussi, c'est de ne pas le faire comme prétexte. Quand les personnages de mes films parlent, ils ne sont pas mes porte-paroles.

    J'aime bien mettre en scène des gens qui vont dire des choses avec lesquelles je ne suis pas d'accord. Qu'une autre personne dise quelque chose au contraire avec quoi je sois d'accord. Mélanger les deux. Et brouiller un peu les pistes. Ce qui m’intéresse, c’est de multiplier les points de vue. Multiplier les convictions. Et plus que de filmer la pensée en général, ce qui m’intéresse c’est de filmer des gens qui se retrouvent en désaccord, qui se rencontrent en s’opposant. Ce qui m’intéresse aussi, c’est de protéger les oppositions. Quand deux personnages ne sont pas d’accord sur un sujet, ça m’intéresse de ne pas trancher, laisser les deux points de vue. De filmer les gens en train de discuter, ça me permet de présenter les problèmes dans toute leur complexité, leur ambiguïté, etc.

    Et au delà de la pensée, que la pensée soit le support des sentiments. L’un de mes projets, c’est d’essayer de dire que les sentiments, l’affection, l’amour, ne sont pas dissociables de la pensée, l’intelligence. Qu’il n’y a pas d’un côté la tête, et de l’autre côté les tripes. On peut penser avec le cœur et aimer avec la tête.

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    La façon dont vous montrez la communication politique est très intéressante également. Comment vous-êtes vous documenté pour que tout sonne aussi juste ?

    Je me suis renseigné un minimum parce que j’ai des amis, des gens de mon entourage qui travaillent dans la politique, mais je n’ai pas fait d’immersion. C’est à dire que je n’ai pas fait de stage dans un cabinet, j’ai rencontré peu de monde autre que mes proches qui travaillent dans la politique pour faire le film. Mais surtout, ma priorité, ce n’était pas d’être juste. Ma priorité était d’être crédible et qu’on ait l’impression que ça se passe comme ça, quand bien même dans le détail ça ne se passe pas exactement comme ça. Je n’ai pas du tout d’ambition documentaire. Je réfléchis plus en terme de plaisir de spectateur qu’en terme de réalisme.

    Qui a inspiré le personnage de Fabrice Luchini ? Il y a une polémique à propos du fait que vous vous étiez peut être inspiré de Gérard Collomb, le maire de Lyon…

    Je suis parti d’un homme politique qui n’a rien à voir avec ce qu’est devenu le film, c’était Georges Frêche. J’avais vu le film de Yves Jeuland, Le Président, que j’avais vraiment bien aimé. Et je m’étais dit : 'tiens, si je faisais un film sur un Président de région de ce genre là'. A l’arrivée, l’homme politique de mon film n’a plus rien à voir avec Georges Frêche. Mais disons que c’était la première source d’inspiration. Ensuite, je me suis inspiré de divers hommes politiques, que ce soit des maires de grandes villes, ou des ministres. Une fois que j’avais écrit l’histoire, que j’ai commencé à avoir des idées, puisque c’était un maire, il me fallait une ville.

    Bestimage

    J’ai choisi la ville de Lyon car c’st une ville que j’avais envie de filmer, et donc automatiquement, le personnage de mon film est devenu le maire de Lyon. J’ai pêché par naïveté : à aucun moment, je ne me suis dit, que le vrai maire de Lyon ou que les Lyonnais, allaient penser que je m’étais inspiré de leur maire.

    Dans un film américain, quand il y a un président des Etats-Unis, on ne se dit pas : 'ah bah oui c’est le Président en exercice'. Ou dans Le chant du loup, quand on voit Mathieu Kassovitz qui est le chef de la marine française, on ne se dit pas c’est vrai chef de la marine française. J’avais comme idée que la fonction du maire de Lyon était suffisamment importante pour qu’on ne prenne pas mon maire de Lyon pour le maire de Lyon réel actuel. Il y a eu un certain nombre de malentendus à droite et à gauche à propos de ça. Mais vraiment pour moi, il y a 0% de Gérard Collomb dans le film.

    Quelles ont été les conséquences de ce malentendu ?

    Les conséquences, c’est qu’à un moment donné, on devait tourner pas mal de scènes dans la vraie mairie, et la vraie mairie nous a retiré l’autorisation de tourner en son sein. Il y avait une scène de conseil municipal où on avait demandé des vrais conseillers municipaux de faire de la figuration, les gens de la majorité de Gérard Collomb ont eu pour instruction de ne pas venir. C’était une péripétie pendant la préparation du film. Après ça n’a aucune incidence sur le film lui-même.

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    Et depuis Gérard Collomb a vu le film ?

    Il dit qu’il a vu le film depuis et qu’il a trouvé ça très drôle. Tant mieux !

    A propos de Fabrice Luchini, avez-vous écrit en l’ayant en tête ?

    C’est pire que ça ! je l’adore et je voulais faire un film avec lui depuis toujours ! Mais on dit qu’il ne fait pas de premier long métrage, c’est un bruit qui court dans la profession. Je ne sais pas si c’est vrai ! Et donc quand j’ai fait mon 2ème long métrage, inconsciemment, je me suis dit : j’ai le droit de lui proposer le film. Quel film pourrais-je faire pour Fabrice Luchini ? J’ai inventé un film dans lequel il y aurait un rôle pour lui. J’ai écrit le film en fonction de ça. J’ai écrit le film pour lui.

    Qu’est ce qui vous passionne tant avec Fabrice Luchini ? Qu'a-t-il a de particulier pour vous ?

    J’aime beaucoup de films dans lesquels il a joué, notamment les films d'Eric Rohmer et de Pierre Zucca. C’est un acteur que j’adore simplement comme spectateur, comme énormément de Français. Et je pensais que d’un point de vue de cinéma on avait un terrain d’entente et on avait quelque chose à faire ensemble. J’avais comme intuition que je m’entendrais bien avec lui, qu’il y aurait un dialogue entre lui et moi possible, au service d’un film.

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    Et puis ça m’intéresse aussi de faire un film avec une star comme véhicule, un « Luchini Movie » quoi ! Comme il y a eu, toute proportion gardée, aux Etats-Unis, des John Wayne Movies ! Ca m’intéressait de me confronter au genre du « Luchini Movie ». (...) Ce sont des acteurs qui ont une telle personnalité qu’à partir du moment où ils sont dans un film, ils appartiennent à ce genre qui leur est propre.

    Vous êtes manifestement cinéphile. Vous avez été auparavant critique de cinéma, mais aviez-vous envie dès le départ d’être cinéaste ?

    Il y a un double mouvement. Quand j’étais enfant, je voulais faire des films. Comme beaucoup d’enfants de ma génération, j’adorais Spielberg. Donc je voulais faire des films, et ensuite je me suis dit que pour faire des films, il fallait être cinéphile, ce qui n’est pas du tout évident ! Dans mon esprit d’enfant, c’était ça. Donc je suis devenu très cinéphile, et comme je suis devenu cinéphile, je me suis beaucoup intéressé à la critique, et il y a un moment donné où la critique m’a plus intéressé que la pratique du cinéma. Quand j’avais 18-19 ans, étant assez timide, je me disais que peut être je serai plus heureux en étant critique que réalisateur. Et en fait, par chance, je n’étais pas un très bon critique ! Je n’écrivais pas très bien… Et j’avais bon goût sur les films anciens, ou en tout cas qui avaient déjà été critiqués. Mais un film que je voyais et dont je ne connaissais rien, je n’étais pas très fort. En tout cas, c’est ce que je pensais quand j’avais 25-26 ans. Donc j’ai abandonné l’idée de devenir critique, et comme je me suis un peu retrouvé sans canot de sauvetage. J’avais foiré mes études… et je me suis dit qu’il ne me restait plus qu’à essayer de faire des films ! 

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    Entre votre film qui fait écho au cinéma d'Eric Rohmer, Une fille facile de Rebecca Zlotowski qui s'inspirait librement de La Collectionneuse de Rohmer, et Doubles vies d'Olivier Assayas qui rappelait Rohmer, ce cinéaste semble être toujours particulièrement dans le coeur des réalisateurs...

    J’ai commencé à faire des cours métrages à une époque ou Pialat était vraiment le Dieu vivant des jeunes courts métragistes. J’ai l’impression que Rohmer était moins estimé que Pialat alors qu’il n’y a vraiment pas de raison. Il ne s’agit pas de dire que l’un était meilleur que l’autre. Et c’est vrai qu’une des choses qui me rend heureux aujourd’hui, c’est que j’ai effectivement l’impression que Rohmer revient en force, et que Pialat n’est plus la seule figure écrasante qu’à l’époque. Le seul regret que j’ai, c’est que je pense que Chabrol, que je mettrais encore peut être plus haut que Rohmer et Pialat, lui n’est encore pas suffisamment mis à la place qu’il mérite. 

    La bande-annonce de Alice et le maire de Nicolas Pariser, à l'affiche ce mercredi

    Propos recueillis par Brigitte Baronnet à Paris le 19 septembre 2019

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