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    Camille : rencontre avec l'équipe du film hommage à Camille Lepage, photo-reporter tuée en Centrafrique
    Brigitte Baronnet
    Passionnée par le cinéma français, adorant arpenter les festivals, elle est journaliste pour AlloCiné depuis 12 ans. Elle anime le podcast Spotlight.

    Sortie, ce mercredi, de Camille, film témoignage & hommage à la photographe de guerre Camille Lepage, assassinée en Centrafrique en 2014. Nous avons rencontré son réalisateur Boris Lojkine, l'actrice Nina Meurisse & Maryvonne Lepage, mère de Camille.

    AlloCiné : Quel a été le point de départ de ce projet, Camille ?

    Boris Lojkine, réalisateur : Le projet est né très simplement. J’ai lu un article dans le journal le 12 mai 2014. Camille Lepage était morte, tuée en Centrafrique. Ca m’a frappé, je ne connaissais pas la Centrafrique. Je connaissais un peu le Congo démocratique qui est juste à côté. Je m’intéresse beaucoup à ces histoires de reporter de guerre, de photojournaliste, cette histoire m’a frappé, et à partir de là, j’ai commencé à lire beaucoup de choses, tout ce que j’ai pu trouver, tous les articles sur Camille.

    Petit à petit, je me suis dit que c’est un film que j’aimerais bien faire. J’ai pris mon courage à deux mains et je suis allé trouver la famille pour leur demander s’ils seraient d’accord pour me laisser faire ce film, parce que s’ils n’avaient pas été d’accord, je n’aurai pas fait le film.

    Comment s’est passée votre première rencontre avec la famille ?

    BL : J’avais très peur car Camille était morte depuis seulement à peine six mois, et j’avais l’impression de faire quelque chose d’horrible. Je marchais vraiment sur des œufs. Je me suis excusé 10 000 fois d’être là, de demander ça. J’étais très impressionné par Maryvonne (Lepage, la mère de Camille). J’ai essayé d’expliquer simplement pourquoi j’avais envie de faire ce film. J’ai expliqué que ce n’était pas le fait divers qui m’intéressait. Ce n’était pas la mort d’une journaliste. C’était la personne de Camille, son travail, sa manière de faire des photos, son engagement.

    Je me sentais très proche d’elle, même si elle est différente, que c’est une jeune femme, photographe, mille fois plus courageuse et merveilleuse que moi. Mais malgré tout, je me sentais proche d’elle. J’avais l’impression que des choses que j’avais pu vivre dans des pays lointains. J’ai vécu au Vietnam, j’ai fait de longs séjours au Congo, ou ailleurs… Je me sentais très proche d’elle. C’est ça que j’ai dit, et je crois qu’ils m’ont écouté.

    Avez-vous hésité avant d’accepter ?

    Maryvonne Lepage : L’hésitation est normale. Par contre, on a écouté Boris, on lui a posé beaucoup de questions, on a discuté sérieusement ensemble. On a essayé de comprendre vraiment ce qui le menait à cette envie de réaliser un film fiction autour de la vie de Camille. On a eu une belle rencontre avec lui, et on a voulu lui faire confiance. On a confiance en Boris. On a dit ok, on sera là, à notre niveau, à notre distance pour l’accompagner pour réaliser ce magnifique film.

    Pyramide Distribution

    Ce qu’il y a de très beau dans le film, c’est que l’on voit le travail photographique de Camille. Le film a une approche pédagogique sur la Centrafrique, avec une forme intéressante, rendant hommage à ses photos…

    BL : C’était très important pour moi que, dans le film, on voit vraiment des photos, qu’on s’intéresse vraiment à la photo. Parfois, il y a des films sur des photographes dans lesquels on ne prend pas vraiment au sérieux la question de la photo. Savoir comment on fait, quel type de photos on fait. C’était vraiment important, d’une part, qu’on la voit travailler, qu’on voit par exemple la question de l’editing, c’est à dire choisir les photos, les classer…

    C’est très compliqué pour les photographes, tous m’ont raconté que c’était la chose la plus difficile pour eux. On ne se représente pas ça quand on ne connait pas ce métier. On se dit que ce qui est difficile, c’est de partir loin, dans des pays lointains, et d’attraper la bonne photo. Non, le plus difficile, c’est une fois qu’on a fait les photos, d’être capable d’avoir le regard sur son travail qui permet de dire que parmi les mille photos qu’on a faites, ce sont ces quinze là qu’il faut montrer, et avec ces quinze là, on raconte une histoire. Donc ça, par exemple, c’est important pour moi d’essayer de le faire sentir dans le film.

    Ses photos nous font rentrer dans son regard, dans sa subjectivité. Tout d’un coup, ce ne sont pas seulement les événements que l’on voit, ce sont les événements tels qu’ils sont regardés par Camille avec sa manière très singulière de voir. Par exemple, j’ai toujours l’impression quand je vois les photos de Camille qu’elle est en train de faire un portrait de la jeunesse centrafricaine, ou la jeunesse africaine en général, et que ce ne sont pas juste les événements. Et formellement, stylistiquement, ça n’a pas été tout à fait simple d’arriver à trouver le tricotage, pour que ça ne soit pas artificiel, que ça coule de source que ses photos soient dans le film, que d’un coup l’image s’arrête et qu’on ne soit pas dans un film mais dans de la photo. Que ça n’interrompe pas l’émotion, mais, qu’au contraire, ça porte encore un cran plus haut. C’était la grande difficulté, mais c’est une des choses dont je suis le plus content dans le film.

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    Pour vous, Nina, ça devait être une responsabilité en quelque sorte, d’n dosser ce rôle. Comment l’avez-vous approché ? Vous êtes vous plongée dans ses photos justement ? Discuté avec la famille?

    Nina Meurisse, comédienne : Il y a plusieurs choses. D’abord, Boris a fait un travail de rencontre avec la famille, ensuite les amis, les collègues. Il a retranscrit beaucoup d’interviews qu’il a fait avec des amis. C’était mon premier matériel et c’était très intéressant d’avoir ces différents points de vue, qui la voyait avec le trait commun de cette énergie, ce sourire magnifique, de cette affection pour les gens, et qui en même temps, avaient tous un point de vue différent sur qui elle était.

    Ensuite, d’être très précis sur son travail de photographe, sur la prise en main de l’appareil. Par exemple savoir quel appareil elle utilisait, comment elle l’utilisait, et essayer de regarder le plus possible ces photos. Maryvonne a eu la gentillesse de nous donner son disque dur et c’était un des matériels pour moi les plus précieux. C’était presque l’intimité de Camille qu’on avait dans les mains. D’essayer de voir ce qu’elle cherchait. Qu’est-ce qu’elle cherchait à capter chez les gens et dans les pays qu’elle a traversé. Il y avait beaucoup de matériel sur Camille, c’était un travail passionnant.

    Est ce que ça vous a fait peur en quelque sorte d’endosser ce rôle ? Peur de ne pas être à la hauteur?

    NM : Oui, complètement. Du début à la fin. Quand le film a été fini également et que j’ai su que la famille Lepage voyait le film, j’ai passé deux heures à serrer les dents en me disant que j’espérais être à la hauteur de Camille. Je pense que de toute façon c’est compliqué : la frontière entre la fiction et le réel dans le film est tellement mince que c’est particulier. Il y avait beaucoup de pression, et en même temps, tellement de bienveillance de la part de la famille que ça fait quand même un peu baisser la pression qu’il y avait dès le début.

    Qu’est ce que vous avez ressenti en voyant le film ?

    ML : De la tristesse, de la douleur. C’est évident, Boris s’y attendait, Nina aussi. Parce qu’il y a un personnage, c’est Camille, joué magnifiquement par Nina, mais derrière c’est ma fille, donc effectivement la voir pendant 1h30 sur le terrain dans un pays en conflit avec son appareil photo, sa jeunesse, avec son enthousiasme, son engagement, c’est vrai que c’est compliqué pour moi bien sûr.

    Mais d’un autre côté, c’est une fierté, et je pense que c’est l’un des plus beaux hommages qui peuvent être fait, c’est de se dire qu’il y a un film qui a été fait en hommage à Camille, en hommage à ce métier difficile en conflit, à cette population qui souffre, qu’elle a aimé, et qui lui a rendu. Et puis elle a été assassinée en Centrafrique donc c’est un mélange de tout ça qui fait que le film est sublime.

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    Où avez-vous tourné et quelles ont été les conditions de tournage ?

    BL : On a tout tourné en République Centrafricaine. C’était vraiment important pour moi. Je suis un petit peu borné, sans doute aussi parce que je viens du documentaire, et dans mon rapport au cinéma, ça reste très présent, car j’ai besoin de vérité. S’il n’y a pas de vérité, je suis un peu perdu, je ne sais pas comment travailler. Je ne voulais pas aller ailleurs, un pays voisin… Et est ce que ça aurait été vraiment plus simple dans un pays voisin ? Donc à partir du moment où j’avais décidé ça, mon producteur n’a pas eu le choix non plus.

    J’ai la chance d’avoir un producteur qui me suit dans mes idées un peu folles donc on est parti pour tourner en République centrafricaine. C’est vrai que c’est compliqué. C’est un pays qui est encore en guerre, où les trois quarts du territoire national sont encore aux mains de chefs de guerre. C’est un pays où même dans la capitale Bangui, presque chaque nuit, on entend des tirs, où on a l’impression que la situation peut être très volatile, que ça va bien un jour mais qu’il peut se passer tout d’un coup une nouvelle flambée de violence. Donc on avait tout ça très présent à l’esprit, mais pour rendre la chose possible, j’ai fait un gros travail en amont, et notamment quelque chose qui semble inhabituel pour un film, j’ai fait des ateliers de formation.

    Car une des choses les plus compliquées pour tourner dans un pays comme la Centrafrique, c’est qu’il n’y a pas d’industrie du cinéma, donc pas de techniciens formés, donc personne qui n’a l’expérience du cinéma, et qui peut travailler avec nous. Donc j’ai formé des gens, et je continue à travailler avec eux. Je vais encore continuer, dans les années qui viennent, à travailler avec ces gens. Ces gens ont été nos alliés pendant le film. Ils n’avaient pas un rapport mercenaire, ils ne venaient pas juste travailler juste pour l’argent, mais des gens avec lesquels il y avait un vrai rapport humain, affectif très fort. Faire le film avec eux, c’était incroyable. Il y a une phrase qu’on dit beaucoup en Centrafrique, et d’ailleurs c’était la phrase que Camille avait choisi pour intituler son projet centrafricain : elle avait appelé ça « on est ensemble ». C’est une phrase qu’on dit beaucoup en Centrafrique. Ca veut dire beaucoup de choses : on est amis, on est dans la même merde, ça veut dire on va pas se lâcher… C’est une phrase qu’on a beaucoup entendu sur le tournage de ces Centrafricains qui étaient tellement contents de pouvoir participer au film, tellement investis dans le film.

    Ce sont eux qui ont rendu le film possible. Car ce qui a rendu possible le fait de tourner dans un pays compliqué, c’est qu’on ne soit pas tous seuls, pas juste une équipe de Français qui débarquent comme ça dans un pays, mais qu’on soit mêlés, qu’on soit une équipe mixte franco-centrafricaine, qui fait qu’on ne pouvait pas être perçus comme des envahisseurs. Au fond, ça n’a pas été si compliqué que ça.

    Est-ce que la sortie du film va être accompagnée d’une exposition ou d’un livre peut être ? Lorsqu’on sort du film, c’est la première chose que l’on a envie de faire : découvrir ses photos…

    ML : J’ai écrit un livre aux Editions de La Martinière qui s’appelle Pure colère, qui regroupe des photos prises par Camille au Soudan, Sud Soudan et Centrafrique, avec beaucoup de témoignages d’amis qu’elle a eu sur le terrain, des photojournalistes, des iconos, des rédacteurs photo, des locaux, des amis, de la famille, etc. Ce livre est toujours d’actualité. C’est un très beau livre que je voulais vraiment faire. Et puis les expositions, depuis que Camille est décédée, ça n’arrête pas. Il y en a eu beaucoup, il y en aura encore beaucoup. Il y en aura une prochainement à Strasbourg avec le Club de la presse et Amnesty International, et d’autres à venir l’année prochaine.

    La bande-annonce de Camille de Boris Lojkine :

    Propos recueillis au Festival du film francophone d'Angoulême 2019

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